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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°73
05/07/2006 - 187 - 72ème dîner chez Le Divellec
Cela faisait longtemps qu’on le bichonnait ce dîner avec Jacques Le Divellec. Des essais de plats, des mises au point, autant de prétextes pour se retrouver et parler de gastronomie. Lorsque j’arrive pour ouvrir les bouteilles, je sens l’équipe fortement motivée. Olivier, sommelier attentif, se réjouit de servir des flacons rares. Jacques Le Divellec est comme un jeune étudiant qui attend de passer un concours. C’est en effet un événement de création et d’amitié qui se prépare. Jacques le vit avec une intense vibration.
L’ouverture des bouteilles se déroule sans aucune difficulté, comme par routine, mais j’ai une très grande surprise. J’avais annoncé dans le programme que j’envoie à mes convives : Château Latour 1934 reconditionné en 2001. Or en enlevant la capsule, le bouchon est tout noir. Et en piquant le tirebouchon, je constate que le bouchon se brise en mille morceaux. Il s’agit manifestement du bouchon d’origine. Je lis l’étiquette, et je m’aperçois que j’avais fait un contresens. L’étiquette du château annonce bien Latour 1934 mais indique : « cette bouteille a été rhabillée au château en 2001 sous le numéro … ». Ce qui semble indiquer que l’on n’a touché à rien, ni au liquide de beau niveau ni au bouchon. On a seulement changé l’étiquette et la capsule. J’ai commis une erreur en lisant trop rapidement. Et c’est tant mieux, car une bouteille au bouchon d’origine a un vin au goût plus authentique qu’une bouteille rebouchée. Souvenons-nous de cette invraisemblable bouteille d’Yquem 1861 qui avait gardé son bouchon d’origine, et représente une forme ultime de la perfection d’Yquem.
Mes convives sont cinq couples de jeunes et entreprenants résidents suisses dont les origines couvrent toute l’Europe. Les cinq femmes sont ravissantes et j’en suis attristé. Car concentrer sur un seul dîner autant de beautés merveilleuses est de la gourmandise. Ils arrivent tous ensemble et comme il fait beau, c’est sous les arbres de l’esplanade des Invalides que je donne les consignes habituelles, les femmes frémissant en silence sous la fraîche bise du soir.
Nous passons à table et pouvons lire sur un parchemin le menu créé par Jacques Le Divellec : Pieds de cheval de pleine mer / Carpaccio de turbot du pays breton / Bouquet printanier à la fricassée de casserons et coquillages / Grosses langoustines, au foie gras de canard poêlé / Mammifère rôti, échalotes confites, ail en chemise / Bar sur peau sauce lie de vin à la grenaille de Noirmoutier / Cassolette de homard à la nage de truffes / Bécasse rôtie sur canapé, purée de ratte / Comté affiné / Stilton / Composition fruitière d’agrumes. Jacques Le Divellec a brillamment simplifié les recettes, épuré les présentations, s’appliquant au goût pur de produits rares et beaux. Ce fut intelligent.
Le Champagne Pommery 1987 ne me déçoit jamais. Facile à comprendre, frais, champagne de soif au beau message, il accompagne divinement de lourdes huîtres plates au parfum prononcé. Pour de si belles et frêles bouches, il eut fallu des pieds de poulain plutôt que de cheval. L’association est parfaite dans sa simplicité. Ce qui est spectaculaire, c’est que le goût du champagne fait un prolongement, sans aucune rupture, avec l’expressive salinité des huîtres.
Le Champagne Krug Clos du Mesnil 1982 est seigneurial. Quelle profondeur de trame ! Le Pommery était évidemment destiné à le mettre en valeur, pour qu’on constate sa richesse et sa perfection. Le turbot est la chair de poisson la plus élégante des chairs crues, car on profite de la personnalité du poisson sans subir la signature typée de carpaccio. La trace en bouche de ce merveilleux champagne est indélébile, marquée de fruits rouges confits, de fumé, de fleurs odorantes.
Les casserons sont de petites seiches à la chair délicate. Le Laville Haut-Brion blanc 1958 a pris une couleur dorée, son nez est magistral, et en bouche son élégance se découvre progressivement. Il s’épanouit, s’élargit, et c’est surtout avec les bulots que l’accord est intense. Beau vin de Bordeaux qui est nettement moins long que le Laville 1955 épanoui, bu avec mon ami californien. Mais je pinaille…
Le Bâtard Montrachet Domaine Ramonet 1992 est infiniment plus facile à comprendre, car le Laville fait « vin ancien », quand le Ramonet fait fringant jeune homme en pleine force de l’âge. Belle puissance ! Un mariage à trois va se former, qui permet de constater que l’on peut passer de la langoustine au foie gras et inversement avec une facilité et un confort gustatif étonnants. Le Bâtard est troublant de générosité, mais il ne peut pas voler la vedette à la parfaite langoustine dont la chair est gourmande, joyeuse.
Le mammifère marin – pensez à Moby Dick – a une chair intense, prononcée. Et c’est manifestement de la viande, pas de la chair de poisson. Avec lui, le Château Margaux 1962 va se montrer sous son meilleur jour. Souvenons-nous que c’est un autre 1962, un Duhart-Milon, qui avait formé avec un homard préparé par Yannick Alléno l’un des plus grands accords de 2005. Velouté, doucereux, presque sucré tant il joue en séduction, le Margaux décline ici des subtilités rares. Un vin de charme extrême. Comme par un mimétisme, le Château Latour 1934 rhabillé en 2001 va jouer sur le même registre avec le bar dont le goût fort sera particulièrement apprécié de la jeune et attentive assistance. Un peu plus dense que le Margaux, on serait bien en peine de déclarer lequel des deux est le plus jeune, alors que 28 ans les séparent ! Belle longueur, densité, le vin de 1934 épanoui n’a pas d’âge, étant naturellement brillant. Comme son année le laisse imaginer, le 1962 ne joue pas sur la force, préférant le registre serein et structuré.
Le Cahors Clos de Gamot (Jouffreau) 1929 va voler la vedette aux Bordeaux rouges. Ça c’est un grand vin ! Sa couleur est d’une jeunesse surprenante, d’un grenat rayonnant, son nez est agréable, mais c’est surtout en bouche que sa clarté s’affirme. Il n’étale pas sa puissance, il est léger, aérien, et ses 77 ans l’ont équilibré, épanoui au-delà du prévisible. Le goût puissant du homard, amplifié par la truffe est exactement ce qu’il fallait pour que le vin brille plus encore.
On va finir par me suspecter de parti pris. Car La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992 est pour moi (mais aussi pour mes convives, je vous rassure), absolument éblouissant. Je goûte pour la première fois ce minuscule volatile que prisait François Mitterand, que certaines de mes ravissantes voisines mangeront avec de jolies grimaces, mais plus de courage que certains de leurs chevaliers servants. La bécasse goûteuse qui accompagne cet oiseau rare parle bien à La Tâche dont la profondeur de goût, la variété sur tons d’automne, sont éblouissantes. Plus que d’autres sans doute, du moins je le présume, je vibre aux accents raffinés des vins sublimes de ce domaine que je chéris.
Avec un Comté élégamment discret pour ne pas biaiser l’expérience, le Château Chalon Jean Bourdy 1928 généreux, chantant, va ravir toute notre table de ses accents joyeux. Cet accord parait tellement naturel. J’avais rajouté ce vin jaune au programme, pour le plaisir. J’ai bien fait. Après la dégustation à Besançon de 120 vins de la maison Bourdy, boire un de leurs meilleurs vins, cette fois-ci en dîner, cela donne une autre dimension, plus culinaire, donc plus complète.
Le Château Loubens Sainte Croix du Mont 1926 a époustouflé toute la table. Comme pour le dîner chez Gérard Besson où j’avais inclus Loubens 1943, personne n’attendrait un Sainte Croix du Mont à ce niveau de perfection et d’intensité. Les évocations de fruits exotiques, de thé, forment avec élégance un goût profond et envoûtant. Une réussite rare, qui place le Château d’Yquem 1988 en situation de challenger. Malgré ses qualités, sa jeunesse parait facile à côté de la complexité du Loubens. Et pourtant, Dieu sait si le 1988 est un grand millésime d’Yquem. Le dessert fort intelligemment simplifié convient à l’Yquem.
Au milieu des rires et des propos débridés d’amis heureux d’être ensemble, il fallait voter. Huit vins sur les onze ont reçu au moins un vote, et cinq vins recueillirent un vote de numéro un, ce qui me comble d’aise. Car un vin sur deux de ma sélection est le préféré d’au moins un convive ! Le Château Loubens 1926 a obtenu trois votes de premier, comme le Château Chalon 1928. Le Château Latour 1934 a recueilli deux voix de premier, et le Krug 1982 et La Tâche 1992 ont eu chacun un vote de premier. Le vote du consensus serait Loubens 1926 (deux Loubens de suite en première place dans deux dîners, c’est rare, inespéré, à signaler), Château Chalon 1928, Château Latour 1934 et La Tâche 1992. Mon vote : 1- La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1992, 2- Cahors Clos de Gamot 1929, 3- Château Loubens 1926, 4- Château Chalon Bourdy 1928. Notez bien qu’Yquem ne figure pas dans mon quarté alors que j’adore le 1988. Cela montre la performance des vins cités.
En ce qui concerne les goûts, je ne fis pas voter. J’ai surtout noté la chair de la grosse langoustine, et la tendreté des casserons. L’accord le plus beau fut celui du homard avec le Cahors 1929. Mais le bulot avec le Laville 1958, c’est aussi très beau.
Que retenir de ce dîner ? D’abord l’extrême générosité de Jacques Le Divellec qui nous a fait goûter des produits merveilleux et quelques fruits défendus. Ensuite, son engagement, son enthousiasme d’enfant, lui qui a connu dans sa vie tant d’occasions de faire des dîners de prestige ou de rêve. Le challenge lui plaisait, il l’a relevé et il l’a réussi. L’équipe motivée, attentive, consciente de l’événement qui se créait. Les vins qui brillent naturellement, facilement, sans qu’on ait besoin de se poser la moindre question sur leur état de forme. Ce 72ème dîner de wine-dinners souriant fut une grande réussite. Kiri, Hubert, Delphine, Marc-Antonio, Monica, Aymar, Isabelle, Stanislas, Jean-Christophe et Tatiana se sont forgé des souvenirs pour une vie.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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