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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°67
24/05/2006 - 181 - 70ème dîner chez Ledoyen
Après de beaux repas réussis au restaurant Ledoyen racontés dans de précédents bulletins, la tentation était grande d’y faire un dîner « officiel ». Ce fut le 70ème dîner de wine-dinners. La cérémonie d’ouverture des vins s’est faite avec une facilité particulière, en un temps très court : de l’ordre d’une heure pour les dix bouteilles. Aucune mauvaise surprise. Les bouteilles de secours restèrent sur le banc de touche. L’odeur merveilleuse du Haut-Bailly 1918, de fruits rouges sucrés, était si belle que je préférai mettre un bouchon neutre pour emprisonner ce charme et éviter son déclin. Le lieu bruissait d’une folle activité car environ 500 personnes se rendaient, qui à un cocktail, qui à un dîner. Le rassemblement de mes convives se fit devant l’entrée entourée de beaux et grands arbres, en un des plus beaux sites de Paris caressé par la bonne humeur d’un printemps qui s’affirme.
La table est dressée dans le restaurant gastronomique et Frédéric, sommelier attentif, qui m’avait aidé à ouvrir les vins, a effectué un service de très grande qualité. Le menu, mis au point avec le talentueux chef Christian Le Squer et avec le perfectionniste Patrick Simiand est d’un bel équilibre : Huîtres de Belons / Oursins de Roche en coque à l'avocat, soufflé de corail rafraîchi / Blanc de turbot de ligne juste braisé, pommes rattes truffées / Asperges vertes cuisinées dans leurs sucs truffés / Grosses langoustines bretonnes poêlées au naturel / Jambon blanc, morilles, parmesan aux spaghettis / Fourme d'Ambert / Croquant de pamplemousse cuit et cru au citron vert.
Le contingent de managers et consultants dynamiques et motivés qui se regroupe à la table est attentif, à l’écoute des accords raffinés, mais aussi enjoué, souriant, pour composer une atmosphère chaudement participative et décontractée. J’avais demandé que l’on commence par des huîtres toutes simples, mais nous recevons les délicieux petits amuse-bouche qui font danser la java à nos papilles. C’est particulièrement bon, heureusement passager, car ça ne gênera pas l’accord désiré de l’iode de belons goûteuses avec le champagne Montcuit 1995, blanc de blancs de Mesnil-sur-Oger d’une définition précise, d’une fraîcheur raffinée, et d’une expressivité plaisante. L’accord se fait fort bien.
L’oursin est d’une délicatesse rare, tout en suggestion. Il met en valeur le champagne Krug 1988 de façon éblouissante. On mesure la densité de cet immense champagne. Quel charme ! J’ai souvent bu ce 1988. Je crois que ce soir c’est le plus grand. Il a gagné en maturité. Un agréable fumé signe les champagnes épanouis. Nous nous sentons de mieux en mieux.
Le turbot à la chair lourde de sens permet au Château Haut-Brion blanc 1998 d’étaler la palette invraisemblable de sa complexité. C’est un kaléidoscope de saveurs. Et c’est la pomme de terre qui donne une longueur supplémentaire au vin blanc de grande race. Après trois accords de ce calibre, mes convives comprennent que ces emboîtements de saveurs ne sont pas l’effet du hasard. Tout ceci est voulu et fonctionne.
Le Côtes du Jura rouge Jean Bourdy 1947 est un vin très compliqué à comprendre. Aussi ai-je longuement expliqué comment l’aborder. Car si l’on a en mémoire un référentiel de bordeaux rouges, on va passer à côté du message. A mon agréable surprise, je suis bien suivi dans la découverte de ce vin qui reçoit de merveilleuses asperges vertes un étai idéal. Le vin est étonnamment jeune pour un 1947, d’un rebouchage récent à la cave Bourdy. Il est austère comme la région, brut de forme, bourru. Mais quand on a compris sa rudesse autochtone, on profite d’un vin très typé, très fruité, ascète cependant, croquant sur les asperges. J’aurai dans quelques jours la chance de goûter 35 millésimes de ce vin. C’est – comme par hasard – le 1947 qui est le plus grand des vins de 2001 à 1926. C’est lui que mes convives ont bu ce soir.
Le Château de Cadillac en Fronsadais 1964 est une découverte immense. Le nez est chaud, joyeux. Mais la bouche est un peu voilée. C’est un vin plutôt agréable qui eut même l’honneur d’un vote dans nos quartés finaux. Il va servir de faire-valoir à un Château Lafite-Rothschild 1934 particulièrement charmant. Ce vin est élégant, courtois, bien né. Bouteille au bouchage d’origine, il a un goût authentique de vrai Lafite à la longueur encourageante. Mais, convenons-en, la vedette est dans l’assiette. La langoustine juste poêlée, expression pure de ce précieux crustacé, est saisie, et dégage une émotion rare. C’est un plat dont la pureté est éblouissante. Inutile de dire que les vins s’en sont complus.
Alors qu’on avait profité ensemble des deux vins sur le plat précédent, j’ai demandé qu’on serve séparément les vins de ce plat. Ce fut un bon choix. Le Château Haut-Bailly 1918 a le nez de confiture de framboise qui m’avait tant ému en ce Cros Parantoux Henri Jayer 1992 bu chez Michel Bras. On a la même sensation odorante, malgré l’écart d’âge. La couleur de ce vin est du rubis le plus exalté. En bouche, la jeunesse de ce vin sensuel éblouit. C’est assez inimaginable de voir à quel point ce Haut-Bailly explose de générosité. Il est aidé par le plat fort juste, mais il saurait se débrouiller tout seul tant il a de la force tranquille. Je rappelle ce que je disais de ce vin dans le bulletin n° 111 : « sur le pigeon d'un classicisme de bon aloi, on commence par le Haut-Bailly 1918. Le nez absolument exceptionnel me chavire. C'est beau, raffiné, riche, opulent, rassurant, envoûtant. Alors qu'à l'ouverture Mission 1918 avait été aussi brillant, il avait ensuite un peu faibli au service. Là, le Haut-Bailly est époustouflant de panache, d'excellence. Un immense vin aussi bien au nez qu'en bouche où il est juteux, rond, accompli, serein. Quand on atteint des niveaux de cette altitude, j'ai comme un choc. Je suis groggy de sa perfection. ». C’est assez intéressant de constater cette similitude de performance. J’en avais dit autant de bien dans le bulletin n° 18 il ya maintenant cinq ans. Voilà un vin éblouissant de conservation et de jeunesse.
Mais attendez un peu ! Car sur la deuxième partie du plat que nous avions tous conservée, sauf un convive, le Chambertin Clos de Bèze Joseph Drouhin 1949 est le chant d’amour de la Bourgogne dans son expression la plus aboutie. Dans des villages, il y a toujours un grand panneau portant une immense carte détaillée et imagée qui explique l’articulation de ce qu’il faut voir. Ce chambertin est cette carte qui décline le charme inouï des vins de Bourgogne. C’est pur, charmant, joyeux, coloré, expressif, sensible. Et c’est long en bouche. Je me sens bien avec des vins aussi chantants et réussis.
A l’ouverture, le Château Terfort Sainte Croix du Mont 1927 était assez discret. Au moment où on le sert, il s’est agaillardi. D’une jolie couleur de thé léger où l’on a trempé du miel, il est élégant, bien élevé, et forme avec la fourme extrêmement appropriée un accord qui nous surprend tous : il n’y a aucune rupture gustative entre le fromage et le vin qui semblent se prolonger d’une façon irréelle, comme ces patineurs qui épousent la même trace de glisse. C’est magnifiquement beau de plaisir distillé. A l’inverse, le Château de Fargues 1989 montre tout de suite ses biscotos. C’est le cousin d’Yquem, mais il ne se sent pas inférieur, et il a raison. Sauternes magique, puissant, équilibré, chaud en bouche, aux évocations infinies, il a été idéalement magnifié par un dessert absolument parfait. Quel accord ! Toute la table était bouche bée devant cette perfection gustative.
Christian le Squer est venu nous expliquer certains de ses choix et j’ai trouvé son propos particulièrement émouvant. Je le sens animé par une volonté de perfection qui trouve une application excitante dans ce type de dîners. C’était beau qu’il vienne confier ainsi les pistes de sa recherche. Il a eu l’intelligence de simplifier des recettes pour que le vin se sublime. Et tout a été réussi. Les accords étaient aussi beaux que de la natation synchronisée, sans aucune fausse note.
Comme chaque fois les votes furent tous différents mais avec des tendances. Neuf vins sur dix ont eu droit à un vote ce qui me plait toujours. Le Chambertin a reçu huit votes dont deux de premier, le Haut-Brion blanc a reçu sept votes dont trois de premier, le Lafite 1934 a reçu six votes dont quatre de premier, et le Terfort 1927 a reçu plus de votes que le Fargues, dont un vote de premier. Mon vote a été le suivant : 1- Chambertin 1949, 2- Haut-Bailly 1918, 3- Lafite-Rothschild 1934, 4- Krug 1988.
Bonne humeur, service des plats absolument parfait, travail de sommellerie de Frédéric de grande précision, équilibre du menu et accords mémorables, vins au sommet de leur forme. En ce soir d’un joli printemps l’ordre était à la joie de vivre et à la gastronomie parfaite.
Je n’arrête pas de mettre au point un prochain dîner avec Jacques Le Divellec. Tout est prétexte à se retrouver. Cette fois-ci, j’apporte des vins. J’ai du mal à adopter sa technique pour manger les crevettes. De délicieux beignets de poissons accueillent un Puligny-Montrachet les Pucelles Domaine Leflaive 2000 très expressif et chaleureux. Les belons 0000 (quatre zéros) de Prat ar Coum sont invraisemblablement goûteuses. Le champagne Besserat de Bellefon Grande Tradition s’élève de deux crans avec l’iode pénétrant de cette huître. Les spéciales n° 2 marennes Oléron sont bonnes mais moins typées. Nous essayons des violets sur le champagne, et l’accord se fait harmonieusement sur ce hideux fruit de mer au goût très franc.
Le carpaccio de thon est un peu écrasé par le Puligny. Il ne le sera pas par le vin qui est prévu, puisque nous révisons un futur dîner. La salade de coquillages est composée de nombreux fruits de mer goûteux et le Royal Kebir de Frédéric Lung, Alger 1945 va particulièrement avec le casseron, jeune calamar à la chair typée. Le vin semble torréfié, lourd comme un Maury, mais il s’ouvre pour délivrer des saveurs de Californien avant l’âge ou de forts bourgognes. Ce vin est délicieux et brille en crescendo, s’épanouissant au fil du repas. Il n’en sera pas de même de La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1960 que j’avais aussi apporté. Le vin n’aura de fulgurance furtive que sur le fromage. Sinon, il est passé, mort, sans intérêt. Pendant ce déjeuner, nous avons mis au point un futur dîner. Nous sentons, Jacques et moi, que ce sera grand.
Mon voyage aux Etats-Unis s’est décidé et organisé de façon assez inattendue. Je vais le raconter comme en un carnet de voyage, les commentaires dépassant le strict sujet du vin. J’écris sur le forum de Robert Parker depuis quelques mois, et contrairement à d’autres forums, j’y ai immédiatement été reçu à bras ouverts, car ici certains contributeurs sont familiers des vins anciens. Au fil du temps, des relations épistolaires se forment, et l’on m’invite virtuellement à venir les retrouver pour de folles agapes. Entretemps, Bipin Desai, l’homme qui organise les dégustations les plus grandes de la planète me demande si je veux venir à deux repas consacrés à des vignerons. C’est grâce à lui que j’avais participé aux verticales historiques de Montrose, avec 39 millésimes et de Pichon Longueville Comtesse de Lalande avec 22 millésimes. Je dis oui, et j’annonce simultanément sur le forum que je viens en Californie. Cette immense ruche internaute se met à s’animer, je reçois mille invitations et je passe plus de temps à en refuser qu’à en accepter. Il y aura deux réunions dans un cercle privé et un dîner massif, avec cette exagération toute américaine, puisque le nombre de vins sera le double du nombre de convives. Cela promet ! La mise au point des vins que je vais apporter prend du temps, car il ne faut pas que les vins soient trop vieux, à cause du voyage, mais présentent de l’intérêt. Je pars avec, dans mes bagages les vins suivants : Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974, que je souhaite comparer aux vins californiens du même âge, Pétrus 1959 pour un dîner de haut niveau, Potensac 1955 pour faire un cadeau de l’année d’un de mes amis, Yquem 1953, Pichon Comtesse 1945, Yquem 1935 que je veux faire goûter à des amis. Le dernier est un vin des Canaries de 1828, pour avoir un témoignage qui fera reculer de nombreuses décennies les plus vieux vins de ce voyage. J’ai donc quelques munitions. Le transport de ces vins avec les soubresauts et écarts de température ne les arrange pas. Je tremble pour chacun.
Notre doux pays ne demande plus aux jeunes gens de se frotter à la discipline du service militaire. Ceci pourrait être remplacé par des séances courtes mais denses, tout simplement en prenant l’avion. L’apprentissage des files d’attente est particulièrement formateur. Et il y en a : devant le groupe de guichets d’enregistrement, devant le guichet lui-même, devant la douane, devant le contrôle des bagages à main, devant la porte d’embarquement et dans le long tube d’accès à l’avion. De quoi comprendre ce qu’est l’expression : transport de masse. Dans de minces allées, des sièges exigus effraient si l’on pense que l’on va y passer onze heures à coté d’un de ces grands américains qui feraient considérer Obélix comme un gringalet. La restauration a au moins ceci de positif que l’on comprend pourquoi les restaurateurs étoilés sont différents des autres. Les hôtesses sont aimables. Les étendues glacées du grand Nord sont irréellement belles, où l’on cherche en vain à voir un ours blanc. Le vin servi par une compagnie aérienne française s’appelle pinot noir ou sauvignon blanc. Je me fais la réflexion suivante : faut-il savoir quel cépage on goûte ou boire un vin qui est bon ? Je parle sans savoir, car avant les événements qui m’attendent, j’ai bu de l’eau. Un film a pour personnage central Uma Thurman. Elle est si belle que l’histoire farfelue passe. Mais Harry Potter montre le triomphe de la débilité. Comment peut-on utiliser des effets spéciaux extraordinaires pour des personnages et situations aussi débiles, primaires, grotesques, triviaux. C’est triste de pervertir ainsi le cerveau des enfants. Etant prévenu depuis longtemps de la façon dont s’effectue le passage en douane, je ne m’offusque pas d’être regardé comme un terroriste potentiel. L’attente des bagages est infinie, ce qui est curieux après le temps interminable de passage au guichet d’accès sur le territoire américain. Une bouffée d’oxygène me vient quand le chauffeur d’une limousine avec un carton à mon nom me prend en charge. Le voyage commence. La pollution est visible, et son effet sur les arbres est inquiétant. Les conifères en cette fin avril sont déjà bruns comme en fin d’automne et beaucoup d’eucalyptus sont morts. Mon chauffeur, à qui j’en fais la remarque, n’a pas l’air de s’en inquiéter. L’hôtel Campton Place est fort agréable, pas de file d’attente à la réception. Je m’écroule dans mon lit, incapable de m’imaginer en quelle période de la journée je suis, puisque le décalage de 9 heures fausse tous les repères.
Lorsque je me réveille, après 16 heures de sommeil souvent interrompu, un solide petit déjeuner pourrait nourrir plusieurs équipes de footballeurs américains. La journée semble ensoleillée. Mon voyage en Californie commence.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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