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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°59
20/03/2006 - 173 - plusieurs dîners
Il y a trois ans, sur un forum américain où l’on parle principalement de vin, je fais un pari avec un contributeur hollandais sur le gagnant du prochain Tour de France. Je gagne. La barre était assez haute, avec, pour enjeu, un dîner à Paris dans un restaurant d’au moins deux étoiles et des vins pour plus de 500 €. Cet ami ayant ensuite disparu du forum pendant plus de deux ans je me suis dit que mon pari devenait aussi virtuel que le support sur lequel j’ai écrit. Quand j’ai reçu un mail m’annonçant sa venue à Paris, le dîner gagné reprenait vie.
Nous arrivons au restaurant Laurent accueilli par Patrick Lair, sommelier avec qui j’ai débouché des centaines de flacons de rêve. Sur mes suggestions Harry, mon parieur, avait commandé à l’avance les vins qui sont apparus sur table avec la température idéale. Le menu est imprimé en français et en anglais, ce qui est une attention fort délicate, avec les noms des vins.
Une araignée de mer dans ses sucs en gelée, crème de fenouil accueille un Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 1996. Le vin met un peu de temps à s’ouvrir, mais quand il l’est, c’est un beau Corton-Charlemagne riche. Moins fantasque que le Coche-Dury de la même année bu récemment chez Patrick Pignol, il est plus orthodoxe. C’est un grand vin rassurant.
Le Lynch Bages 1985 que l’on boit sur une noix de ris de veau truffée dorée au sautoir, asperges vertes et Périgueux est extrêmement impressionnant. C’est le nez qui envoûte, qui signale un très grand vin. En bouche il est serein, dense, velouté, et la sauce lourde à la truffe l’épanouit. Les asperges sont trop jeunes encore, même si elles croquent bien avec le Lynch Bages.
Le nez du Sociando-Mallet 1990 est beaucoup plus serré, strict. On sent le bois austère. En bouche, alors que le carré d’agneau de lait des Pyrénées caramélisé, artichauts violets et petits oignons mijotés au beurre de romarin serait un partenaire idéal, la carapace de bois qui enveloppe le vin empêche toute autre saveur de s’exprimer. Je sens toutefois qu’au fil du plat, le vin a envie de se libérer. Et j’ai alors une intuition. En croquant une gousse d’ail, toute adoucie par la cuisson mais fort goûteuse, l’ail décape le bois et libère de belles saveurs où même du beau fruit, caché jusque là, se libère généreusement. Il se peut qu’en d’autres circonstances ce vin se montre mieux. Nous n’en avons pas eu la magie.
Le Saint-nectaire devait accompagner le Sociando-Mallet. Mais je lui préfère le Corton Charlemagne, à l’aise sur ce fromage. Mon ami s’étant souvenu que j’aime le Banyuls, un Banyuls Solera hors d’âge, Docteur Parcé vint flirter avec un sabayon froid, chocolat-noisette, crémeux aux épices et glace caramel à la fleur de sel. Cette cuvée, commencée avec des vins de plus de soixante ans, et incrémentée d’ajouts annuels ne me convainc pas tant que cela, même si c’est bon, car j’ai connu des Banyuls plus chatoyants.
J’ai classé les vins de ce dîner ainsi : 1 – Corton Charlemagne 1996, 2 – Lynch Bages 1985, 3 – Banyuls Dr Parcé, 4 – Sociando Mallet 1990.
Le service de Laurent est exemplaire, la cuisine rassurante et solidement campée dans la qualité. L’atmosphère est unique. Mon ami avait avec élégance honoré son pari. Bon, il faut que je trouve vite le nouveau thème d’un pari gagnant.
Voici un commentaire sur le guide Michelin. A l’avenir, ces notes d’humeur seront sur le blog, pour que vous soyez incité à vous y reporter. Ce billet est donc un appel direct à consulter mon blog. C’est le Sociando-Mallet de ce soir qui m’inspire l’envie de parler du guide. Le guide Michelin est une institution. Outil indispensable avec des cartes remarquables, une précision dans la description des itinéraires pour rejoindre un établissement, il est très complet. Il ne joue pas l’aventure. Or notre monde veut du sensationnel, du sang à la une. Si le guide ose changer un classement, on le lui reproche. Si le guide ose le conserver, on le lui reproche aussi. S’il est conservateur, il agace. S’il innove, il agace également. L’habitué des plus grandes tables se soucie peu de voir le guide faire des pirouettes. La date à laquelle Eric Fréchon et Yannick Alléno auront leur troisième étoile importe peu, car l’amateur les adore déjà. Et quand l’Astrance vient briller au firmament de la gastronomie, des journalistes avisés en ont déjà parlé. Le guide est un peu comme le classement des vins de Bordeaux de 1855. Il est solide mais n’intègre pas toutes les nouveautés. C’est cela qui crée le lien avec Sociando-Mallet. Cet aimable vin ne fait pas partie du Panthéon historique. Un gourou écouté, faiseur d’opinion, dit que le 1990 est éblouissant et lui donne une note maximale. Je n’ai pas réagi à cette nouvelle fièvre. J’ai bien fait. C’est comme cela que je considère le Michelin : s’il n’a pas l’information qu’il « faut absolument » avoir, ce n’est pas gênant. Il a les autres. Alors bien sûr, comme dans toute œuvre humaine, il y a des erreurs ou des maladresses, comme la rétrogradation de la Tour d’Argent au moment où Claude Terrail est malade. Mais la fonction remplie par le guide est indispensable. L’avant-garde est traitée par d’autres médias et les brusques apparitions de nouveaux génies sont traitées par la presse. L’accoutumé des grandes tables est bien informé. La sécurité du Guide lui va bien.
Un repas de famille se décide à 17 heures. Il faut que je trouve des vins. Il y a toujours des bouteilles en danger lorsque la blessure du bouchon est trop vive. C’est en famille qu’on peut les boire, en espérant qu’il n’est pas trop tard. Une bouteille de Mission Haut-Brion 1929 n’a pas belle allure : bas niveau et bouchon tombé dans le liquide. J’ouvre la capsule et l’odeur me donne un léger espoir. Nous verrons. Je le décante puisque le bouchon flotte. Aucune odeur de bouchon. C’est sans illusion, mais nous vérifierons.
Une bouteille d’Yquem 1950 est mi-épaule. La couleur du haut du liquide est très foncée, alors que le bas est doré, plus joyeux. Ceci tient sans doute à l’épaisseur variable du verre. J’ouvre la bouteille au bouchon bien sain, et un parfum merveilleux envahit mes narines, avec un botrytis important. J’ai beaucoup plus d’espoir pour cette bouteille. Comme on ne peut pas avoir seulement des « bas niveaux », j’ouvre une bouteille de Lagrange Saint Julien 1975. L’odeur est ce qu’elle doit être. En regardant de plus près la bouteille, je m’étonne. Pourquoi ai-je acheté 24 bouteilles de Lagrange 1975, vraiment je ne sais pas. Mais, ô surprise, ces bouteilles ont une deuxième étiquette d’un importateur de Buenos-Aires. Je me demande alors vraiment comment je les ai acquises.
Nous passons maintenant à table. Le Mission Haut-Brion 1929 a un parfum délicat. La première gorgée est presque agréable. Mais le vin est mort. Il est inutile d’insister. Une heure plus tard, l’odeur sera tout aussi agréable, mais la cause est sans espoir. On mesure ainsi la nécessité de l’académie des vins anciens : il faut boire ces grands vins avant qu’il ne soit trop tard.
Le Lagrange Saint Julien 1975 est un vin très agréable. Rien en lui ne me fera sauter en l’air, mais il se boit bien. Il est très équilibré, a encore un fruit perceptible, et confirme que 1975 est agréable aujourd’hui.
Nous étions un peu à court de vin, c’est au dernier moment qu’apparait Château La Conseillante 1981. Je suis habituellement du fan club de La Conseillante, dont j’ai adoré le 2003 à la présentation de l’Union des Grands Crus. Mais là, pensant à un Latour à Pomerol 1997 très expressif que j’avais bu la veille, cet autre Pomerol, de 1981, me parait trop strict. Il lui manque un petit grain de folie.
Yquem 1950 va susciter des clans. Ma femme qui ne boit presque jamais, sauf les Yquem, trouve sa couleur très belle, son nez magnifique et son goût adorable. Mon fils aime tout en ce vin. Je suis moins content de la couleur que je trouve trop brune. J’approuve le nez, mais comme j’ai une petite prévention contre les Yquem caramélisés, je ne suis pas totalement convaincu. Mais il faut lui faire un compliment : il est tout-à-fait dans la ligne d’Yquem 1921, quasiment à son niveau pour cette bouteille là. Bien sûr, je préfère les 1928, 1947 ou 1955, mais on doit reconnaître que c’est un Yquem fort typé et grand.
Les restes des vins de ce soir vont se retrouver à notre table le lendemain midi avec nos autres enfants. On essaie une goutte du Mission 1929. Le nez est resté aussi acceptable. La bouche est presque décente. Il ne faut pas insister. A l’inverse, La Conseillante 1981 a bien profité de la nuit. Je retrouve avec plaisir La Conseillante dans les goûts que j’aime. L’oxygène lui a redonné de la joie de vivre avec une spectaculaire différence de panache.
J’avais ouvert à l’avance Château Lafite-Rothschild 1971. Une couleur étonnamment claire comme celle de certains vins de la Côte de Beaune. Le nez évoque cassis et groseille. Il est intense. En bouche, ce qui frappe, c’est l’élégance. Il est à une période charnière. Il n’a plus le côté fringant de la jeunesse. Il n’a pas encore la maturité des vins assis. Mais sa palette de saveurs est si large que c’est un vin de grand plaisir. Ma fille aînée avait aimé un vin du Languedoc de Jean-Luc Thunevin encensé par Robert Parker. La voilà qui récidive en me disant : « c’est bon ton Lafite, mais donne-moi du Languedoc, je préfère ». Pour ceux qui douteraient de l’existence d’un goût Parker, trop tard. C’est fait. C’est comme la grippe aviaire. Ça frappe partout. Même sous mon toit et dans ma propre famille.
Sur une tarte aux pommes, l’Yquem 1950 est éblouissant. Si j’avais la moindre réticence hier, et j’en avais un peu, elle est définitivement tombée. L’air a gommé toute imprécision. Le vin est devenu splendide. C’est enfin un très grand Yquem. Un parmi les très grands où le botrytis joyeux revenu à la surface donne au vin une ampleur sans pareille. Le caramel bien sûr, le café, l’impression d’une grappe que l’on croque, des raisins cuits comme dans les Essencia, mais en plus complexe. C’est un immense Yquem que nous buvons. Mon épouse m’avait observé : “hier, je t’ai vu hésitant. Aujourd’hui ta joie est totale”.
L’influence de l’oxygène aura été déterminante pour deux vins : La Conseillante 1981 et Yquem 1950.
Je me rends chez Ledoyen, mais au rez-de-chaussée cette fois, à une présentation de vins de Bourgogne 2003. Ce sont de prestigieux domaines familiaux de tradition qui commentent leurs vins. Je bavarde avec plaisir avec Anne et Jean-Charles de la Morinière tout en dégustant leur Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 2003, grand vin peut-être, mais éclaboussé par la beauté des deux filles souriantes et heureuses de ce couple propriétaire du plus aimable des Corton-Charlemagne. Je goûte un Meursault Clos de la Barre Comtes Lafon 2003 qui est exceptionnel ainsi que le Volnay Santenots du Milieu Comtes Lafon 2003 très expressif. Jean-Nicolas Méo, tout souriant, me fait goûter le Vosne-Romanée les Chaumes Méo-Camuzet 2003 aux accents typiques de ce domaine. Les vins d’Hubert de Montille rivalisent de subtilité et de délicatesse. Les vins du Domaine Leflaive ont la puissance sereine habituelle de ce domaine. Pamela de Villaine est la plus exquise ambassadrice des vins de Bouzeron. Mais mon chouchou de ce jour sera, par caprice mais aussi par objectivité, si cela existe ( ?), le Chambertin Armand Rousseau 2003 que je trouve sublime. J’ai évidemment manqué beaucoup de vins car mon approche n’est ni systématique ni structurée. Ce sont les contacts avec ces valeureux vignerons qui m’ont plu.

On peut assez aisément imaginer ma fierté de faire le prochain dîner de wine-dinners au château d’Yquem, ce lieu merveilleux, au parfum magique d’un terroir unique. On le doit évidemment à l'extrême générosité de Pierre Lurton mais aussi à mon "passeport", un Yquem 1861 dont le château n'a qu’une bouteille, reconditionnée.
Ma bouteille a un bouchon d'origine. Elle a évidemment souffert, mais le liquide me plait. Une petite fuite a sali l'étiquette. J’avais évoqué cette bouteille à Pierre Lurton en lui suggérant qu’il en goûte le message unique, car les bouteilles qui sont encore d’origine après 145 ans sont rarissimes sinon introuvables. En regardant son agenda il me proposa que la bouteille soit bue à Yquem. Je ne me fis pas prier.
Partant vers Bordeaux, je rassemble les vins, avec un petit pincement en pensant à ce que sera la performance de cet Yquem. Je prends à titre de secours une très jolie Yquem 1938. Mais comme me le dit Valérie Lailheugue, l’efficace correspondante que j’ai au château, "vous savez, nous aussi nous avons des solutions de secours". En voiture, je tremble à chaque poste de péage car les vibreurs de ralentissement sont des bourreaux pour ces vins. Les bouteilles arrivent pour deux jours de repos au château. Examen émouvant avec Sandrine Garbay qui connait les flacons les plus anciens que des collectionneurs font reboucher. Elle confirme que cette bouteille a un bouchage d’origine. La pièce où je dispose les douze bouteilles du repas est sous la protection de Christiane et Laetitia. Je rejoins la chambre d’hôte qui m’avait hébergé l’an dernier pour le fabuleux dîner de l’Union des Grands Crus Classés à Yquem, et l’hôtesse des lieux me prépare un dîner léger et fort bon accompagné d’un honnête Entre-deux-Mers.
Le lendemain au réveil un appel m’apprend l’impensable : un couple ne viendra pas. Je passe mille coups de fil. L’idée la plus élégante est d’inviter Carole Lurton, épouse de Pierre. Je rejoins aux Caudalies, établissement de vinothérapie de la famille Cathiard, un journaliste qui fait la tournée des 2005 en avant-première avec des journalistes britanniques. Daniel Cathiard, propriétaire de Smith Haut-Lafitte, à qui je raconte l’annulation, scrute son carnet d’adresses mais ne trouve personne qui eût l’idée folle de s’inscrire à un dîner de cette trempe la veille de sa tenue.
Dans ce ravissant endroit, les cygnes ont été écartés, pour cause de grippe aviaire, et parqués dans un endroit clos. Depuis, ils ne se nourrissent plus et vont dépérir. Principe de précaution, quel fol ravage on commet en ton nom !
Je vais déjeuner avec les journalistes. Ils revenaient d’une visite à Haut-Bailly et au Château Brown, dont le propriétaire partage notre repas. Son Château Brown 1998 Pessac Léognan est goûté en même temps que les cépages non assemblés des 2005 du lieu. Le Smith Haut Lafitte (SML) cabernet franc 2005, le SML merlot 2005 et le blanc de SML dans sa composante sauvignon. J’ai bien aimé le cabernet franc qui montre le beau travail fait sur les vins de ce domaine. Nous avons goûté à l’aveugle le Smith Haut Lafitte rouge 1998 dont aucun de nous ne reconnut l’année. Je partis ensuite pour le Château Mouton-Rothschild découvrir son 2005 déjà assemblé.
La suite de ces intenses moments bordelais sera racontée au prochain numéro.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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