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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°61
04/04/2006 - 175 - repas dans la région de Bordeaux
A peine réveillé du dîner au château d’Yquem, la bouche encore marquée par le souvenir de l’Yquem 1861, je pars rejoindre Paul Pontallier à château Margaux. Il pleut à torrent, comme pendant toute cette semaine bordelaise. Nous courons sous l’averse rejoindre une salle de dégustation. Château Margaux 2004 a un nez passionnant d’épices, de cuir, et de poudre de riz. En bouche je trouve qu’il est dans une phase fermée. Château Margaux 2003 est éblouissant. Il est charmeur, séduisant, féminin, comme il est d’usage de qualifier Margaux. Me remémorant le livre « le parfum » de Patrick Süskind, je pense immédiatement, par une assimilation sensuelle, à la peau idéalisée d’une jolie femme. En bouche, c’est une expression de pur érotisme. Je ne sais pas ce que ce vin donnera dans vingt ans. Ce sera évidemment très grand. Mais aujourd’hui, ce vin est le diable incarné. Le Pavillon blanc de Château Margaux 2005 est intéressant sans doute, mais trop peu civilisé à ce stade pour le définir. Imaginer la beauté d’une femme à travers la burka est un exercice de cette nature. Le Château Margaux 2005 n’était pas encore assemblé.
Au Lion d’or à Arcins, où nous allons déjeuner, je fais ouvrir le vin que j’ai apporté, un Riesling Zind Humbrecht Vendange Tardive 1983 qui est absolument éblouissant. Arriver à combiner la fraîcheur de l’extrême jeunesse à l’accomplissement serein que donne la maturité, conduit à un vin plein, charmeur, mais surtout totalement affirmé. Un très grand vin. Ensuite, sur un agneau à sa pâmer, nous nous livrons à une comparaison de Château Margaux 1989 et Château Margaux 1990. Sur ces deux demi-bouteilles d’origine, c'est-à-dire embouteillées à la date normale, c’est de loin, et sans contestation possible, le 1989 qui me plait le plus. Il est beau, chaud, rond, séducteur comme Margaux sait l’être. Le 1990 est peut-être taillé pour l’histoire. Mais il s’agit de juger ce qui est sur la table. C’est le 1989 qui gagne de cent coudées. Paul Pontallier a un amour particulier pour 1990, et je le comprends, mais force est de constater que le 1990 est strict et réservé quand le 1989 est une Uma Thurman conquérante. Le propriétaire de ce charmant restaurant, point de passage obligé de tous les amateurs de vins, va se régaler ce soir du Riesling 1983 que nous lui avons laissé.
Une aventure passionnante allait m’attendre chez Jean-Luc Thunevin, cet inventeur et créateur de Valandraud et de bien d’autres vins remarqués par Robert Parker. Jean-Marc Quarin, auteur de nombreuses analyses qui font référence et intéressent le monde du vin, est en train de se livrer à son exercice quotidien de juger des vins actuels. Il étudie la sphère Thunevin mais aussi d’autres propriétés. Je fais la connaissance d’Alain Vauthier, propriétaire maintenant unique de Château Ausone, le plus énigmatique et complexe des vins de Bordeaux et de deux vignerons sympathiques, propriétaires de vins moins emblématiques mais fort bons.
Je goûte quelques 2005, le Compassant de Thunevin 2005, le Château de Carles Fronsac 2005, le Haut-Carles Fronsac 2005, le Château Valandraud Saint-Emilion 2005, le Croix de Labrie Saint-Emilion 2005 dont le sympathique propriétaire sera présent lors du dîner, mais ma motivation n’est pas très forte, car le souvenir de l’Yquem d’hier anesthésie mon jugement. J’aime quand même le Valandraud 2005 qui me paraît subtil au palais. Et cet exercice intellectuel (pour mon niveau de connaissance) me passionne peu, car le nez et le menton d’un bambin préfigurent mal ce qu’ils seront plus tard. Je remonte bavarder avec Muriel Thunevin pendant qu’Alain Vauthier débouche le vin qu’il a apporté, vin qui parle à mon cœur.
Nous passons à table et cette assemblée d’amis, à la faconde que seul l’accent du sud-ouest permet d’être ininterrompue, va me passionner. Nous commençons par Ausone 2002. Ce vin a un parfum d’une intensité presque inimaginable. C’est envoûtant. Dans le palais, le vin embouche une trompette de puissance pure. C’est sans doute beau pour un amateur actuel, et je sens que mes convives vibrent, mais c’est très loin de la tendance historique d’Ausone telle que je la connais. Ce vin a certainement devant lui une histoire très longue, car il est taillé pour cela. Mais je ne m’y reconnais pas. J’apprécie plutôt plus le coté plus humain, moins extraterrestre du Valandraud 2002. Alain Vauthier me certifie que son Ausone 2002 sera de grande longévité. Je veux bien le croire.
Le vin blanc de Muriel Thunevin 2005 est un bambin qui raconte des histoires imagées, mais c’est vraiment bien jeune pour que je puisse émettre le moindre avis. Le Croix de Labrie 2000 me plait énormément. C’est un vin bien fait. Il lui manque un peu d’étoffe, mais c’est bon. Il parle presque autant que son propriétaire, mais c’est impossible. Ce groupe de solides bretteurs est particulièrement loquace sur des sujets de vignerons, colorés malgré tout par la certitude de bien vendre leurs vins de cette année.
On me fait goûter à l’aveugle un vin annoncé comme probablement faible. Son goût de bouchon empêche l’examen. C’est un Pomerol, château Rouget 1962. Arrive maintenant le château Ausone 1949, sublime année. Il est clair qu’un complément d’oxygène l’aurait amplifié, mais on prend conscience de toute la race de ce grand vin, une icône de saint-émilion. J’ai trouvé une fatigue plutôt supérieure à ce que j’attendais, or le stockage est idéal dans sa cave de naissance. Il faudrait le goûter de nouveau, car le 1955 bu récemment avait une autre stature. Or 1949 est une année immense.
J’avais apporté un Coteaux du Layon Moulin Touchais 1959 qui se fait descendre en flammes par Jean Luc Thunevin et à qui Jean-Marc Quarin trouve un défaut. Je trouve ce vin intéressant, avec, du fait de l’âge, une infime déviance mais qui n’occulte rien de son charme. Cette sévérité foncière de mon hôte m’étonne, mais je n’ai pas fini d’être surpris. Quand on me dit qu’on ne peut pas donner d’âge au château de Fargues 2002 que je trouve manifestement encore trop jeune pour Fargues, puisque rien n’est vraiment encore assemblé, je commence à me dire que nous n’avons pas les mêmes palais. Le summum est atteint quand Jean-Luc nous sert à l’aveugle deux vins. Immédiatement je vibre au second, le premier me paraissant trop brut de forme, au sucre insistant. Quand je constate que presque tous autour de la table préfèrent le premier qui est Tirecul la Gravière cuvée madame Monbazillac 1997 alors que le second est Yquem 1997, je me dis qu’il y a quelque chose d’important qui sépare nos palais. Mais ces vignerons de grand renom aiment certainement jouer et cultiver le paradoxe.
L’atmosphère étant amicale et passionnée, tout ceci a constitué un patchwork particulièrement sympathique qui m’a largement plu, même si, bien sûr, j’aurais aimé pouvoir placer un mot. Cette brochette de solides personnalités du vin appelle mon envie d’autres rencontres avec cette décontraction, cet esprit amical et cette façon de chambrer. Quelques beaux vins devront nous réunir. Entre autres raisons, pour vérifier si nos palais sont aussi désassortis.
Nous avons asséché les restes d’un grand flacon de Grande Champagne 1858 de la réserve de Jean Halley (1872-1932) à Cherbourg. Les fûts de vieillissement de cette période sont inimitables. Ce cognac est grand. Ecouter des grands acteurs du vin au discours passionnant, innovant et intelligent m’a fait passer une très belle soirée.
Ayant été charmé par la cuisine de Christian Le Squer chez Ledoyen, et l’ayant largement encensé dans ces feuilles, le risque était grand qu’une nouvelle expérience ait moins d’émotion. Ma femme ayant eu l’idée d’inviter à dîner des amis, j’eus la tentation de vérifier en ce lieu comment se passerait un deuxième essai. Etant arrivé largement en avance, j’eus le temps de commander les vins à Géraud Tournier, ce qui évita à mon épouse de supporter le temps toujours interminable de la lecture de la carte des vins.
Nous commençons par un champagne Gosset « grand millésime » 1999 délicieux. Ce n’est pas la première fois que je remarque la délicatesse raffinée de cette maison de champagne. J’ai trop envie qu’on l’essaie sur des huîtres. On nous en apporte une à chacun. C’est un éblouissement. Depuis que j’ai adopté huître et champagne, j’ai envie de les associer le plus souvent possible. Après quatre amuse-bouche qui sont la carte de visite du talent du chef, nous commençons le menu dont voici la composition : Oursins de roche en coque à l’avocat, soufflé de corail rafraîchi / Grosses langoustines bretonnes croustillantes, émulsion d’agrumes à l’huile d’olive / blanc de turbot de ligne juste braisé, pommes rattes écrasée à la fourchette et montées au beurre de truffe / anguille fumée sur toasts brûlés à la lie de vin / carré de chevreuil, réduction d’une poivrade relevée de griottes / fromages / croquant de pamplemousse cuit et cru au citron vert / soufflé passion à l’ananas épicé, sorbet litchi / chocolat noir en fines feuilles croustillantes au lait de pistache glacé.
Mon enthousiasme d’un déjeuner (bulletin 171) s’est renouvelé ce soir sans l’ombre d’une retenue ou d’une déception. C’est la démonstration imparable d’un grand talent. La brigade ayant sans doute lu le récit de ma précédente visite a accompli un travail encore plus beau. Notre table était aux anges.
Le champagne qui avait brillé sur la petite huître, mon caprice, s’est multiplié encore sur l’entrée à l’oursin, petit prodige de légèreté. Nous nous sommes ensuite placés sous le charme du « Y » d’Yquem 1985. On ne change pas une équipe qui gagne : j’avais adoré ce vin il y a un mois. Nous l’avons adoré ce soir. Il a tout pour lui. L’expressivité, la personnalité, ce caractère étrange indéfinissable, ces saveurs qui caracolent au gré des plats, ce « Y » a tout cela. Pas un moment ne se passe sans qu’il ne déclame des vers d’une prosodie différente. Un vin magnifique. Le Clos de Vougeot de Méo Camuzet est émouvant pour moi car c’est grâce à cette appellation que j’ai connu et immédiatement aimé le domaine Méo Camuzet. Il s’agit ici de Clos de Vougeot domaine Méo Camuzet 1998. Malgré sa prime jeunesse, aéré longtemps à l’avance, il fut à la hauteur. L’anguille fumée n’est pas son amie. Mais le chevreuil le rend brillant. Un vin plein d’avenir.
Le talent à maturité d’un chef intelligent, sans ego à propulser pour prouver qu’il existe, nous a ravis. C’est difficile de classer les plats car chacun a sa vie propre. Si j’ai un faible pour l’anguille qui est éblouissante, je n’exclue pas la ratte ou l’oursin aérien. C’est une étape où il faut aller.
Déjeuner d’amis où il nous arrive de reconstruire le monde. C’est fou la masse d’idée que l’on a quand on n’est pas en charge de la conduite des affaires. Les hommes politiques l’ont bien compris en ne disant jamais ce qu’il faudrait faire mais ce que les électeurs aimeraient entendre. Nous commentons le CPE (contrat première embauche) sur un Moët & Chandon sans année, mais qui doit en avoir beaucoup, que je trouve absolument brillant. Ayant attrapé les marques de l’âge qui lui vont bien, ce champagne délicatement fumé a du charme. Je pensais que la deuxième bouteille ne pourrait pas avoir la même séduction. Erreur, elle en avait autant.
A table, sur la cuisine assez moyenne d’un grand cercle, trois Château Pape Clément 1989 allaient réjouir nos palais. La première est belle, la deuxième est d’un bois délicieux et la troisième joue plus sur l’alcool. Mais les trois délivrent le message d’un Pape Clément élégant, serein, qui ne force pas le trait. L’année 1989 est un de ses succès. Mais c’est surtout le travail subtil, un peu en sourdine pour ne pas heurter, qui me plait le plus. Ce vin a un terroir historique, et se doit de le perpétuer.
Je quitte cette assemblée de solides débatteurs pour rejoindre Bouchard Père & Fils qui tient séance au Plaza Athénée, halte incontournable du monde du vin. En un circuit accéléré, Stéphane Follin-Arbelet me fait goûter : Chevalier-Montrachet 2004, Montrachet 2004, Montrachet 1990 éblouissant que je connais sur le bout des doigts, Beaune Clos de la Mousse 2001 un peu fermé, Le Corton 2000 et un magnifique Volnay Caillerets ancienne cuvée Carnot 1976 en magnum. La galaxie Bouchard Père & Fils a vraiment de grands vins. Le nom de Bernard Hervet est évidemment souvent prononcé. Je ne peux pas ignorer que c’est lui qui m’a initié aux vins du prestigieux domaine de Joseph Henriot.
Ma fille cadette nous invite à dîner. Je propose d’apporter des vins, mais je sens que des choix ont déjà été faits. Je limiterai mon apport à un liquoreux. Sur une approche radicalement personnelle de la gougère, où le moindre trou d’air est exclu, comme représentatif d’une expansion inutile, un champagne Ruinart 1999 est assez aimable mais n’est pas disert. Il parle peu à nos papilles. Le carpaccio de coquille Saint-Jacques à la Granny-smith et à la betterave est délicieux. Et son association à Laville-Haut-Brion 1987 est d’une belle justesse. J’ai peur de la betterave sur le vin, mais enveloppée dans une fine tranche de coquille, elle crée un accord très intellectuel et aussi fort bon. Nous sommes dans la délicatesse pure. Le Laville franchit une étape de plus avec les gambas caramélisées au sucre de canne et cacao. L’excitation du vin est à son paroxysme. Il devient lourd en bouche, rayonnant. Un vin déjà marqué par un vieillissement réel, que la gamba accepte totalement et que ce sucré-salé excite et provoque. Par une délicate attention, mon gendre avait cherché un vin de 1966, année du mariage de sa belle-mère et moi, car cela fera dans quelques jours quarante années de vie commune. Il a déniché un Bordeaux Côtes de Francs Château Le Puy 1966 qui nous surprend tous par son excellence. Bien sûr, ce n’est pas une bombe. Bien sûr, ce n’est ni Latour ni Margaux. Mais c’est bon ! Le nez est très expressif et puissant. En bouche, c’est frêle, mais aussi velouté, charmeur, délicat. Quel beau vin qui a su, doux symbole, braver le temps qui passe ! Sur un mignon de veau aux morilles, il brille, et paradoxalement, beaucoup plus sur les morilles qui ont l’intelligence de parler à voix basse pour laisser entendre le message du vin. Il faudrait savoir par quel cheminement ce vin de la famille Amoreau a été étiqueté avec la mention : « expression originale du terroir ». Ce n’est pas la façon d’écrire un plaidoyer de cette époque.
Sur l’époisses, nous essayons le Domaine du Pin, Vial négociant, Premières Côtes de Bordeaux 1937 à la belle couleur et au nez racé. Mais ce liquoreux n’a pas la puissance d’un Yquem. Il ne peut pas lutter à son avantage, même si l’accord se justifie. Il est beaucoup plus à l’aise sur une tarte au citron de Pierre Hermé, qui précède une farandole ahurissante d’accords miraculeux. Les macarons de Pierre Hermé sont redoutables de perfection. C’est surtout leur texture, leur « mâche » qui impressionne. Les goûts sont compliqués car Pierre veut sans doute trop montrer. On rêve d’un macaron à une seule saveur comme celui à la rose indique la voie. Mais tous sont magnifiquement bons, et les accords avec les vins explosent de toutes parts. Le macaron à l’huile d’olive et vanille, avec le 1937, est éblouissant : le liquoreux rebondit sur l’amertume de l’olive pour offrir une palette aromatique insoupçonnée. Le macaron fruit de la passion et chocolat au lait est déjà, lui tout seul, une œuvre d’art. Mais le Domaine du Pin capte le fruit de la passion pour un accord invraisemblable.
Le macaron chocolat et caramel a une texture divine comme j’en ai rarement croquée, et un Maury Mas Amiel millésime 1980 surgi de nulle part - comme le mari trompé qui surprend l’amant dans une pièce de boulevard - exacerbant son coté griottes, nous a plongés dans une béatitude irréelle. Le macaron au pur chocolat a fait ressortir la griotte et le côté café du Mas Amiel pour un plaisir final digne d’un feu d’artifice.
Dîner de grande joie, où un Côtes de Francs et un Premières Côtes de Bordeaux ont montré que la région de Bordeaux ne se limite pas à cinq ou six appellations. Ce dîner avait plus de trois macarons. Dans l’assiette et dans nos cœurs.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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