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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°53
30/01/2006 - 167 - dîner au Pré Catelan
Chez des amis, un champagne Bollinger RD 1975. La première bouteille est un peu fatiguée. La deuxième est grande, témoignage d’un savoir-faire rare. Sur des joues de porc au pain d'épices, jus au thé, accompagnées de légumes oubliés, je n’arrive pas à reconnaître à l’aveugle un Hermitage la Chapelle Jaboulet 1985 alors que je l’ai souvent bu. Une Côte Rôtie La Turque 1997 Guigal est toujours aussi agréable, car une année calme lui va bien.
J’arrive au restaurant du Pré Catelan pour ouvrir les bouteilles du 62ème dîner de wine-dinners. Une chose me trotte dans la tête. Je venais de déjeuner chez Laurent il y a quelques jours et j’y avais rencontré par hasard Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde, conseiller du groupe Lenôtre. Il m’avait dit alors : je vais mettre les deux rouges de 1979 ensemble et les deux anciens ensemble. Si je ne l’avais pas croisé, je n’aurais pas été prévenu ! Opposer sur un plat un bordeaux et un bourgogne, et ce deux fois de suite, j’accepte, car on apprend de chaque expérience. Ce sera une première, j’en tirerai des leçons. Mais finir le repas sur un Gewurztraminer quand il y a Yquem au programme, là, c’est osé !!!
Je veux vérifier à l’ouverture si cette innovation se justifie. Le Gewurztraminer est une explosion d’odeurs. C’est du litchi alors qu’on lui destine un dessert à la mangue. Voilà qui va encore compliquer les choses. L’Yquem dégage un parfum d’une telle distinction qu’on ne voit pas pourquoi ne pas lui donner le mot de la fin. D’autant qu’un fromage calmerait l’ardeur du tout fou Hugel, quand la mangue irait logiquement au cœur d’Yquem, aux arômes de mangue et abricots si rassurants. Comme j’aime les découvertes, les innovations, nous verrons.
La plus belle bouteille, malgré la déchirure de l’étiquette, c’est celle de Domaine de Chevalier blanc 1947 (voir ci-dessus). Et les senteurs les plus éblouissantes sont celles de La Conseillante 1947, d’une pureté de ton invraisemblable, et celle du Grand Chambertin, odeur prodigieuse. Ces deux vins seraient à montrer dans les écoles, pour qu’on puisse apprendre ce qu’est une odeur parfaite. Assis devant ces deux flacons d’immédiat après-guerre, La Conseillante 1947 et le Grand Chambertin qui est de 1919 et non de 1929 comme annoncé, je suis songeur : j’ai devant moi ce qui peut se rêver de mieux, si l’on pense à l’odorat. Et ça me suffit. Je n’y trempe pas mes lèvres, ce sera pour ce soir, mais ces senteurs quasi irréelles me comblent de bonheur.
Le Henri Jayer attend son heure et n’en révèle pas trop. Le Las Cases, lui aussi, cache ses cartes (il a un joli bouchon efficace). Le Rayas a déjà le pied sur l’accélérateur.
Frédéric Anton est venu plusieurs fois sentir ces vins magiques et cela me plait qu’un chef s’y intéresse. Ce fut sans doute une des plus belles séances d’ouverture des vins, moment que j’apprécie, car je vois comment chaque vin se présente, dans le simple appareil olfactif de sa sortie de sommeil, et je m’en souviendrai quand il fera son exposé, orateur à la voix posée quand le plat le lui demandera. L’émotion des ouvertures est enrichissante et très forte pour moi.
Le menu mis au point par Frédéric Anton et Olivier Poussier est le suivant : Amuse-bouche, Royale de foie gras / Oursin, fine gelée au paprika, aromates vinaigrés, Zéphyr / Langoustine, préparée en ravioli, servie dans un bouillon à l’ huile d’olive vierge, au parfum « Poivre et Menthe » / Os à moelle, l’un parfumé de poivre noir et grillé en coque, l’autre farci d’une compotée de chou à l’ancienne, mijotée dans un jus de rôti / Truffe, tarte croustillante, petits oignons confits / Chevreuil, poêlé, sauce poivrade « Poivre et Genièvre », pâtes au beurre demi-sel et truffe noire / Fromages bleus / Mangue aux épices. C’est une très large palette des talents de Frédéric Anton.
L’assemblée est composée d’un couple de luxembourgeois amateurs de vins, d’un ami grec et armateur, ce qui est presque un pléonasme, accompagné d’un autre armateur mais canadien, une journaliste qui travaille pour une revue américaine de luxe, la plus fidèle participante de ces dîners arrivée la première pour une fois (une première !) et son ami qui accueillaient un autre couple. A part mon amie, huit novices de ces dîners ont repoussé de très loin l’année du plus vieux vin qu’ils aient jamais bu.
Le Champagne Pâques Gaumont (Trépail) Brut SA que je situe vers les années 70 montre qu’un champagne profite de l’âge. Il a gagné une harmonie, un équilibre de ton qui lui donnent du charme. Une trace finale qui m’évoquait un fruit confit à la fraise se mariait courtoisement avec le foie gras et son délicat bouillon. Le Champagne Dom Pérignon Œnothèque (dégorgé en 2002) 1988 est une bouteille magnifique. Le nez est expressif, la bulle est belle et fine, et sa classe est évidente. La gelée d’oursin est divine, et donne du Dom Pérignon une image iodée. La fine crème à la granny-smith appelle une autre facette de la personnalité de ce beau champagne. Le plat est absolument exquis, mais cette dissection qui est faite du champagne lui enlève un peu de son ampleur et de sa longueur. Plutôt que l’analyser, j’aurais volontiers opté pour un plat qui le propulse. Car il en a à dire, ce champagne éblouissant !
Le Château Rayas blanc Châteauneuf du Pape 1997 est un animal piaffant. Il a de la réserve. Quelle puissance pour son année. Il démarre sur du miel, du pain d’épices, et fort astucieusement, le ravioli de langoustine libère des accents plus distingués où l’on perçoit du thé. Cet accord m’excite beaucoup plus, car le plat fait dire au Rayas des choses qu’il n’avait pas envie de dire. Il est surpris, attaquant en force, de devoir trousser le madrigal devant Madame du Deffand.
J’avais prévenu mes convives qu’avec le Domaine de Chevalier blanc 1947, plus aucun repère gustatif n’existe. La couleur est d’un brun assez rose, le nez est envoûtant d’épices, et en bouche, la complexité est immense. On ne reconnait plus rien, et pourtant, cela m’a valu d’entendre deux commentaires radicalement opposés. Le premier : « c’est déroutant, mais au moins on reconnait le Graves ». Et l’autre : « à l’aveugle, je dirais sans hésiter un Sauternes ». Comme quoi… Je penche plutôt pour une gamme de goûts vers les Barsac secs. Avec la délicieuse moelle, un « must » de Frédéric Anton, l’accord est d’une justesse parfaite. Les saveurs innombrables de ce plat goûteux et délicieux font chanter le blanc sec inclassable. Un tel accord est un dépaysement absolu, car il n’existe aucun point de comparaison.
Olivier Poussier avait vraiment chahuté tous mes programmes. J’attendais les Bordeaux d’abord, et il mélange les régions. L’ayant accepté, j’attendais les jeunes d’abord, et voilà que David, excellent sommelier, sert le Château La Conseillante Pomerol 1947. Je veux l’arrêter. « J’ai eu des instructions » me dit-il. Alors, allons-y. La truffe noire est expressive. Mais les deux vins qui l’accompagnent sont de véritables chefs-d’œuvre. Je n’ai jamais bu une Conseillante de ce niveau. Immense, absolument immense. Si on cherche, on va évidemment trouver un cousinage avec l’impression de fort Porto du Cheval Blanc 1947. Mais cette Conseillante est d’une élégance ! Au premier contact en bouche, La Conseillante me parait plus ferme sur ses positions que le Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919. Mais attention ! dès qu’il s’ébroue, il n’y a pas de plus grand vin. Une émotion, une persistance aromatique, une longueur, une sensualité, une mâche de gamin, tout cela se récite pour notre émerveillement. Qui dira qu’un vin de 86 ans peut être aussi expressif ? Nous avions deux vins absolument immenses et je ne suis pas d’accord sur le choix de l’ordre des vins : il faut séparer bordeaux et bourgognes, parce que la juxtaposition des deux n’apporte rien à chacun, et il faut finir avec les plus miraculeux. Si l’on donne le nom de l’assassin en plein milieu du film, comment Hitchcock va-t-il maintenir le suspense ? Nous avions, sur la truffe, deux vins éblouissants, où l’échelle de Parker devrait inventer de nouveaux barreaux.
Par une chance qui n’arrive qu’à ceux qui la méritent, le Léoville Las Cases 1979 se présente avec une qualité inimaginable pour son année. Charnu, joyeux, il rit sur un chevreuil délicieux. Ce vin a une densité que je n’attendais pas. Tant mieux. En revanche, le Vosne Romanée Cros Parantoux Henri Jayer 1979, dont on devine toute la subtilité de sa création, joue un peu à contrecœur. Ce n’est pas le flamboyant que l’on attendrait. Mais c’est évidemment un très grand vin. Et là aussi les deux régions se boudent, alors que le plat voudrait les réconcilier.
L’arrivée de Château d'Yquem 1960 est comme un phare qui illumine un monde de joie. Quel or pur ! Ce 1960 est magnifique. En ne l’associant qu’à des fromages bleus, on lui donne un beau tremplin mais qui ne lance que dans une direction. Abricot, confiture de fruits jaunes, il eut fallu aussi le chatouiller par un dessert. Ce fut le rôle dévolu au Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997 qu’Olivier avait voulu après Yquem, du fait de sa puissance. Olivier a raison, ce Gewurz est une bombe. Je le trouvais litchi au premier nez, mais avec le très intelligent dessert, l’accord se fait. Mais le vin est tellement complexe que je pense immédiatement à des plats qui s’opposent à lui au lieu de l’épouser. Ce vin mérite des provocations culinaires fortes. A lui les anguilles fumées, pour qu’on voie ce qu’il a dans les tripes. Mais évidemment, là où il est, le dessert a sa pleine justification.
Il est temps de voter, et l’on a le choix. Aussi, tous les vins sauf le Rayas eurent au moins un vote. Pour le Rayas, c’est normal, c’est l’enfant le plus sage de la classe, qui brillerait au milieu de vins jeunes. Le Grand Chambertin a eu sept votes dont quatre de premier, La Conseillante a eu neuf votes dont trois de premier, Yquem a eu six votes dont deux de premier et le Domaine de Chevalier a eu cinq votes dont un de premier. Et le petit champagne de début a eu un vote, un vote de premier.
Mon vote a été le suivant : Grand Chambertin Sosthène de Grévigny 1919, Château La Conseillante Pomerol 1947, Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles Hugel 1997, Léoville Las Cases 1979. J’ai voulu encourager l’alsacien et le jeune Léoville, même si cet Yquem 1960 fut immense, car j’avais envie de mettre en valeur des performances au dessus de ce que j’attendais.
L’atmosphère de ce groupe cosmopolite fut charmante, enjouée, décontractée, passionnée. La cuisine fut d’une belle exactitude même si peu d’accords m’ont fait bondir de bonheur sur ma chaise, comme ce fut le cas souvent lors du précédent dîner avec Frédéric Anton, et l’ordre des vins va justifier un débriefing d’après match avec Olivier Poussier, car j’ai perçu ses intentions toutes justifiées, qui méritent d’être examinées à l’aune de la ligne directrice de mes dîners.
Une cuisine sereine que j’apprécie, un service efficace, une passionnante soirée avec des convives avides d’apprendre. Une atmosphère rare de pure joie.
L’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm a un club d’œnologie assez structuré et actif où se succèdent les plus grands vignerons qui enseignent à ces élèves brillants des matières peu scolaires. L’animateur de ce groupe me contacte pour que je parle des vins anciens. Quand j’apprends qu’Alexandre de Lur Saluces présentera Fargues, la perspective de le revoir en cette circonstance emporte la décision et je dis oui à cette aimable invitation. Une trentaine de jeunes gens de bonne compagnie, où la parité est nettement plus affirmée que dans le monde politique va apprendre Fargues de l’homme qui connait le mieux le Sauternes. Son exposé est précis, captivant, où se mêlent des souvenirs d’Yquem avec l’histoire de Fargues et nous prêtons nos lèvres à de précieux sauternes.
Le 2001 a un nez très jeune, de sucre imbibé d’eau. Il suggère et annonce le citron, le beurre et le miel. En bouche l’attaque est magnifique. Le vin investit la bouche. Il est très pur. Il est grand. Il y a des épices, du poivre, de l’écorce de citron. Le final est de sucre, fruit confit, mangue, ananas confit. Ce vin trop jeune pourrait quand même se boire à table.
J’écris mes notes très vite, le vin à peine installé dans le verre, car je veux ne pas être influencé par le discours d’Alexandre de Lur Saluces, qui conditionnerait ma vision. Aussi l’évolution dans le verre va changer mon optique : le nez du 1997 est plus joli, bien sûr, que celui du 2001. Mais il est plus sec. Le nez évoque la couleur verte, comme l’artichaut. L’attaque en bouche est élégante. Mais le vin n’est pas très vaste. Il est assez réservé, linéaire, un peu éteint. C’est un peu trop sucre fondu, bonbon, à mon goût. C’est sans doute une phase ingrate du vin.
Le 1990 a un nez superbe, à peine écorné d’une petite amertume. La bouche est joyeuse. Poivre, anis étoilé, sur un support diablement bon. L’acidité et le sucre sont bien assemblés. C’est un vin frais en bouche, très miel, qui appelle des audaces culinaires. Le 1983 a un nez fort. Nettement moins sucré, il est très beau. La bouche a les constantes de Fargues, faites de miel, de caramel et de poivre. La trace est profonde et élégante. Je me dis que le fruit confit qui la sous-tend est vraiment élégant. Moins culinaire que le 1990, mais suffisamment énigmatique pour entraîner les suffrages. L’animateur du groupe fit exposer les préférences de chacun. J’ai constaté la diversité des opinions, comme celle que l’on retrouve dans les votes lors de mes dîners. Le charme du 1983, mais sans doute aussi l’année, qui est celle de la naissance de beaucoup d’élèves, a fait pencher la balance en sa faveur. Je fus de ce camp, classant ainsi le 1983, le 2001, le 1990 et le 1997.
Je voulais apporter un vin qui ne puisse pas voler la vedette à Fargues. J’ai choisi un vin jaune d’Arbois de Henri Maire de 1982. Ayant écouté les commentaires de chacun des présents, je me demandais s’ils allaient accepter un vin aussi difficile. Environ un quart d’entre eux avaient déjà bu des vins du Jura. La surprise fut forte pour beaucoup. Un délicieux Comté fit le reste : une majorité apprécia ce breuvage qui me plait tant. Je présentai ensuite ma passion et mes objectifs pour les vins anciens, mais ce discours avait quelque chose d’un peu irréel pour des jeunes qui s’initient aux vins actuels. Leur intelligence, la gaieté de la réunion ont permis que le dialogue se crée. J’espère avoir donné des envies à condition que la passion ne les détourne pas de leurs études. Leurs priorités doivent rester dans ce domaine là. Je réserverai des places aux prochaines séances de l’académie à quelques uns d’entre eux.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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