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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°41
21/06/2005 - 144 - magnifiques réceptions en bordelais
Je suis toujours avec mes amis américains que j’ai virtuellement connus sur un forum internet. La mémoire encore vivace de l’accueil d’une irréelle gentillesse au château Margaux donne à mes lèvres la courbure d’un sourire de nouveau-né.
La visite au Château Haut-Brion s’apparente aux visites calibrées. C’est une hôtesse en charge des visites qui nous reçoit. Le charme du lieu, la majesté qu’exprime ce grand vin font qu’on oublie le format stéréotypé. Quand on boit les vins, on est sous le charme. Le Bahans Haut-Brion 1999 est particulièrement bon pour un second vin. Le Haut-Brion 1999 est évidemment bon et traditionnel. Il n’a pas tout à fait le panache qu’il pourrait avoir, ce qui paraît encore plus clair en buvant le Haut-Brion blanc 1999 qui est absolument exceptionnel. C’est magiquement bon, frais en final, donnant l’envie d’en reprendre. Un très grand blanc.
Nous sommes accueillis à Malartic Lagravière par Jean-Jacques Bonnie, propriétaire et fils de propriétaire. Il est chaleureux, très explicatif et nous commente les investissements avant-gardistes consentis dans la propriété. C’est impressionnant. C’est Beaubourg dans les chais. Nous goûtons le Malartic-Lagravière 2000 que je trouve extrêmement élégant. Oserais-je le dire, il m’a donné plus de plaisir que le Haut-Brion 1999.
Dans le château, dont l’intérieur a été agencé pour le plus grand confort possible, comme seuls les belges sont capables de le concevoir, des tables ont été dressées et un menu intelligent, remarquablement exécuté va mettre en valeur les vins. Le Malartic Lagravière blanc 2003 est catapulté par la tarte fine feuilletée à la sardine à un firmament gustatif. Ses saveurs citronnées, sa jolie complexité sont mises en valeur.
Je trouve le Malartic Lagravière 2001 plus moderne que le 2000. Le 2000 est élégant, subtil, quand celui-ci est plus scolaire, concentré, moderne. Est-ce une tendance ? Le 1990 porte déjà des traces d’âge. Il manque d’oxygène, aussi ne verrai-je que lentement un bien élégant vin un peu léger s’ouvrir à la vie. L’hospitalité que nous reçûmes, franche, sincère, directe fut un véritable cadeau.
L’arrivée à Yquem est toujours un moment émouvant. Il fait beau, la nature croule sous le poids d’un chaud soleil. Les roses embaument les allées. Je salue des personnes connues avec plaisir, et la visite va se faire avec Sandrine Garbay, tonique et compétente vinificatrice, maître de chai d’Yquem. Nous nous retrouvons avec joie. Mes amis entendent des propos structurés sur le plus grand vin du monde. Nous buvons le 1999, un Yquem classique, sans aspérité particulière, sans une once de folie, mais plus agréable que le dernier que j’ai bu. L’ambiance est à la gaieté, et l’émotion unique de ce temple pénètre chacun de mes amis américains, canadiens, suisses et allemands.
Un petit trajet en car et nous voici à Fargues où Alexandre de Lur Saluces nous accueille, coiffé d’une casquette que ne renierait pas un djeune de banlieue. Historique des lieux, explication des techniques, visite des chais sont des précisions que l’on goûte d’autant plus qu’Alexandre mêle forcément Yquem à son discours car il lui a consacré sa vie. Et on recoupe l’influence qu’a naturellement eue Alexandre sur la vision de Sandrine dont les propos reprenaient des convictions du Comte. Nous nous rendons dans sa maison où nous goûtons d’abord Fargues 1999 que des américains préféreront à Yquem 1999, ce que je ne partage pas. Fargues est plus typé, iodé, épicé, mais Yquem est Yquem.
Le Fargues 1988 est doré comme un coing, dense comme le plomb, chaud aux lèvres, avec des notes épicées et une longueur suave infinie. Décidément, notre groupe est particulièrement choyé.
Devant nos yeux, des vaches bazadaises à la robe d’un gris distingué paissent consciencieusement. A goûter ces grands vins avec une hospitalité inoubliable, on se prend à aimer cette nature au charme poétique.
Quand on programme des visites, on veut trop en faire. Nous arrivons au château Rollan de By avec un extrême retard. Jean Guyon arbore un sourire naturellement accueillant malgré cet écart. Nous visitons ses chais à toute vitesse car il suffit à Jean de quelques mots pour synthétiser ce que l’on doit savoir, quand d’autres domaines jouent la montre en décrivant des détails qui sont particulièrement loin des préoccupations de l’amateur. La dégustation de ses jeunes vins est assez bluffante. Bien sûr il n’y a pas la complexité de certains vins, mais c’est franchement bon. Ici ou là on verra du modernisme. Je l’ai trouvé suffisamment intelligent pour ne pas tomber dans l’excès. Il y a du beau travail qui est fait. Le dynamisme entrepreneurial de Jean Guyon se voit dans chacun de ses mots. On peut imaginer que cela indispose certains. Force est de constater qu’il bouge dans le bon sens. Cette liberté de ton, cette décontraction se verront au dîner à son domicile, car il nous a traités en amis, comme le fit Corinne Mentzelopoulos à Margaux et Jean Jacques Bonnie à Malartic Lagravière. Si mes amis américains s’imaginent que c’est toujours comme ça, leurs prochaines tentatives montreront comme ils furent gâtés pendant cette semaine inoubliable.
Dans les chais nous avons bu : château Tour Séran 2002 fort plaisant pour un vin d’entrée de gamme, château La Clare 2002, château Rollan de By 2002 et château Haut-Condissas 2002. Faciles en bouche, de complexités croissantes, fort agréables. A table au château, après un champagne Ayala 1996, le château Rollan de By 1993 en double magnum montre une séduction particulièrement remarquable pour un vin de cette année. C’est intelligent et plaisant. Le Haut Condissas 1997, lui aussi en double magnum est brillant. Un nez de grand vin, une élégance particulière. Jean Guyon réussit là une belle démonstration de la valeur de ses vins. Il nous avait autorisés à apporter nos propres vins, ce que nous fîmes. Il convient de remarquer que Jean Guyon avait annoncé que contrairement à moi il n’aimait que les vins jeunes. Quand il but à l’aveugle un délicieux Ducru-Beaucaillou 1959 (qu’il reconnut, bravo) et un château Pavie 1964 d’une rare perfection et quand il s’enticha de ces deux vins, j’ai douté de ses pétitions de principe contre les vins anciens.
Nous faisons l’expérience d’un Penfold BIN 389 Cabernet Shiraz australien 1998 qui titre 14,5°. Etrange jus de cassis aux notes mentholées que certains appellent du vin. J’offre à mes compagnons de voyage une Commandaria de Chypre 1909 au nez exquis, au lien de parenté très fort avec les Chypre 1845 dont j’ai de nombreux exemplaires. C’est un vin que j’adore, fait de saveurs doucereuses évoquant les pruneaux et les coings. La trace en bouche est infinie. Mes amis n’ayant pas de repère furent un peu désemparés. Nous fîmes une comparaison avec un Maury Mas Amiel 1985. Il est amusant de constater les points communs entre les deux vins, le Chypre brillant par sa longueur immense et sa complexité. Ayant débouché la bouteille, j’avais encore le lendemain la trace de ce parfum sur mes mains, comme cela m’arrive avec les plus vieux Chypre. Les notes de réglisse abondent.
Jean Guyon nous a traités en amis, car c’est son caractère.
Je sèche la visite de Pavie Macquin pour qu’un sommeil compensatoire remette la machine en marche et je rejoins le groupe, après des visites dans des caves de Saint-Émilion fort fournies, au restaurant « L’envers du décor ». Dans une courette, ceinte de murs plusieurs fois centenaires, collée à une église, notre tablée joyeuse résonne de mille rires. L’un de nous a organisé une dégustation commentée de petits vins expérimentaux dont un claret qui veut reconstruire le vin de Bordeaux du 17ème siècle. Cela se fit sans moi, sauf pour un Gaillac doux 2003 de cépage Mauzac roux dont la bouche valait mieux que le doucereux que le nez annonçait.
La visite à Clos Fourtet fut érémiste puisque nous ne bûmes que le 2004 encore dans ses langes. Les caves creusées dans la pierre valent le détour, ainsi qu’une des remarques les plus sincères de la femme du maître de chai : on a des cuves en inox, parce que le bois, c’est trop cher. Peu de domaines osent cette franchise.
Le Comte Stephan von Neipperg nous reçoit pour visiter Canon La Gaffelière. Un long exposé sous le soleil de plomb dans les vignes nous fait toucher du doigt que le travail de la terre et de la vigne n’est pas de tout repos. D’un humour fréquent, incisif, intelligent, le Comte fait des considérations brillantes sur le vin et la façon de le faire. Sous un immense magnolia du château un Pol Roger délicat étanche notre soif. Le dîner dans une belle salle de garde avec Stéphane Derenoncourt et Nicolas Thienpont nous permet de découvrir Domaine de l’A 2000 de Stéphane Derenoncourt que j’avais rencontré lors de la dégustation de ce miraculeux Gaffelière 1904, le Château Bellevue 2001, le Pavie Macquin 1998, le Canon La Gaffelière 1996 absolument délicieux et meilleur à mon goût que La Mondotte 1997 que le Comte préfère. Le premier est authentiquement bordelais quand le second est moderne. Stephan nous fait l’honneur de faire ouvrir Canon La Gaffelière 1950 absolument délicieux, dont le goût n’est évidemment pas dans les recherches actuelles du Comte, mais représente un témoignage du plus bel intérêt.
Le repas de traiteur est absolument délicieux : homard qui est du homard, lapin (original en bordelais, mais Stephan l’est) à la chair intense. Après la dernière bouchée, d’immenses cigares pointèrent vers le ciel, créant un nuage cubain de la plus belle senteur.
L’hôtel de Plaisance à Saint-Emilion est toujours charmant. J’ai une chambre dont la terrasse est ouverte sur la vallée. De toutes parts je ne vois que de la beauté. Le service est parfait et le petit déjeuner d’un raffinement poussé. A signaler.
Visite à Eglise-Clinet. Manifestement, il n’y a aucune envie de nous séduire. Les tableaux de l’épouse du maître des lieux créent une ambiance survoltée. On nous fait goûter plusieurs vins extrêmement modernes avant d’avoir le 2004 du grand vin, plutôt agréable, même s’il est dur à boire. J’apprends peu après que le magnum de 1996 nous a été facturé à un prix coquet. Ce voyage aura montré des générosités diverses.
Nous déjeunons dans un petit bistrot sympathique à Saint-Émilion et je conduis trois ou quatre fidèles chez un vigneron qui m’avait vendu quelques pépites (bulletin 136). Ils profiteront de bonnes aubaines sur des 1929, 1949 et 1947 de très grands vins à des prix inconnus aux USA.
Je ne voulais pas rater la visite du laboratoire de Michel Rolland que le film Mondovino avait sinon immortalisé puisque le film sera rapidement oublié, mais au moins montré. Intéressante présentation d’un des œnologues, Ludwig Vanneron qui se prête volontiers aux échanges et explique bien. On sent le discours prudent depuis la caricature de Mondovino. Nous goûtons ensuite plusieurs vins de l’écurie Michel Rolland. Je suis étonné par la douceur de certains d’entre eux, leur donnant du charme, et par l’agressivité moderniste de quelques autres. De cet échantillon, c’est de loin le château Bon Pasteur 2000, propriété historique de la famille Rolland qui me plait le plus. C’est un très bon vin. Y aurait-il du Jekill et du Hyde dans le « flying wine maker » ? Ce serait intéressant de comprendre pourquoi son nom est attaché à des vins délicieux et à des vins extrêmes.
Le Relais de Margaux est un gigantesque domaine pour golfeurs. C’est particulièrement impersonnel. Le quart de bouteille d’eau (demie de demie) à 4 euros va-t-il me faire aimer le vin ?
Accueil chaleureux à Château Palmer par le jeune et dynamique directeur général Thomas Duroux dont la forte expérience s’est bâtie chez Mondavi et Ornellaia. Son discours dans les chais est brillant, d’une grande clarté justifiant les choix et les options que prennent les vignerons. Ayant en main une coupe de Bollinger spéciale cuvée, nous arpentons les vignes pour admirer le château, maison d’apparat, vu du cœur du terroir.
Dans une salle des innombrables annexes du château nous partageons le dernier dîner officiel de notre groupe d’amoureux du vin. Le repas est fort intelligent. La lamproie met en valeur l’Alter Ego de Palmer 1999 qui montre une structure fort agréable. On se dit alors qu’il vaut plus que d’être un second vin, mais le Palmer 1996 explique pourquoi. Vin opulent, à la texture d’une finesse raffinée, ce vin à la jeunesse folle est éblouissant. Il est magnifique comme il est là. Il se bonifiera bien sûr. Mais à ce stade on le goûte bien. Le Palmer 1989 qui avait été peu aéré m’apparaît plus vieux que son âge. Il a des caractéristiques de vin âgé, alors que le Palmer 1981 est impérial de sérénité. C’est le joli vin épanoui. Mes amis américains n’ont pas du tout le même jugement sur la fatigue du 1989 et je comprends volontiers que pour eux, admettre que le 1981 puisse être au dessus du 1989 demande peut-être trop d’effort.
Mes amis américains et européens se souviendront de l’accueil de Bernard Hervet à Beaune avec des vins vénérables, de la gentillesse de Jean-Jacques Bonnie à Malartic-Lagravière, du sourire et de l’immense réception de Corinne Mentzelopoulos à Margaux, de la simplicité chaleureuse de Jean Guyon à Rollan de By, de l’accueil d’Alexandre de Lur Saluces et de toutes ces uniques occasions de partager des vins de légende. Cette semaine comptera éternellement pour tous les membres de notre groupe. Je ne fus pas le dernier à être émerveillé. Quels vins retenir de tout cet invraisemblable parcours ? Le Beaune Bouchard 1906, le Montrachet Bouchard 1961, le Haut-Brion blanc 1999, le Chypre Commandaria 1909, château Margaux 1995 (plus que le 1961 évidemment bon), Palmer 1981, Pavie 1964, le Pommard Rugiens Bouchard 1929, château de Fargues 1988, Haut-Brion 1990, Haut-Brion 1970 en magnum, Harlan Estate 1994, Laville Haut-Brion 1988, Ducru Beaucaillou 1959, Canon La Gaffelière 1950 forment un programme à faire rêver tous les amateurs de vins.
Il avait été prévu que le voyage des américains se termine par un dîner « à la façon » de wine-dinners. Les discussions de mise au point ayant changé plusieurs fois, le nombre de participants changeant souvent lui aussi, le dîner eut lieu le jour prévu mais seulement pour une table de huit, comptant deux américains, un canadien et cinq français.
La Grande Cascade, un samedi, a toujours un air de fête. Les communions, les mariages, les célébrations familiales vissent les convives à leur siège tard dans l’après-midi. On vient donc me voir ouvrir les bouteilles avec les commentaires de circonstance : « c’est pour nous ? » ou « on peut goûter ? ». L’odeur du Haut-Brion blanc 49 ainsi que celle du Pétrus 64 sont extrêmement distinguées, celle du La Gaffelière 53 est toute de sensualité. J’avais peur du Yquem 40 à la couleur un peu grise, mais son odeur est épanouie. Tout se présente bien. Avant le repas je vais faire visiter ma cave principale aux amis américains, et comme il est d’usage, je prélève une bouteille qui sera rajoutée au dîner. Comme ces américains, grands collectionneurs, sont très attirés par les vins de grand prestige, je jette mon dévolu sur une Clairette de Die en annonçant la couleur : c’est sans doute l’une des bouteilles les moins chères de ma cave.
Hitchcockien dans l’âme, je ne résisterai pas au plaisir de vous dire : la suite de ce grandiose dîner est au prochain numéro.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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