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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°58
13/03/2006 - 172 - 66ème dîner chez Patrick Pignol
Le 66ème dîner de wine-dinners se tient au restaurant de Patrick Pignol. J’étais allé dîner quelques jours auparavant en sortant du spectacle de Laurent Gerra pour évoquer diverses hypothèses d’accords. Le chef est à Rungis avant l’aurore et fait son menu en fonction des produits qu’il trouve, mais bien sûr avec plusieurs idées en tête que mes vins lui suggèrent. C’est cela que j’étais venu scruter, car Patrick aime créer des recettes nouvelles avec des clins d’œil joyeux.
J’arrive pour l’ouverture des bouteilles. Deux journalistes et un photographe vont assister à cette cérémonie devenue un rite. Comme je réponds à des questions tout en ouvrant, je suis peut-être moins attentif à certains détails, et la statistique quasi irréelle de la vitalité de mes bouteilles anciennes va se faire écorner ce soir. Le vin qui m’inquiète, c’est l’Arbois. Il a un nez plat de vin fatigué. Je suis prêt à le déclarer mort, car il me chiffonne trop. On va lui laisser une chance, mais il est exclu qu’il accompagne les oursins. Il sera remplacé par le Vouvray au nez rassurant, en demandant au chef de faire ressortir le coté sucré des oursins. Le message lui parvient.
Tout en répondant aux questions des deux journalistes, je fais mon inspection des odeurs. Le Corton-Charlemagne est bouchonné. C’est à peine perceptible en bouche, mais le nez rebute trop. Je décide de prendre sur la carte de Patrick Pignol un Chevalier-Montrachet. Pas question de décevoir mes hôtes, même si le volume des vins est très nettement supérieur à la moyenne habituelle pour les neuf que nous serons. Le bouchon du Bichot confirme qu’il a plus de cent ans. Cette bouteille sans étiquette fait du vin une énigme. Son odeur est redoutablement belle.
Mes hôtes arrivent avec une ponctualité remarquable et nous faisons un tour de table pour nous présenter sur un Champagne Ayala Brut ancien vers 1980. En fait, en bouche, je dirais volontiers 1975. Les participants comprennent dès ce premier vin que nous entrons dans le monde des vins anciens. Belle rondeur en bouche et trace longue, équilibre chaleureux. C’est une belle mise en bouche.
Voici le menu composé par Patrick Pignol, menu de retour de marché : Damier de Saint-Jacques et truffes noires / Langoustines croustillantes infusées au citron et parfum de marjolaine / Oursins en coque, mousseline de persil tubéreux / Animelles dorées au beurre de cardamome / Cochon de lait en cocotte, légèrement pimenté au gingembre, salsifis lardés / Mimolette «vieille » dans sa simplicité / Clémentines caramélisées et petites madeleines au miel de bruyère. Il y aura dans ce voyage gastronomique de belles émotions. Et les clins d’œil subliminaux ne manqueront pas. Car le chef est malicieux.
Nous avons autour de la table deux couples qui sont venus à la suite de l’interview de France Info de l’année dernière, qui a manifestement été entendue en Suisse et dans le limousin, les deux journalistes, une amie d’enfance qui, au lieu d’avoir le pieux recueillement que suggèrent mes doctes propos, me plaisante comme lorsque nous avions vingt ans, et l’ami cuisinier amateur de génie que je voulais remercier de ses prouesses racontées dans de précédents bulletins. Il y a bien longtemps qu’un dîner ne compte aucun récidiviste. Il y a d’habitude un « ancien » qui joue les vétérans. Là, point. Le dîner commence.
Le Champagne Salon « S » 1983 aura du mal à exprimer son nez car nous sommes sous une chape de parfum de truffe. Le plat est éblouissant et le Salon révèle des personnalités différentes avec le sucré de la coquille et avec l’insistance de la truffe. Ce champagne a la couleur d’une pêche déjà rosie, une belle bulle active, et une profondeur en bouche qui est rare. Et l’accord met nos sens en éveil tant il faut être attentif pour déceler tout ce qui se passe dans notre palais. L’excitation binaire est heureuse.
Devant la profusion des vins, je n’ai même pas cherché à savoir si le Corton Charlemagne Eugène Ellia 1993 revenait à la vie. On ne le saura jamais. Le Chevalier-Montrachet Domaine Leflaive 1993 est éblouissant. C’est un vin jeune puissant, chaleureux, qui joue sur du velours avec une langoustine goûteuse à souhait. Ici ne se pose aucune question car tout est naturel et parfait.
Cela n’allait pas être le cas avec l’oursin et le Vouvray le Haut Lieu Demi Sec Huet 1971. Je dis un peu trop vite que je trouve la mousseline trop salée. Le chef informé vient expliquer quelle doit être notre approche du plat. Et effectivement mon impression change après deux ou trois cuillérées. L’oursin a des accents de châtaignes, avec cette légère douceur qui convient au Vouvray. Notre table se divise en deux camps, ceux qui pensent que l’oursin rétrécit le vin, qui s’épanouit dès que le plat est fini, et ceux qui comme moi pensent que l’accord est d’un immense intérêt. On pourrait sans doute rapprocher les points de vue en admettant que le plat n’élargit pas le vin mais que l’accord est judicieux. Je pense que cet essai méritait d’être tenté, parce qu’il sollicite les papilles comme en un manège, où l’on est pris dans un tourbillon de saveurs variées. Ce Vouvray est éblouissant de charme et de sérénité.
Les animelles devraient sans doute s’appeler animâles, car il s’agit de parties sexuelles mâles qui généralement vont par deux. Faisons un calcul. Nous sommes neuf, et nous avons chacun dans notre assiette trois moitiés de testicules de veau. Où est le chaînon manquant ? Est-ce la masse manquante de l’univers ? Plat délicieux qui a montré que je ne devrai plus essayer le Château Coustolle Côtes de Canon-Fronsac 1966, car cette bouteille bouchonnée (je ne l’avais pas remarqué à l’ouverture) fait suite à un autre malheureux essai. Heureusement, il suffisait d’avoir le Château Margaux en magnum 1970, qui après avoir installé un suspense sur la première gorgée non encore ouverte, fit montre de l’éclat rayonnant d’un beau bordeaux chaleureux. Ce n’est pas le meilleur Margaux qui soit, mais quand il a trouvé son épanouissement, il communique un plaisir sans mélange. Je relis ces notes après un voyage en bordelais. Je dirais volontiers à ceux qui boudent Margaux 1970 qu’ils ne l’ont peut-être pas approché avec la bonne oxygénation.
Je tenais absolument à voir en situation de repas ce « SEG » F. Sénéclauze (13°) Saint Eugène (Oran) récolte 1952. Il n’a pas manqué son rendez-vous. Epanoui, chaud en bouche, au message simple mais convaincant, j’ai adoré, alors qu’un bourguignon présent à table allait évidemment lui préférer le vin très ancien de la cave de M. Bichot père, probable avant 1920 (voire avant 1900). Ce vin m’avait été offert dans la cave de M. Bichot, vin sans étiquette, sans dénomination, que l’on aurait pu identifier en se référant aux numéros des casiers. Mais cela a-t-il de l’importance ? La couleur évoque un Beaune, et le goût aussi. Le bouchon m’avait fait supposer la fin du 19ème siècle. Le goût me suggère 1899 car j’en ai le souvenir. Je ne garantis évidemment pas cette définition, mais comme il n’est plus possible de vérifier, disons : Beaune Bichot 1899. Ce vin est splendide. Il sera définitivement sacré dans les votes. Sa jeunesse étonne, comme la plénitude de l’assemblage de toutes ses composantes. Magnifique sur le cochon de lait, il ne doit pas faire oublier le vin d’Oran que j’ai beaucoup apprécié, dans des atmosphères de Rhône.
La mimolette à pleine maturité allait accompagner un revenant, l’Arbois Jaune Louis Carlier 1949. C’est vraiment un ressuscité car le vin que j’aurais volontiers déclaré mort tenait son rôle à ce stade du repas. Légèrement fatigué, sans doute, mais redevenu de sa région.
Le Château d’Yquem 1959 a une couleur qui ferait pâlir d’envie les publicitaires qui veulent vanter une crème solaire. Ce vin a la couleur des délicieuses gelées de coing dont ma femme règle l’alchimie. Le nez est exact. C’est l’Yquem dans sa plénitude totale. La longueur est infinie, et bien malin qui pourrait trouver le moindre défaut à ce sauternes idéal. Plus beau, plus chaleureux que le 1937 de l’académie. Là-dessus, la clémentine caramélisée a capté avec une précision absolue l’organigramme de cet Yquem. Et l’accord est impressionnant. On est en présence d’une perfection culinaire totale. Inutile de dire que la joie est à son comble.
Nous ne serons que huit à voter car la jolie chypriote férue d’art s’en sent bien incapable. Le Beaune de Bichot rafle quatre places de premier et trois places de second. Le vin d’Yquem reçoit trois votes de premier et le Salon un vote de premier. Le palmarès résultant de tous les votes serait : Beaune Bichot vers 1899, Château d’Yquem 1959, Château Margaux 1970, Vouvray le Haut Lieu Huet 1971 et champagne Salon 1983. Mon vote : Château d’Yquem 1959, Beaune Bichot vers 1899, Vouvray Huet 1971, champagne Salon 1983.
L’ambiance était à la joie, aux rires, aux petites taquineries amusantes, avec un Patrick Pignol souriant et épanoui, la cuisine au diapason de son humeur, un service attentif comme à l’habitude. Une soirée qui illuminera le ciel des souvenirs de chacun des participants.
Dans le Sud, face à la mer, nous jouons aux cartes avec des amis. Quand le contrat est gagné, j’ai la joie d’un médaillé olympique. Si mon équipe perd, c’est la misère du monde qui s’abat sur mes épaules. Il faut étancher ces émotions avec un champagne Salon 1988 qui est absolument impressionnant. Ce champagne a tout pour lui. Dense, long, fruité, confituré, il laisse une trace de pur plaisir. A dîner, Château Figeac 1988 donne une impression nettement supérieure à ce que j’attendais. Il a une structure qui rappelle les plus grands des vins. S’épanouissant avec bonheur dans le verre, il a constitué une très heureuse surprise. C’est son élégance sereine qui marque.
J’attendais au contraire beaucoup plus de la Côte Rôtie cuvée prestige Léonce Amouroux 1989. Ce vin titre 12,5° ce qui est plutôt léger aux normes d’aujourd’hui. Et l’on retrouve avec plaisir les expressions rurales et authentiques de ce terroir mouvementé. Mais le souvenir du Figeac empêche que l’on s’extasie. Beau vin simple et naturel, desservi par le casting dont j’assume l’erreur.
La partie reprend avec intensité après la tarte Tatin. Il eût fallu la Marseillaise pour ponctuer le génie absolu de la belote de notre équipe. Puisque, comme on l’aura compris, j’étais dans celle qui gagne.
Le lendemain, la revanche s’impose. Huîtres et champagne Laurent Perrier Cuvée Grand Siècle forment un mariage princier. Le caviar Sévruga se dévore au-delà de la satiété avec le champagne Salon 1995 qui lui va bien, car le sel du caviar supporte mieux un Salon jeune. Un château Mouton-Rothschild 1988 n’était pas franchement nécessaire, mais il était ouvert. C’est un Mouton relativement simplifié, généreux en bouche et bien rassurant. La parfaite égalité des scores imposera la belle lorsque je reviendrai. Qu’il est dur d’être dans le Sud !
Le président de l’automobile club de France déclare ouvert le dîner annuel de l’Union des Grands Crus. Il rappelle, mais avec des mots plus choisis, que Noé fut le premier à faire rougir l’alcootest, et avec un langage fleuri, il nous compte l’histoire de la vigne. Quand au bout de cinq minutes on en est encore à Horus et Osiris, on se dit que la soirée sera longue, mais son discours fait « pschent », ce qui est assez abracadabrantesque, et c’est au tour du président de l’Union des Grands Crus de s’exprimer.
Le discours d’un chef d’entreprise donne assez exactement l’indication du taux de profit de l’année. Si le chef d’entreprise dit qu’il faut donner un nouvel élan à la participation des salariés à la bonne marche de l’entreprise, on se dit que celle-ci fait des pertes. Si le patron passe un temps infini à remercier ses collaborateurs, sans qui rien n’eût été possible, en insistant sur les niveaux les plus bas de la hiérarchie, on sait que le niveau de profit est quasi indécent. A chaque situation son discours convenu. Là, quand l’Union des grands crus de Bordeaux présente ses 2003 superbes au moment où l’on s’attend à des prix ahurissants pour les primeurs 2005, à des niveaux jamais atteints, il est urgent de ne rien dire. Jamais discours ne fut plus vide, et cela en dit long. Les grands vins français vont devenir intouchables. Amateurs de vins tremblez. Ce vide discursif (présenté par un président fort efficace et courtois) annonce des prix redoutables.
Avant le dîner, je butine de stand en stand mais il est très dur de juger les 2003 (je verrai dans quelques jours que c’est encore plus dur d’imaginer le futur des 2005). Ceux que j’aime déjà, je vais évidemment les aimer, c’est là mon objectivité. La Conseillante 2003, Haut-Bailly, Phelan Ségur, Malartic-Lagravière, sont conformes à ce que j’en attends. Une belle surprise vient de Petit Village que je trouve très bon, de La Lagune et de Lagrange. Le Pichon Comtesse est fidèle à lui-même, c'est-à-dire excellent.
Quand la pièce et les vins se réchauffent, le jugement perd de son acuité. On finit ce périple par un joli Coutet, un Fargues serein et un très beau Sigalas-Rabaud qui éblouissent de leurs couleurs dorées cette dégustation debout.
A table, c’est un florilège. Clos Fourtet 1990 en dit moins que ce que j’espérais, Fourcas-Hosteins 1995 est bien joli, ce qui me fait plaisir, Maucaillou 1996 est timide, Batailley 1998 est indéniablement expressif et charmant. Les papilles sont assez chamboulées, mais c’est à Fargues qu’ira mon amour avec ce Fargues 1990 de réelle maturité qui rappelle à s’y méprendre un bel Yquem. J’ai eu la joie de rencontrer des vignerons amis et d’être à la table d’Alexandre de Lur Saluces. Le baromètre de l’Union des Grands Crus est au beau fixe. Attendons-nous à des prix de primeurs musclés.
Ce sera une bonne excuse pour boire des vins anciens.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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