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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°55
14/02/2006 - 169 - académie des vins anciens
Dernière nouvelle : l’Assemblée Nationale vient de discuter d’un projet de loi visant à souligner, au nom de la République, le « rôle positif » qu’aura joué l’académie des vins anciens, lors de sa séance du 26 janvier, pour la compréhension du goût des vins historiques.
Nous étions 52 académiciens, forts de 47 vins à partager, apportés par de très nombreux présents mais aussi par des sympathisants qui voulaient marquer leur engagement. Une mention particulière doit être faite à un ami suisse, qui devait assister à la réunion d’octobre 2005 avec une bouteille de Domaine de Chevalier 1924. Obligé d’annuler sa participation alors que la bouteille était en route, il m’avait dit : « buvez-la quand même, en pensant à moi ». Des caprices de transport ont voulu que la bouteille arrive une semaine après l’académie. J’ai demandé à mon ami s’il voulait que je garde la bouteille pour lui. Sa réponse fut belle : « tu en fais ce que tu veux, elle est à toi ». Elle fut donc présente à cette séance de l’académie, malgré sa nouvelle absence. J’ai signalé la générosité de Marc Breitenmoser.
Les bouteilles sont de valeurs historiques différentes. Je n’avais défini aucun critère d’âge, privilégiant la spontanéité des apports des académiciens. L’affectation des bouteilles en trois groupes distincts a demandé un dosage calculé. J’ai parié que chacun serait satisfait. Il y a en effet dans chaque groupe de quoi satisfaire les palais les plus exigeants. Voici ce que trois groupes ont bu, dans l’ordre de service (lisez le bien, car c’est impressionnant) :
Groupe 1 : champagne Léon Camuzet ; Champagne Salon 1959; Château Gilette bordeaux sup 1958, blanc sec; Chassagne Montrachet 1966 de Thorin; Magnum Château Olivier 1990 ; Lafon-Rochet 1972 ; Lynch Bages 1983; Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1982; château Figeac 1925; Corton Rouge Les Languettes Dom Bichot 1977 ; Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1942; Musigny "Grand Vin de Bourgogne" 1929; Côtes du Jura blanc Savagnin Perron 1985; Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1915; Château Rabaud 1945 ; Château d'Yquem 1937.
Groupe 2 : champagne Léon Camuzet ; vin nature de champagne 1950; Magnum Château Olivier 1990; Chablis 1er cru Montée de Tonnerre Jean Quenard 1950; Criots Bâtard Montrachet Jaboulet Vercherre 1988; Tokay Hugel 1928; Cos d'Estournel 1973; Château Phélan Segur 1964; Chasse Spleen 1961 ; La Mission Haut-Brion 1955; Château Latour 1955; Domaine de Chevalier 1924; Chambolle Musigny les Amoureuses Dom Ropiteau 1964 ; Volnay 1er Cru Bouchard Père & Fils 1957 ; Gewürztraminer 1976 Sélection de Grains Nobles Hugel ; Suduiraut 1945.
Groupe 3 : champagne Léon Camuzet ; vin nature de champagne 1950; Bouzy Delamotte 1933; Côtes du Jura blanc Marcel Blanchard 1964; Corton Charlemagne Louis Jadot 1949 ; Carruades de Château Lafite-Rothschild 1958 ; Vieux Château Certan 1973; Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1964; Château Malescot Saint-Exupéry 1934; Chambolle Musigny Amoureuses domaine Clair-Daü 1977 ; Pommard 1929 Prop ou Nég inconnu; Côte-Rôtie Chapoutier 1989; Château Climens 1989; Maury vignerons de Maury 1959; Alvar Pedro Jimenez dulce « 1927 ».
Si la vedette est aux vins, avec ces listes inimaginables, les participants ou sympathisants méritent de larges mentions. François Mauss, président du Grand Jury Européen, ne pouvant assister à la première et à la seconde séance de l’académie a offert des vins d’une qualité remarquée. Bernard Hervet, directeur général de Bouchard est dans le même cas. Un académicien convaincu, ne pouvant venir à cette séance a envoyé un vin du Jura qu’il aime. Pierre Lurton, président de Cheval Blanc et Yquem s’était inscrit. Un méchant virus l’aura contrarié. Il m’a tenu au courant de l’évolution de sa santé car il tenait à venir. Il nous a encouragé à boire Yquem 1937, même en son absence.
Jean Hugel, dont j’ai raconté la générosité lors de mon voyage en Alsace est venu avec deux bouteilles splendides, le Tokay 1928 et le Riesling Sélection de Grains Nobles 1915. Didier Depond, président de Salon Delamotte est venu avec un rare Bouzy 1933 et avec l’un des plus grands champagnes de ma vie, le Salon 1959, hélas aujourd’hui éteint. Michel Bettane, l’un des plus grands connaisseurs de l’âme du vin en France est venu en ami. Et je ne peux pas dissimuler l’immense plaisir que m’a procuré l’amicale présence d’Aubert de Villaine, l’homme dont la signature est aussi prestigieuse que celle du gouverneur de la Banque de France, puisqu’il signe les vins du Domaine de la Romanée Conti.
J’ai ouvert les bouteilles de 15h30 à 18h00. Deux amis ayant proposé de m’aider, j’ai accepté, car jamais je n’y serais arrivé. Aucune bouteille n’est bouchonnée, aucune odeur inquiétante. C’est toujours émouvant d’ouvrir des flacons et de lire l’histoire que racontent leurs bouchons.
J’ai expliqué dans mon discours inaugural que chaque académicien, illustre ou non, est à égalité devant son verre pour connaître le plaisir des vins que nous partagerons. Symétriquement, nous devons la même attention, le même accueil, à un vin modeste qu’à un vin légendaire. Nous sommes ici pour apprendre l’histoire du vin, pas pour en être les juges.
J’étais dans le groupe 1. Des amis fort aimables sont venus m’apporter des verres de quelques vins d’autres groupes. Voilà ce que j’ai ressenti.
Le champagne Léon Camuzet, de ma vieille cousine de Vertus est le même que celui que j’avais ajouté chez Guy Savoy, quand le Bisinger 1953 avait rendu l’âme. Je l’ai mis en premier à chaque table, pour qu’on « se fasse la bouche ». C’est nécessaire avant d’aborder des chefs d’œuvre. J’aime bien ce champagne simple que je connais par cœur, d’une belle pureté. On nous sert le champagne Salon 1959, ouvert à l’instant. Sa couleur de bouillon ne dit rien qui vaille. Dégorgé sans doute il y a plus de trente ans il n’a plus de bulles. Aubert de Villaine, assis à mes côtés, cherche à trouver des morceaux de message, et j’apprécie cette attitude positive. Force est de constater que le vin est mort. C’est triste, car dans l’absolu, c’est un des plus grands champagnes qui aient été faits.
Le Château Gilette sec 1958 m’étonne profondément. Il est sec, bien sûr, mais il ne peut pas cacher qu’il vient de Gilette. Je pense immédiatement à « Y » d’Yquem 1964, d’une année où Yquem n’a pas été millésimé, qui contient « forcément » du goût d’Yquem. Là, on a cette combinaison subtile du vin sec et du charme du grand sauternes. Un vin charmeur, plaisant, à la trace lourde en bouche.
Le Chassagne Montrachet Thorin 1966 a un très joli nez. Il est dans cette période intéressante pour les blancs où le vin est encore jeune et pas encore vieux, en bascule. Suffisamment d’énigme pour animer le palais. J’aime bien ce vin simple et direct.
Le Château Olivier rouge 1990 servi à deux groupes en magnum n’entre pas dans les critères de l’académie car il est très jeune, mais l’esprit de cette séance est à l’ouverture. Cela ne nous empêche pas d’apprécier ce vin jeune, fruité, agréable. Le Lafont-Rochet 1972 a plus de présence que ce que son année suggère. Une palette d’arômes et de saveurs assez vaste sur un message court.
Le Lynch Bages 1983 se présente très au dessus de ce que j’attendais. Ce vin raconte des histoires ensoleillées. Ce n’est pas le jeune dandy sans cervelle. Il cause ! Vivant, très jeune, je l’ai beaucoup aimé.
Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1982 est un grand vin remarqué et honoré à juste titre par les critiques. Je l’avais bu lors de la fabuleuse dégustation au Taillevent que j’ai racontée. Lui non plus n’est pas un vin de l’académie tant son avenir est grand. Nous avons pu apprécier la beauté de ce vin précis, presque archétypal, « droit dans ses bottes », au message dense et profond.
On découvre tout à coup que l’académie se justifie quand on nous sert Château Figeac 1925. C’est une année plutôt difficile d’une décennie prestigieuse. Mais quel beau discours. C’est un vin romantique, discret, à la séduction féminine. Quand on prend bien garde de l’étudier comme il convient, on sent tous ces petits détails qui assoient son charme. C’est un vin délicat. Son « père », à ma table, était ému de le voir si beau. Quel contraste immense avec le Domaine de Chevalier 1924 que l’on m’apporte maintenant. Ils n’ont qu’un an de distance mais tout les oppose. Le Domaine de Chevalier est puissant, intense, légèrement torréfié, d’une densité rare et d’une longueur extrême. Lequel est le plus charmant ? Mais les deux bien sûr, car ils donnent deux facettes de cette décennie, l’un dans la force l’autre dans la subtilité. Et les conservations en cave peuvent jouer autant de rôle que les millésimes.
Le Corton rouge Les languettes du domaine Bichot 1977 est un vin d’une parcelle que ni Aubert de Villaine ni moi ne connaissons. L’année 1977 est une année faible. Mais le nez interpelle agréablement. Le vin n’est pas très long, mais il a encore du charme bourguignon.
Etant assis auprès d’Aubert de Villaine, je me demandais si j’arriverais à être objectif face à son vin. Je sens le Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1942, et intérieurement, je fais ouf ! Je pourrai dire ce que je pense. Le nez est absolument spectaculaire. Je retrouve tout le charme de ce domaine dans ce nez énigmatique, séducteur, mais provoquant. Ce vin, c’est Carmen qui me dit : « si je t’aime, prends garde à toi ». La bouche confirme l’impression du nez : vin splendide, qui ne joue pas en force mais en complexité, d’une émotion rare. J’aime l’empreinte des vins du domaine. Celui-ci est infiniment plus long que ce qu’on attendrait de son année. L’oxygénation lui a fait un bien fou.
Alors que mon illustre voisin de table montrait sa capacité à rechercher en chaque vin ce qu’il a de positif, le voici qui éreinte l’un des vins que j’avais apportés : Musigny "Grand Vin de Bourgogne" 1929. Ce qui le gêne, c’est la proportion de vin algérien dans ce Musigny qui doit être significative. Défenseur qu’il est de l’intégrité de la Bourgogne, je le comprends. Mais il y a prescription ! J’ai tant dégusté de vins de ce calibre qui sont des sangs-mêlés que cela ne me gêne pas. Et on ne réécrit pas l’histoire. Mon palais n’a pas de devoir de repentance. J’ai donc aimé. Aubert de Villaine moins. C’est ainsi.
Toute considération devient inutile quand arrive sur table le Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1915. J’avais peu avant goûté le Tokay 1928 Hugel qui est absolument grandiose, vin sec au soleil lourd, dense, accompli. Mais là, on est dans la perfection ultime de ce que le Riesling peut produire de plus beau. Je crois n’avoir jamais bu un vin d’un tel équilibre, d’un tel accomplissement. C’est un trésor en bouche. C’est une hostie consacrée par Bacchus, si l’on accepte cette catachrèse panthéiste.
Une journaliste amie arrive à ce moment là. Avant qu’elle ne goûte ce nectar et ceux qui allaient suivre elle porte à ses lèvres le Grands Echézeaux. Une immersion aussi brutale dans la perfection l’a tellement émue que je la sentais physiquement troublée de cet étalage de splendeurs. Est-ce que tous les académiciens auront compris comme elle la rareté de ce que nous goûtions ? Je l’espère.
Arrive alors devant moi un tiercé dont on pourrait rêver toute une vie. J’avais au programme un Côtes du Jura blanc Savagnin Perron 1985, mais les sauternes étant insistants, je ne l’ai pas goûté, son nez envoûtant suffisant à me combler d’aise. Le Château Rabaud 1945 crée en moi une émotion invraisemblable. D’une douceur, d’une délicatesse rare. Le Château Suduiraut 1945, plus flamboyant, semblait fait du même moule, mais, comme il est plus sûr de lui, j’ai l’œil plus attiré par le Rabaud. Le Château d’Yquem 1937 a une couleur de thé presque irréelle de jeunesse. En bouche, on sent immédiatement que c’est Yquem. Mais ayant bu déjà un Yquem 1937 plus extraordinaire encore, je choisirai dans ces trois exemples de la perfection du sauternes accompli le Rabaud, puis Suduiraut et enfin Yquem, classement purement sentimental, sans référence à des sens objectifs et seulement à des émotions.
En cours de route, mes amis m’en avaient fait boire de belles ! La Mission Haut-Brion 1955, magnifique exemple de la pertinence de l’année 1955 que je ne cesse de clamer dans mes bulletins et naguère dans mon livre. Mais chapeau bas, Château Latour 1955 est encore cent coudées au dessus. Certainement le Latour le plus grand que j’aie bu, alors que j’ai à mon palmarès 1870 et 1900 qui sont de solides prétendants. Gorgée furtive mais éblouissement total, ce vin sublime m’a donné un uppercut au cœur.
Je n’ai pris du Chambolle Musigny les Amoureuses Dom Ropiteau 1964 qu’une parcelle de nez. Et si je l’ai eu en bouche ce n’est que du nez que je me souviens, nez sublime, parfait.
Michel Bettane, à qui j’ai demandé de prononcer quelques mots, est venu à notre table porter Château Climens 1989 en disant : voilà le botrytis parfait. Ce vin évidemment hors académie tant nos arrière-petits-enfants s’en réjouiront encore est un modèle réussi du sauternes actuel. Le Chasse-Spleen 1961 est l’exemple accompli du Moulis-en-Médoc, dont l’icône reste pour moi Poujeaux 1928 que j’ai apprécié de nombreuses fois.
Nos papilles académiciennes ont été sollicitées par des anges. Je me suis amusé à faire un classement. Bien évidemment sa valeur est subjective et ne préjuge en rien de la prochaine bouteille que l’on boira d’un même cru. Mais cela montre à quel point de grands vins m’ont ému :
Riesling Hugel Sélection de Grains Nobles 1915, Château Latour 1955, Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1942, Château Rabaud 1945, Château Suduiraut 1945, Domaine de Chevalier 1924, Tokay Hugel 1928, Château Gilette sec 1958, Chambolle Musigny 1964, Château Figeac 1925, Château d’Yquem 1937, Bouzy Delamotte 1933, Château Climens 1989, Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1982, Mission Haut-Brion 1955.
La seule lecture de ce classement montre l’ampleur de l’événement que nous avons vécu. La générosité des académiciens fut immense. Le support moral de grands noms du vin est un encouragement d’un poids certain. Je pressens qu’il y a ici les germes de quelque chose de grand pour la connaissance, la mise en valeur de l’un des beaux patrimoines de la culture française : les vins anciens.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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