Accueil Vins Diners Participer Académie Contact Feuille
Ligne Ligne Ligne Ligne Feuille
Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°38
08/11/2005 - 157 - Restaurant Laurent avec Yquem 1949
A l’instar d’Alain Senderens, j’offre à ce bulletin un petit coup de lifting. Il était trop tentant, au moment où je relate le nouveau Senderens, de ne pas faire comme lui. Le sigle de wine-dinners, que j’avais créé pour le bulletin n° 100 évoque deux verres qui trinquent, puisque le vin, c’est le partage. Bonne lecture.
Un repas s’organise chez Senderens. Exit Archestrate, exit Lucas Carton, exit Alain, on est ici chez Senderens. Et le sigle montre un papillon qui s’est lové dans le serpent du « S », pour signifier que le maître s’offre une pause buissonnière. Les délicates boiseries de Majorelle, depuis longtemps « out of date » mais classées se sont offert une petite folie très fashion qui rajeunira le lieu.
Nous sommes dans un salon de l’étage où j’ai de beaux souvenirs d’émotions gastronomiques. Les couleurs très recherchées, les effets théâtraux séduisent l’œil, mais c’est relativement froid. L’ambiance de cette pièce n’est pas décontractée. Je reconnais avec plaisir une belle équipe souriante et la qualité du service reste au plus haut niveau. L’élégance aérienne d’un trois étoiles, ça ne s’oublie pas comme cela.
L’amuse bouche standard est proposé à tous. Je serai le seul à le bouder car manifestement il n’ira pas avec le premier vin qui est un Montrachet Jacques Prieur 1986. J’attends donc le plat. L’entrée, des raviolis de ricotta et d’herbes, bâtonnets de cèpes, beurre fouetté à la sauge, est délicieuse. Une trace trop citronnée va attrister le Montrachet, alors que paradoxalement, les câpres ne le défrisent pas. Ce Montrachet est puissant, riche, chaud en bouche, doré. Il n’a pas la complexité aromatique de certains de ses voisins, sans doute à cause de cette trace citronnée, mais il est solidement structuré et réjouit pleinement car c’est un très grand vin. Ses presque vingt ans lui vont à ravir. Je bois avec un infini plaisir ce grand vin.
La tourte de gibier et foie gras, mesclun à l’huile de truffe et jus de rôti est magistrale. Parfaitement exécutée, elle démontre qu’un grand chef sait être parfait même quand il simplifie sa cuisine. Ici, pas de chemin de traverse. La tourte est pure, voire épurée, mais goûteuse comme un plat de grand-mère, traité par un artiste. Le plat accueille deux vins. Un Hermitage Chave rouge 1998 et un Hermitage Chave rouge 1996. Immédiatement, le 1998 coincé, serré, sert de faire valoir et renforce la conviction d’un 1996 superbe. Fruité, juteux, d’un charme accompli, le 1996 joue un numéro de parade avec la tourte. Le 1998 ronge son frein dans son coin, et tout à coup, il se débride, enlève sa doudoune et révèle un corps de danseuse liane. Il offre une autre expression de l’Hermitage qui renforce celle du 1996, et l’on pianote de l’un à l’autre cherchant à savoir lequel est le plus beau. A mon palais le 1996 gagne ce soir là, mais le 1998 promet.
Sur un Maury 1937, sorti de fût il y a très peu de temps comme Vénus sort de l’onde, une délicieuse fourme d’Ambert d’un crémeux à se damner, mise en valeur par une brioche épicée toastée aux cerises Amarena va montrer à quel point, quand le vin et le plat s’emboîtent, le plaisir grimpe à des sommets sidéraux. Et le Maury s’adapte avec une faculté qu’on ne soupçonne pas. Pour moi, c’est dix fois plus subtil qu’un Porto.
Comme la tourte et le fromage étaient servis en des portions largement excessives, le dessert au chocolat, une petite merveille, un coulant de « SAMANA » millésimé 2003, pur cacao de Saint-Domingue, cerises Amarena, transforme définitivement nos entrailles en semelles de scaphandriers. Là encore le Maury est pour le chocolat la flûte du charmeur de serpents. Le plomb fondu marron qui coule dans nos palais pourrait paresser. Mais le Maury réussit à le faire chanter. Accord une fois de plus magistral.
Le service est toujours impeccable, attentif et efficace. La cuisine a la maîtrise sereine d’un grand. Alain Senderens, pardon, Senderens, s’est offert un coup de jeune au décor, une simplification des plats et une réduction massive des additions. Saluons le courage d’un grand que son talent mettait à l’abri de toute contestation. Les structures, les concepts évolueront sans doute car cet homme bouillonne d’envie de créer. Mais une chose est sûre, c’est que je le suivrai dans tous les chemins qu’il décidera.
Les hommes politiques ont compris que l’on n’est plus jugé sur son efficacité mais sur des postures. Alors, la France est morose car elle n’est plus gérée. On ne cherche plus la pertinence d’un plan de relance mais ce qui taraude les dîners en ville, c’est la compétition entre des dauphins (c’était écrit avant les émeutes, je l’ai laissé). Ce climat se ressent au Club des Professionnels du vin où l’assistance est clairsemée et attentiste, malgré la qualité des domaines représentés. J’y vais plus pour croiser des amis que pour faire des études thématiques. Comme j’ai la chance que l’on m’indique de bonnes pistes, je découvre ici et là de grands vins. Citons-en quelques uns. Le champagne rosé Deutz 1996, les champagnes Bonnaire et Clouet deux familles liées de Buzy et Cramant, dont un 1992 qui aurait pu figurer dans le peloton de tête du concours du « Spectacle du Monde » (bulletin 154). Le Chablis Moutonne Grand Cru Long Dépaquit de Bichot 2000 se boit bien, un fort intéressant Corton Charlemagne de Chanson égaya le buffet de cochonnailles du Pavillon Dauphine, le Chambertin Bichot 2003 promet beaucoup. L’Armagnac 1945 de Laubade, généreusement offert à la dégustation m’a moins convaincu. Trop torréfié, réglissé à mon goût. Autour des stands, des cavistes, restaurateurs, agents et journalistes ont une approche moins papillonnante que la mienne. Ces salons sont nécessaires.
Le lendemain, une autre « rencontre vinicole 05 » à l’Espace Cardin rassemble une foule plus dense avec des vins de beau calibre, dont plusieurs sont les mêmes qu’au Pavillon Dauphine. Les délicieux champagnes Diebolt-Vallois que j’ai déjà racontés dans des millésimes rares (bulletin 138), de très orthodoxes blancs et rouges de Smith Haut Lafitte qui sont très bien faits, des vins originaux, typés, de Puech Haut, petites bombes d’épices, le Meursault 1999 du château de Meursault, bien marqué Meursault, et le Banyuls de l’Etoile 1993 séducteur comme pas deux.
Le 59ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant Laurent. Je me dirige vers cette belle rotonde que l’on voit de l’entrée, donnant sur le beau jardin aux marronniers complices. Une supernova m’aveugle. Patrick Lair, en m’attendant, a disposé les bouteilles du repas face au jardin, et Yquem 1949 brille comme un lourd diamant jaune sur les doigts d’une fée. Les niveaux des bouteilles sont tous exceptionnels, alors que toutes sauf une n’ont jamais été rebouchées. Le Château Grand Lambert 1924 a été rebouché en 1984. Les bouchons sortent facilement. Celui de l’Yquem s’effrite car il est très imbibé, celui du Nuits 1915, d’origine, fait tomber le monopole qu’avaient les vins de la Romanée Conti, car sous la capsule un fort sédiment sent la terre comme le constatera Christèle, charmante sommelière de précédents dîners, qui s’intéressait, comme Patrick Lair, aux odeurs de ces merveilles. Tous les parfums sont idéaux, pas de menace d’évanouissement et au contraire, il se dégage tant d’envoûtement de la bouteille d’Yquem que je referme bien vite afin que ces senteurs enivrantes soient partagées par tous mes convives. Tout s’est si bien passé, dans l’ambiance amicale de ceux qui préparent un chef d’œuvre, qu’un observateur de passage aurait dit : « c’est si simple que cela ? ».
Je me promène dans le quartier lourd en antiquaires et en boutiques de mode exhibant des robes portées par des déesses de plastique et je reviens pour accueillir les convives. Il y a un journaliste japonais qui rapportera sans doute l’événement à des connaisseurs qui ont une érudition rare, un journaliste d’un grand hebdomadaire qui racontera le dîner (certains d’entre vous l’auront lu), le rédacteur en chef d’une revue professionnelle sur la viticulture qui aura approché une autre vision du vin, des jeunes mordus de mes dîners qui étranglent une nouvelle fois leur cagnotte, mon frère et son épouse qui voulaient voir enfin ce dont on parle souvent en famille car je ne peux m’empêcher de raconter ces aventures, un ami de quarante ans, à l’époque où l’on se disputait les prochaines danses dans des rallyes, entre deux épreuves de mathématiques, et la plus fidèle de ces dîners, qui a probablement assisté à un bon tiers d’entre eux, dont l’enthousiasme est l’un de mes forts encouragements.
Nous prenons au bar une coupe du magnum de champagne Rothschild à Epernay Réserve Vintage 1973 qui surprend par la jeunesse de sa bulle. La couleur est belle et dense, les petits toasts au saumon glissent en bouche avec bonheur et excitent cette belle bulle. Le goût s’est arrondi, concentré, et c’est un vin qui s’est simplifié, mais a gagné une longueur et une expressivité vineuse rares. Je ne m’attendais pas à tant d’élégance de ce champagne que je ne connaissais pas. Nous reprenons ce champagne à table. Il est donc opportun que je vous en donne le menu.
Le menu composé par Alain Pégouret et Philippe Bourguignon : Saint-Jacques marinées dans un lait crémeux au goût fumé, folichonne de concombre et raifort / Cuisses de grenouilles et haricots coco façon blanquette, jus en écume et noix de muscade / Jarret de veau de lait cuit doucement, légumes de chez Joël Thiébault rehaussés d’un jus acidulé / Râble de lièvre rôti au genièvre, mille-feuille de pomme gaufrette au chou rouge / Poire pochée au tilleul de Carpentras, mont-blanc et meringue mi-cuite. Nous nous connaissons tant avec Philippe Bourguignon que j’ai approuvé sa proposition sauf sur un plat. Malgré mon amour inconditionnel du lièvre à la royale et malgré la confiance indéfectible que j’ai pour mon Nuits Cailles 1915, j’ai demandé un râble. Là aussi, l’observateur de passage de tout à l’heure, s’il était revenu pour ce dîner aurait encore dit : « c’est si simple que ça ? », tant tout apparaissait naturel, facile, sans la moindre question.
Entre temps, la bulle du champagne s’évanouissait petit à petit, le champagne devenait plus vineux, et avec le sucré des coquilles Saint-Jacques, l’accord était magique, perturbé par cette folichonne de concombre excentrique mais pas par le raifort qui donnait une excitation justifiée au champagne.
On allait goûter deux vins sur les cuisses de grenouille. Le Saint Saturnin rosé grande sélection, VDQS de l’Héraut cuvée 1959 a une couleur d’un beau rubis raffiné, un pâle de Ceylan. Le nez est renversant de pureté, et j’ai adoré au-delà de l’imaginable ce rosé qui arrivait à exister à coté d’un des monstres sacrés de Bordeaux, le Laville Haut-Brion blanc 1976 qui dans cette année sèche et chaude explose de puissance alcoolique et de complexité. L’émulsion et les haricots coco formaient avec le rosé un accord qui prenait au ventre. Objectivement le rosé allait mieux avec le plat que le Laville, puissant, sûr de lui, qui méritait les vivats pour son talent intrinsèque. Le plat est une merveilleuse mise en valeur des vins.
Comme dirait un présentateur télé, c’est sous un tonnerre d’applaudissement que trois cheminées de centrales atomiques, trois jarrets de veau cuits vingt heures apparaissaient à notre table. J’avais annoncé dans le programme : Château Ausone 1955 avec cette mention : le deuxième 5 est supposé. J’avais bien supputé car le bouchon impeccable et d’origine révéla Château Ausone 1955. L’odeur d’emblée était sensuelle. Ausone nous annonçait : ce coup-ci, je ne joue pas les rosières pudiques, je vous montre ce que je sais faire, et sur la délicieuse viande, un chaud vin de plaisir, rond en bouche, profond comme seuls les grands savent l’être ravit chacun des convives. Et le Magnum de Château Grand Lambert, Veuve Blanchet Ména, Pauillac 1924, comment se comporterait-il ? Il évolua grandement dans nos verres. La première odeur fut plus sensuelle que celle de l’Ausone, le palais étant plus frêle. Puis, on commence à comprendre un peu plus le vin au message subtil. Dire que c’est un Pauillac n’est pas aisé. J’ai eu peur en milieu de bouteille car je sentais le vin qui se fermait, mettant en avant son acidité. Et tout est revenu, le vin s’améliorant encore pour délivrer en fin de bouteille un message de pur charme à la longue trace raffinée. C’est du velours, du tissu délicat à coté d’un Ausone conquérant, une magnifique et rassurante réussite de cette année.
Ma belle-sœur qui a vécu toute sa jeunesse à Bordeaux, a tété le Bordeaux à sa source, allait avoir un de ces chocs tragiques, quand des vérités que l’on croyait intangibles s’effondrent sur une gorgée de vin. Le Nuits les Cailles, Morin Père & Fils 1915, le même que celui qui avait séduit Alain Senderens il y a quelque temps (bulletin 45), est tellement parfait qu’on ne peut plus ignorer la grandeur de la Bourgogne. Le râble lourd, goûteux forme avec ce vin extraordinaire un accord viril. Comment expliquer quand un vin a tout pour lui. C’est George Clooney invité dans un pensionnat de jeunes filles. C’est Catherine Zeta-Jones arrivant dans une réunion de collectionneurs de timbres. Toutes les dentelures vont s’écorner. Jeune de couleur dans sa bouteille soufflée très ancienne et lourde, au nez précis de pur bourgogne, ce vin a tous les dons, dont celui de l’exactitude de ton. Difficile d’ajouter des caractéristiques quand on a la définition précise du bourgogne que l’on désire.
Le sauternes Joanne, appellation contrôlée, que j’ai situé vers 1950 a été l’objet d’une question que Patrick Lair a posée à Olivier Castéja, en lui décrivant l’étiquette au téléphone. De recoupements effectués on peut penser qu’il est de 1950 à 1955, avec cette jolie inscription : « expédié en cercles par Joanne ». En cercles, on peut supposer à bon droit que c’est en fûts. Le vin a une couleur qui ne pâlit pas à coté de celle d’Yquem, mais par précaution on va le boire avant, sur un délicieux dessert qui répond à mes désirs, car il n’y avait que trois saveurs, toutes complémentaires. Une poire délicate qui montrait tout le coté virginal et frêle du Joanne, une crème de châtaigne qui le renforçait et un marron glacé qui lui, allait affronter l’Yquem. Beau sauternes générique de pur plaisir comme le fut le rosé du début de repas. Quand Château d’Yquem 1949 arrive, on se tait. Cet or profond comme de l’acajou blond, ce parfum inimitable que seul Yquem possède, et puis en bouche, ce lourd jus de pure jouissance à la persistance infinie. C’est précis comme la Vénus de Milo, attirant comme le sourire de Laetitia Casta, et solennel comme le couronnement de Napoléon 1er. Il y a tout dans ce vin là.
Les votes de premier couronnèrent cinq fois Yquem, trois fois le Nuits Cailles, une fois Ausone et une fois le Laville Haut-Brion. Les plus votés furent Yquem, Nuits Cailles, Ausone et le champagne.
Mon vote personnel fut dans l’ordre : château d’Yquem 1949, Nuits Cailles Morin 1915, Champagne Rothschild 1973 et le rosé Saint-Saturnin 1959. Bien sûr, le rosé n’a pas la classe ni d’Ausone, ni du Laville Haut-Brion. C’est donc par pure coquetterie que je veux honorer ce sans grade du fait d’un accord merveilleux avec les grenouilles. De même, l’émotion était plus rare avec le Nuits Cailles 1915 qu’avec l’Yquem. Plus inespérée, plus inattendue. Mais l’Yquem est tellement parfait que je voulais primer cette forme ultime de l’accomplissement du vin.
Des plats merveilleux d’une simplicité sereine, un service du plus haut niveau. L’un des plus beaux accords de dessert et sauternes, puisque c’est souvent la partie qui pèche le plus, quand le pâtissier fait un dessert comme un dessert et non pas comme un goût adapté au sauternes. Des vins sublimes, une atmosphère joyeuse. Comme après chaque dîner on se dit que ce fut le plus grand.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
Une réalisation Mentions légales L'excès d'alcool est dangeureux pour la santé - Consommez avec modération  © Wine-Dinners