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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°60
28/03/2006 - 174 - 67ème dîner au Chateau d'Yquem
Je suis sans doute un des premiers au monde à avoir goûté Mouton-Rothschild 2005, le 8 mars 2006. C’est une gloire assez éphémère, car dans quelques semaines, quelle valeur cela aura-t-il ? A peu près autant que d’avoir vu une pièce à la générale. Mais sur le moment c’est une émotion rare.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, je ne suis jamais allé visiter Mouton-Rothschild, comme d’ailleurs la majeure partie des châteaux ou domaines, car je n’aime pas faire perdre du temps à des vignerons à qui je n’achèterai pas leur vin récent. Quelle erreur ! Car j’y reçois un accueil aimable et j’y découvre des trésors. Le musée de Mouton-Rothschild est plus qu’impressionnant. Une défense d’éléphant a demandé quatorze ans à un sculpteur pour réaliser une œuvre d’une complication infinie. C’est un travail de titan, se traduisant par une œuvre d’une beauté exceptionnelle. Les pièces les plus rares s’offrent à mes yeux ébahis. On trouve des sculptures qui sont devenues les emblèmes des étiquettes de plusieurs de leurs vins. Il y a des pièces antiques qui montrent la place que la vigne et le vin ont tenu dans la vie sociale de toutes les époques de l’humanité. J’ai entraperçu la cave de Philippine de Rothschild. Quel rêve !
Nous allons ensuite dans une petite pièce qui ressemble à un laboratoire ou au cabinet privé d’un diamantaire. Je goûte La Fleur Milon 2005, une propriété récemment acquise de la galaxie Rothschild, et le cassis, le poivre accrochent la bouche d’une solide rudesse. Le Château d’Armaillac 2005 a un nez plus doux. Largement plus civilisé en bouche, il est très fruité.
Le Clerc Milon 2005 est d’une élégance rare. Je l’ai adoré. Il convient de rappeler que l’on goûte des bambins dont le cordon ombilical les reliant à la barrique est encore tout chaud. Le Petit Mouton de Mouton Rohschild 2005 est plus puissant, mais je préfère l’élégance du Clerc Milon.
Arrive enfin le moment solennel de porter Mouton Rothschild 2005 à mes lèvres. Il apparait instantanément que ce vin n’a pas de défaut. Tout en lui est équilibré. J’avais eu un choc gustatif en découvrant Mouton 2000, tombant définitivement sous son charme. Il avait alors quelques mois de plus. Là, je n’ai pas ce choc, mais je suis impressionné. La question se pose : je suis emballé par ce vin, mais je sais que c’est Mouton. Son étiquette me conditionne. Que penserais-je si je ne le savais pas ? Et la réponse, toute naturelle, vient en goûtant de nouveau Clerc Milon. Ce vin dont j’ai admiré l’élégance est très nettement surclassé par Mouton. Philippe Dhalluin qui me guide si gentiment dans cette expérience est heureux de ma réaction, même si mon avis pour des vins de cet âge n’a pas le poids de celui des experts.
Ceci me conduit à une question. Regardez un bébé de six mois. Saurez-vous dire en voyant ce petit être la forme de son nez quand il aura 18 ans ? Son menton sera-t-il fuyant ou grave ? Or les journalistes du monde entier vont venir dans quelques semaines par charters entiers pour donner la « vérité » de ce millésime, qui va conditionner des masses financières énormes. Il y a des repères bien sûr. Des certitudes probablement pas. Une question me taraude. Nous avons parlé au délicieux diner à Cordeilhan Bages de vins anciens. Dans les archives de Mouton, le millésime 1928 a été imbuvable pendant de longues années. Il est immense aujourd’hui. Alors ? Le 1928 était imbuvable le 8 mars 1929. Ce 2005 que l’on va parer de tous les superlatifs est buvable le 8 mars 2006. Où est la vérité ? Un vin fait de grains d’une maturité très supérieure à la tendance historique sera un vin fort tant que ses pectoraux seront vaillants. Sera-t-il un quinquagénaire bondissant ? A voir.
Le chef Thierry Marx qui a eu les honneurs d’une belle émission télévisée originale le présentant de façon extrêmement sympathique est au plus fort de son talent. Les plats sont esthétiques, précis, bien cuisinés. On ne peut s’empêcher de trouver cela un peu intellectuel, mais heureusement dans certains compartiments du jeu seulement. Un débat intéressant devrait être lancé avec certains chefs : la sophistication doit-elle être une fin ou un moyen ? Le plus agaçant, et qui gâche une partie du plaisir, ce sont les incessantes interruptions d’un personnel qui a toujours quelque chose à expliquer ou à proposer. Etre obligé de choisir son beurre et son pain commence à m’importuner. Ecouter des présentations parfois pompeuses, que l’on oublie avant même la fin de la phrase m’irrite. Dire dix fois à son interlocuteur : « où en étions-nous » pour reprendre le fil d’une discussion, diminue le plaisir d’une table que je recommande chaudement, car ici sans doute s’inventent des pistes fortes de la cuisine de demain.
Le Calon-Ségur 1986 que nous avons bu est intéressant. Hésitant entre la séduction et un ascétisme puritain, il n’a pas vraiment choisi son camp pendant le repas, pour finir sommeillant, sans doute fatigué de n’avoir pas trouvé sa voie. Le clou de la soirée est d’avoir pu discuter des tendances historiques du vin avec l’homme qui fait et fera Mouton, l’un des symboles de la perfection vinicole française.
J’avais apporté il y a deux jours les bouteilles du 67ème dîner de wine-dinners au château d’Yquem. J’arrive le jour « J » un peu avant 16 heures, les sourires sont sur toutes les lèvres. Sandrine Garbay ne sera pas là quand j’ouvre les bouteilles mais nous les commenterons longuement lorsqu’elle me rejoindra. Un photographe m’accompagne pour immortaliser l’ouverture des vins que Valérie observe avec grand intérêt, et Christiane, gardienne attentive de ce beau patrimoine observe ces allées et venues avec des yeux miroitant d’envie gourmande. Le Carbonnieux blanc 1948 paraissant tellement plus jeune que le Laville Haut-Brion 1976, j’observe le dessous de la capsule et le bouchon qui confirment bien que la bouteille est d’origine. Sa conservation est magnifique. L’odeur du Carbonnieux rouge 1928 est si capiteuse que je rebouche avec un bouchon neutre. Les émanations du Corton 1929 me font un peu peur, mais cela va sans doute se corriger, et le Château Chalon 1955 m’étonne. Là où j’attendais de la noix, c’est la truffe qu’exhale ce vin jaune. Arrive enfin le grand moment. Le Château d’Yquem 1861 très foncé sera-t-il caramélisé ou aura-t-il la chatoyante perfection d’Yquem ? C’est maintenant que je le saurai. La capsule est noircie et collante. J’enfonce une mèche dans le bouchon. Je soulève, et voici que le verre s’effrite. J’enlève quelques éclats, je nettoie alors que le bouchon est à peine soulevé, et j’utilise un sèche-cheveux pour qu’aucune poussière de verre ne puisse subsister. Le bouchon se brise en mille morceaux comme une fleur qui perdrait ses pétales. Aucune parcelle ne tombera dans la bouteille. Et là, bingo, jackpot, le parfum de ce vin est extraordinaire. Le caramel est infime, alors que le cassis, le poivre que j’avais sentis dans des 2005, les fruits confits, lancent des milliers de signes de vie. Je goûte et c’est l’extase. Il s’agit d’un immense Yquem. Valérie avait imprimé une fiche de dégustation du livre sur Yquem dont voici le texte : « " vin incroyable. Sa dégustation est un sommet d'expérience dans la vie d’un œnophile...un nectar qui verra le siècle à venir en parfait état. Acajou aux reflets dorés. Nez riche, fascinant; texture de liqueur. Très longue suite. Equilibre parfait. Exquis." (The Underground Wine Letter, 1983). Goûté à deux reprises par Alexandre de Lur Saluces, qui à chaque fois fut étonné par sa vitalité, sa profondeur et sa complexité. Vendanges commencées le 24 septembre. ». Ce que je découvre est exactement ce qui fut écrit il y a 23 ans. Si vous voulez prendre conscience de l’état de ma joie à ce moment là, allez voir sur le blog la photo qui fut prise de ma jouissance intérieure.
La longueur de ce vin est infinie, et je sentirai des dizaines de fois le fond de ce premier verre. Il s’agit d’un vin issu d’une bouteille qui n’aura jamais été ouverte en 145 ans puisqu’elle est d’origine, ce qui lui confère une rareté encore plus grande. A partir de là ma vie devient plus belle. Sandrine Garbay qui nous rejoint sent les vins avec moi et nous les commentons. Une bouteille entamée d’Yquem 1957 trainant à portée de main, Sandrine m’en verse quelques gouttes pour apaiser mon émotion. Ouvert depuis plusieurs jours, il a perdu de sa longueur, mais Yquem reste Yquem. En prenant ma douche dans une chambre mise à ma disposition, j’ai les mêmes sensations qu’un acteur à qui l’on aurait annoncé qu’il recevra l’Oscar du meilleur acteur. Sur un nuage, je vis un moment d’une intensité suprême. Je me dis que ma vie de collectionneur pourrait s’arrêter là. Mais attendons au moins le dîner.
Les invités arrivent et sont accueillis par Pierre Lurton qui nous fait visiter les chais. Les 2005 et 2004 sont en formation et les 2003 viennent d’être embouteillés. Dans la salle de dégustation nous goûtons Yquem 2001. Quel diabolique Yquem qui a tout pour lui, insolent gamin promis aux plus belles destinées. En le buvant, on « croque » le plus beau botrytis qui ait été fait.
Nous entrons au château et je vais rapidement saluer Marc Demund avec lequel j’ai eu de longues conversations de mise au point du menu. Dans le beau salon, le Dom Pérignon 1985 a pour mission d’effacer les traces indélébiles d’Yquem 2001. Mais au-delà de cela, il cause ! Champagne étonnamment complexe, aux mille évocations, il aurait besoin d’un beau plat, alors que les sacrosaints biscuits d’apéritif, dont je n’ai pas pu négocier l’absence, tradition oblige, brident sa longueur et son enthousiasme.
Nous nous rendons dans la merveilleuse salle à manger du château où nous serons neuf. Pierre Lurton et Carole, qui avaient déjà participé à l’un de mes dîners, deux relations qui m’avaient connu par France Info, un couple de russes et un couple d’ukrainiens. La connaissance des vins est loin d’être homogène, mais il y a de solides palais et une volonté commune d’apprendre.
N’ayant connu la cuisine de Marc Demund qu’en invité des lieux, je n’avais pas une vision exhaustive de sa cuisine. Son menu fut élégant, avec quelques audaces qui furent plébiscitées, et le tout d’un agrément certain : Œuf Poché au Corail d’Oursins / Noix de st Jacques sur Effilures d’Echalotes Confites / Homard Rôti aux Truffes / Esturgeon et Poireaux Bordelaise / Mignon de Veau à la Fleur de Lavande / Foie Gras de Canard Poêlé aux Amandes / Comté / Pavé de Mangue et Agrumes / Mignardises. Beau voyage bordelais.
Le Laville Haut-Brion 1976 a une couleur dorée. Son nez est expressif, et en bouche la qualité des plus grands blancs de Bordeaux apparait. Rond, à maturité, intégré et de belle longueur, il se marie à l’oursin de jolie façon. Pour ma jolie voisine, c’est le vin le plus ancien de sa vie, ce qui annonce bien des surprises à venir. J’ai senti qu’elle apprécie et apprend avec entrain. Le Château Carbonnieux blanc 1948 surprend toute la table par sa couleur de vin jeune. Le nez est de la même eau : éblouissant de jeunesse. C’est en bouche que l’on comprend qu’une palette de saveurs aussi bien constituée ne peut venir que d’un grand vin ancien. Je n’ai pas osé les échalotes, il parait que ce fut bon. La chair de la Saint-Jacques suffisait à mon bonheur.
J’ai fait cohabiter le Château Pavie 1971 et le Château Carbonnieux 1928 sur le homard, choix que j’adore. La truffe va remarquablement avec le Carbonnieux 1928 lourd comme du plomb, au nez de truffe. Tel un vieux porto il envahit le palais. Capiteux, il déroute quelques convives alors que je profite de chaque goutte d’un immense vin. A coté de lui, le Pavie d’une jeunesse folle (par comparaison), dandy chantant, se joue avec bonheur de toutes les composantes du plat. La chair du homard lui va bien. Beau Pavie très long, strict comme un Pomerol, et touché par la grâce d’une année qui réussit à la rive droite. Pierre Lurton apprécie en connaisseur l’élégance de ce saint-émilion, sans doute plus délicat que les réalisations actuelles de ce grand château.
Le Chambolle Musigny Bouchard Père & Fils 1967 offre la plus belle senteur de la soirée si l’on excepte Yquem. Magnifique odeur complexe et chaleureuse. Comme pour chaque vin, je suis émerveillé de ce qu’ils expriment lorsqu’ils ont eu l’oxygène qui leur convient. Que de fois dans d’autres dîners, on s’aperçoit à regret que c’est la dernière gorgée qui est la plus belle. Là, le vin est chaleureux dès son apparition. Et ce Chambolle Musigny est magnifique de charme et de gentille complexité. Il ne s’en laisse pas compter par l’Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1991, car celui-ci joue sur d’autres registres. Redoutablement séducteur comme les vins de ce domaine, il trouve dans la sauce de l’esturgeon un tremplin de pur bonheur. Quel accord splendide ! Marier une Bordelaise à deux vins de Bourgogne est un de mes plaisirs mutins, surtout lorsqu’on le fait dans ce site symbolique de la magie du bordelais. Deux bourgognes magnifiques qui forment un agréable pendant à la paire de bordeaux, quatre expressions du rouge dans des états d’un grand épanouissement.
Le délicieux mignon de veau accueille le Corton « cuvée B » Brossault 1929 dont l’odeur m’avait fait peur à l’ouverture. Il reste des soupçons d’âge, mais à mon agréable surprise tout le monde adhère à ce vin délicat, clair comme les Corton peuvent l’être. Sa longueur est belle, son palais fort subtil démontrant, s’il en était besoin, que 1929 restera dans l’histoire du vin. La Bourgogne dans sa majesté.
J’ai changé l’ordre des vins et des plats du fait de la dégustation d’Yquem 2001 qui demandait un traitement spécial du palais. Le foie gras se trouve donc ici, comme on le faisait au 19ème siècle, et j’ai gardé le champagne Krug 1988 sur ce plat. C’est une erreur que j’assume. Bien sûr, c’est possible. Mais ça n’apporte rien. Le champagne est grand, le foie gras est bon, aucun des deux ne se parle vraiment.
Un comté très approprié, car je l’avais demandé peu âgé, met remarquablement en valeur le Château Chalon Jean Bourdy 1955 qui a effacé mes craintes. Ayant un type « vin jaune » moins prononcé qu’à l’accoutumée, cela convient parfaitement à des convives novices qui n’eurent pas le réflexe fréquent de l’incompréhension. L’accord glisse avec facilité. Tout s’enchaîne avec bonheur.
Le Château d’Yquem 1961, offert par Pierre Lurton, pour servir de témoin à son aîné d’un siècle est un Yquem dans la ligne historique. La couleur est d’un or pur, joliment miellé, le nez est intense, d’un beau botrytis qui n’en impose pas. Et en bouche, c’est la récompense d’un Yquem sage, chaud, quasiment parfait. Le dessert lui va comme un gant, ce qui est sans doute l’un des plus beaux desserts que j’aie goûté en ce lieu que je révère, et va nous préparer à accueillir le vin qui justifie que l’on tînt ici ce dîner.
Le Château d'Yquem 1861 est d’une couleur foncée, lourde, mais lorsque le liquide s’écoule, des lueurs d’or et d’orange passent fugacement. Cette couleur est infiniment plus belle que celle qu’on apercevait à travers une bouteille opacifiée par l’âge. Le nez est éblouissant, sans doute plus pour moi que pour les autres convives, non parce que je serais celui qui « sait » mais parce que ma route a été jalonnée de témoignages de grands anciens. Pour Pierre, c’est son premier Yquem du 19ème siècle. Pour moi c’est mon plus ancien, car j’ai toujours raté les wagons qu’il eût fallu prendre où l’on ouvrait les 1847 et 1811, années qui me fascinent.
En bouche, c’est un nirvana absolu, car mieux que pour le 1950 récent, ce 1861 a dompté son côté caramel pour ouvrir ses bras aux fruits confits, aux compotes de pruneaux, et de temps en temps aux fruits oranges et aux agrumes. On ne peut pas boire cet Yquem sans émotion et sans penser qu’il a traversé 145 ans pour être bu. La date est historique pour nos hôtes russes, ce qui a justifié leur inscription à ce dîner. Je suis comblé par la perfection de ce nectar dont la longueur est telle que pendant la nuit et le lendemain matin, sa trace ne me quitta pas. Il faut évidemment des références pour goûter ce vin extrême. Mais les « novices » aussi sont touchés par sa majestueuse grandeur.
Pour la première fois je n’ai pas fait voter pour les vins, parce que l’atmosphère ne s’y prêtait pas. Je vais donc remplir l’unique bulletin de vote en commençant par Yquem 1861, suivi de Chambolle Musigny Bouchard 1967, Carbonnieux blanc 1948 et Château Pavie 1971. Il est certain qu’Yquem 1961 mériterait la vedette dans d’autres dîners. L’honneur qu’il porte à son aîné est magistralement mérité.
Ce soir fut la récompense la plus inespérée de ma passion des vins anciens. Merci à ceux qui l’ont permis.





 


 
 
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