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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°35
18/10/2005 - 154 - jury de champagnes
Reprenons au déjeuner chez Laurent, raconté dans le bulletin précédent. Après le Clos Sainte Hune Trimbach 1976 et le Cros Parantoux Henri Jayer 1994, solides institutions, les judicieux conseils de Patrick Lair et Philippe Bourguignon vont permettre de finir le repas sur de jolies notes. Un champagne de Montgueux, à l’extrême sud de l’appellation, champagne Alexandre brut nature de Jacques Lassaigne 1999, et un Banyuls du docteur Parcé 1996, « la Coume » comme on dit aussi à Maury, bois de cèdre, pruneau, tout ce qui embellit la bouche en fin de repas. Laurent est une grande table de pur confort.
Le jury qui analyse les plus grands champagnes pour l’étude annuelle que publie « Le Spectacle du Monde » m’a gentiment invité à me joindre à nouveau à ses travaux (les bulletins 120 et 121 parlent des sélections de 2004). Il a procédé aux premières éliminations sans moi, car j’étais retenu ailleurs. Je les rejoins au restaurant le Cinq pour un dîner consacré aux champagnes de Billecart-Salmon.
Le menu est extrêmement élaboré : langoustines bretonnes au cédrat et au caviar Osciètre, turbot rôti au caramel d’algue, homard mi-fumé aux châtaignes, canard croisé aux épices, macaron glacé au fromage blanc et citron vert, framboise à l’hibiscus, autour du chocolat. Une dextérité exceptionnelle, surtout pour le canard à la chair lourde et intense. La châtaigne du homard est un petit prodige de dosage et de goût.
Le Billecart Salmon 1989 est extrêmement imprégnant, lourd, puissant, mais il est relativement court en bouche. Le 1986 est provocant, ce que j’adore. Très aromatisé et complexe, puissant et long. Les champagnes qui suivent vont faire apparaître d’extrêmes variations entre la première gorgée peu amicale et la dernière toute en charme, quand le vin s’est épanoui dans le verre. Le 1982 est un peu amer au premier contact, puis devient très floral, fraise des bois, fruits blancs. Il est d’une subtilité rare et l’iode du turbot ne l’avantage pas.
Le 1966 est passionnant, sauvage, viril, s’imposant en force. A coté, le 1961 qu’Eric Beaumard annonce voilé démarre par un goût un peu déstructuré, imparfait. Puis tout s’assemble, et si l’on a la patience de bien lire son message, c’est le plus grand de tous, fait d’une noblesse de corps invraisemblable. Richard Juhlin sera de mon avis ou plutôt je serai du sien. Le champagne rosé Billecart-Salmon 1988 ne parle pas beaucoup à mon palais. Les délicats desserts l’excitent, mais la magie du 1961 reste en ma mémoire.
Le plus bel accord, celui qui émerveille, est celui du homard au goût délicieux avec le Billecart Salmon 1966. Le plus beau plat intrinsèquement, du fait de son originalité, est le canard.
A notre table le plus grand expert en champagnes, Richard Juhlin, et son compatriote de Stockholm Andreas Larsson, meilleur sommelier d’Europe 2004, Denis Garret, organisateur des événements et des travaux du jury, deux dirigeants de la maison Billecart Salmon. Une belle tablée où les souvenirs de grandes bouteilles fusent avec passion. Une grande soirée.
A la fin du repas, visite de la cave du Cinq, presque en même temps sans doute qu’on la voit sur Envoyé Spécial de France 2 consacré à Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004, membre de la prestigieuse équipe du Cinq. En prenant l’ascenseur, j’ai la surprise de voir que les parois sont ornées de photos de bouteilles de ma collection. Ce clin d’œil me fait évidemment plaisir.
Le jury se réunit à nouveau le lendemain matin pour la finale. J’apprends que nos amis suédois qui ont classé de jour des champagnes ont aussi testé les nuits parisiennes. « Oh, la, la !» comme on dit en suédois. J’arrive au sein d’une assemblée studieuse au Bistrot du Sommelier. J’ouvre les bouteilles que j’ai apportées pour remercier ce gentil groupe de m’inclure en son sein. Et aussi pour une autre raison. Richard Juhlin, grand expert de champagnes de renommée mondiale, a considéré que le Latricières Chambertin Pierre Bourée 1955 que j’avais ouvert avec lui fait partie des dix plus grandes bouteilles de sa vie (bulletin 107). Je voulais lui montrer des bourgognes qui peuvent escalader encore l’échelle des enchantements.
A l’ouverture mes deux vins sont splendides. Tout se présente bien. Rassuré, je rejoins le groupe des dégustateurs qui finissent les palmarès. Un photographe vient immortaliser l’événement, et Philippe Faure Brac nous retient à déjeuner. Un très agréable saumon à la sauce coco accompagne trois des champagnes de la sélection. Un blanc de blancs Tarlant Brut zéro, puissant mais assez court, un Benjamin Béranger blanc de blancs plus raffiné, élégant et fleuri et un blanc de noirs de Egly Ouriet un peu doucereux mais joliment expressif et intelligent. Tout le monde n’a d’yeux que pour mes deux bouteilles qui vont être accompagnées par une précise volaille au goût très pur, dans son ingénuité comme je l’avais demandé.
J’avais annoncé à tous que le premier vin est un Echézeaux Joseph Drouhin 1947, car j’ai saisi la bouteille en lisant le nom de ses voisines de case dans ma cave. Or en fait, un convive plus perspicace déchiffra après dégustation un Corton Grand Cru Joseph Drouhin 1953. Une couleur d’un rose frais bien séduisante, un nez parfait de vin de belle race, et en bouche, ce raffinement qui raconte l’histoire de la belle Bourgogne. Et après coup, nous comprîmes que le goût était effectivement plus cohérent avec un Corton qu’avec un Echézeaux. Et plus avec 1953 que 1947. Immense satisfaction de tous sur ce vin de grande classe dont je partageai la lie avec Gérald Olivier, courageux compagnon d’essai, journaliste organisateur de ce reportage.
Mais nous allions franchir une étape de plus avec un vin qui pourrait entrer dans mon Panthéon. L’année, elle, est sûre. C’est 1928. De ce que j’ai pu décrypter, je pense qu’il s’agit d’un Musigny, ce que corrobora l’aréopage de ces grands palais. Et je hasarde Coron, mais j’en suis moins sûr. C’est, désignons le ainsi, Musigny Coron Père & Fils 1928. Et c’est absolument renversant. Un nez de pur parfum, intense, de chocolat, d’épices, dense comme celui d’un grand bordeaux, annonce et précède une perfection gustative absolue. Rond, lourd, charnu, invraisemblablement long en bouche, ce vin est simplement divin. L’un de mes plus grands bourgognes à ce jour. Tout le monde était ému devant tant de pureté.
Philippe Faure Brac ouvrit au dernier moment et carafa un Mercurey Gérin 1952 nettement plus fatigué que le Musigny, pourtant son aîné de près d’une génération, mais d’une jolie rudesse campagnarde. Goût canaille fort plaisant. Un joli dessert léger fut accompagné par un aimable Doisy-Daëne 1991, gentille fin de voyage au Bistrot du Sommelier, vin que la jolie journaliste qui suivait aussi l’événement apprécia particulièrement.
Un car affrété par la maison Ruinart prenait en charge ce joyeux groupe, qui n’avait pas fini ses explorations de la champagne. Nous sommes accueillis chaleureusement dans une magnifique salle où, dans un calme rassurant, nous allons goûter de magnifiques champagnes. Avant cela, j’avais visité les crayères à 35 mètres sous le niveau du sol où mûrit le champagne (voir photo). C’est beau et impressionnant à la fois.
Le Dom Ruinart 1996 a un nez très intense, profond, très vineux. En bouche il est élégant, évoque la pamplemousse quand il devient plus chaud. A ce propos, j’ai constaté avec tous ces champagnes à quel point mon plaisir se situe entre la deuxième minute et la quatrième minute dans le verre. Le vin a besoin de s’installer dans le verre. Ensuite, il cumule la force de la bulle, la fraîcheur, et les arômes qui s’expriment. Au bout de quatre minutes, le réchauffement épaissit la bulle, empâte les arômes et le champagne perd de sa longueur. J’ai généralement tendance à aimer les champagnes moins frais que ce qui est servi dans les restaurants. Ici je me rends compte que la fenêtre de tir des températures pour les champagnes Ruinart est très étroite, phénomène que j’avais déjà constaté pour le Haut-Brion blanc, qui s’exprime avec le maximum de charme dans une plage de température qui n’excède pas deux degrés.
Le Dom Ruinart 1993 a un nez déjà plus évolué. Il est très mûr, développé, expressif. Le 1990 est beaucoup plus doré, au nez avancé pas trop agréable. En bouche, il est exactement complet. On ne peut s’empêcher de penser à Roxane Debuisson, l’aficionado de Ruinart qui ne jure que par le 90, mais en magnum seulement.
Le 1988 est moins doré que le 90, plus citron. Le nez est plutôt minéral. Au début, il est un peu coincé, un peu en dedans. Puis il s’ouvre et devient intéressant par une jeune agressivité. C’est lui que mes amis préférèrent des blancs. Le 1981 est ambré, déjà bronzé. Le nez me plait, fait de beurre et de pêche. En bouche, nettement évolué, il est intéressant car sa bulle est belle. Un champagne pour accompagner une belle cuisine. Je me suis rendu compte de l’autorité dont jouit Richard Juhlin, expert mondialement reconnu en champagnes, auteur de plusieurs livres qui font référence. Il a signalé que le 1981 ne lui convenait pas et immédiatement la bouteille fut doublée par un 1981 ravissant que je fus le seul à classer en premier des blancs, le 1988 étant acclamé par ces juges, même si le 1990 impose le respect.
Alors que je suis assez peu fanatique des champagnes rosés, je suis interdit comme sur un uppercut par le Dom Ruinart rosé 1990. le nez est incroyablement séducteur et en bouche, quelle élégance après les blancs ! Passionnant. Mais le rosé 1988 allait me plaire plus encore par un fruité excitant. Je l’ai préféré au 1990, contre l’avis de mes amis qui ont plébiscité le 1990. Mais ce fruité m’allait bien. Le rosé 1986 moins ouvert, plus conventionnel, fut vite doublé, sur un froncement de cil de Richard Juhlin, par un magnum du même millésime. Malgré une nette amélioration, ce champagne ne me fit pas vibrer.
L’impression générale qui restait en bouche, c’est que l’on avait bu de grands champagnes. Mais mon palais allait vivre une de ces excitations que j’adore. Après deux jours assez intenses, l’iode et le sel d’huîtres Gillardeau bien calibrées ont formé avec le blanc de blancs non millésimé Ruinart un accord absolument renversant. La bouche appelle cette combinaison où les deux composantes, l’iode et la bulle publient les bans pour une union où, selon le code civil, chacun doit apporter au mariage selon ses capacités contributives. Et ça contribuait. Dans une belle salle voûtée dont les murs sont ornés des panneaux de support des bouteilles en vieillissement, un dîner fort élégant : salade de homard au parmesan, poularde en demi-deuil et sa petite purée truffée, fromages frais et affinés, poire aux épices, tuile aux éclats d’amandes et sa glace au gingembre confit. Belle cuisine au homard résolument carpacchique, à la truffe délicatement et goûteusement glissée sous la peau, et au gingembre très consensuel.
Sur ce beau menu Dom Ruinart 1996, évidemment plus vivant qu’en salle de dégustation, Dom Ruinart 1990 magnifique, « R » de Ruinart bien fait pour apaiser le fromage et le Dom Ruinart rosé 1990 qui marche évidemment très bien avec la poire et surtout le gingembre, mais que je verrais volontiers sur d’autres audaces. Il est certain que deux dîners de suite où il n’y a que du champagne, même d’une qualité irréprochable, donnent des envies de vins rouges, pour « mâcher » du vin.
Une générosité remarquable de deux maisons de champagne, totalement libre puisque le jury a jugé à l’aveugle, sans possibilité de se tromper, comme j’en fus le témoin. Il faudra lire cette brillante analyse dans « le Spectacle du Monde », qui consacre séparément des grandes maisons de champagne et des petits propriétaires, dont un primé qui était inconnu de tout le jury, quand on a révélé son nom ! Ça fait plaisir qu’on consacre des vignerons discrets qui font bien.
Pendant que je rentrais fourbu à Paris, mes compères infatigables ont poussé la chansonnette dans des karaokés endiablés jusqu’à l’heure du laitier. Ces deux jours m’offrirent de grands moments d’amitié.
L’avenue des Champs-Élysées abrite la Maison de l’Alsace, qui sert d’écrin idéal pour promouvoir le meilleur de cette belle région. Et aujourd’hui, le meilleur c’est Trimbach. Une panoplie des vins de ce domaine est mise en valeur par des huîtres délicieuses et par des fromages de Bernard Antony qui nourrira demain la première promotion de l’académie des vins anciens. De toute cette belle brochette de grands vins j’en retiens deux, incontournables : le Riesling Clos Sainte Hune 1990 Trimbach d’un équilibre serein et d’un goût plein bien assumé. C’est le petit frère du 1976 si beau et si vert que j’ai plusieurs fois dégusté, réussite de cette appellation et que je venais juste de revisiter chez Laurent. L’autre est un Gewurztraminer SGN 1967 Trimbach à la couleur d’un jaune vert doré éblouissante. Le nez raconte à quel point les vins mûrs ont une dimension de plus. Et en bouche, c’est un bonheur rare, joyeux et chantant. C’est beau le vin d’Alsace quand il est bien fait. Hubert Trimbach, comme Jean Hugel, que je raconte dans les prochains numéros, sont porteurs d’une histoire du vin, où, avec moins de science qu’aujourd’hui, on a produit certains des plus beaux breuvages que l’homme ait jamais faits.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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