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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°76
26/07/2006 - 190 - dîners internationaux
Sur des forums internet, des liens se sont créés, et des rencontres de moins en moins virtuelles nous permettent de voir de vrais visages. Ce soir, c’est un dîner à la brasserie Dauphin qui rassemble onze passionnés de vins, dont un couple d’allemands, un couple de texans, un couple de suisses, un hollandais et le reste de français. Le thème est de partager nos vins et nos impressions.
Faute de temps, je n’ai pas pu me concerter avec le chef sur le menu. Aussi, la cuisine, que j’apprécie souvent ici, va jouer son numéro sans se soucier de ce qui se passe du côté des vins. Cela permet de prendre conscience que les beaux accords, quand ils existent, ne sont pas le fruit du hasard. Voici le menu : langoustines rôties, vinaigrette de pomelos et melon / raviole de crabe au jus de bouchot / gâteau de cèpes de printemps au foie gras grillé / suprême de pigeonneau rôti au jésus de Morteau, jus simple / la tomme de chèvre au raisiné / le cakaille pistache aux fruits rouges. Rien ne fut mauvais, rien ne fut bon. Mais c’est ma faute : pas de concertation suffisante. Je suis sûr que pour un prochain essai, on fera du grand comme cela s’est déjà produit. Regardons plutôt du côté des vins.
Un champagne Salon « S » 1983 dégorgé le matin même et non dosé, voilà un beau début. Champagne à la forte personnalité, original, typé, vineux, dense, présent en bouche, il forme un contraste particulièrement intéressant avec le champagne Bollinger R.D. 1982 dégorgé en 2000 et très faiblement dosé. Le Bollinger est un vrai champagne, à la bulle active et puissante. Si l’on devait désigner parmi ces deux icones lequel est du champagne, c’est sans hésiter le Bollinger, magnifique de jeunesse, de rayonnement et de pureté. Le Salon, c’est autre chose. C’est du vin. C’est un vin qui appelle une cuisine, pour se frotter avec des saveurs étranges qui vont le mettre en valeur. Faut-il en préférer un ? Bien sûr que non. Il faut aimer les deux.
Procédant à l’ouverture de toutes les bouteilles (ça devient une habitude) qui avaient été apportées à ma demande en avance, j’avais ouvert le Montrachet Bouchard 1980 vers 19 heures. Sa couleur fort ambrée et son nez fatigué m’avaient poussé à annoncer aux convives de se méfier de ce vin là, et de l’approcher avec précaution : tout jugement hâtif prononcé sur l’instant empêcherait de le comprendre. A ma grande surprise, le vin existe. Et non seulement il existe, mais il parle. Ce n’est évidemment pas un Montrachet flamboyant et fougueux. Mais il est élégant, centré sur ses valeurs de base, et joue sur un registre de finesse qui le rend plaisant. On ne tourne pas à plein régime, on suggère en délicatesse.
Le Château L’Evangile, Pomerol 1998 plait instantanément à cette assemblée qui ne vit que de vins jeunes. Beau nez épicé, belle structure joyeuse en bouche. C’est un vin serein, dans la plénitude absolue de ses moyens. Vin très bon. A côté de lui, le Château Magdeleine 2001 fait plus sénateur, bourgeois. Il est confortable. Ah, il ne va pas faire l’école buissonnière ! Mais comme il est déjà accompli, propre sur lui, c’est un agréable compagnon de jeu.
Le Gruaud-Larose 1986 est trompeur. Car il joue en sourdine en début de verre. Et quand il s’installe, c’est une merveille de joie de vivre. C’est un vin sans défaut. Il ne brille pas par des risques insensés. Il fait son devoir. Servi en même temps, le Château Ausone 1983 éclipse le beau Gruaud-Larose. Car cet Ausone est immense. Est-ce cette bouteille qui est particulièrement brillante ? Toujours est-il que l’amoureux d’Ausone que je suis prend un plaisir incontrôlable. C’est immense, je le redis une nouvelle fois. Comment décrire cette petite merveille de précision ? Un vin qui chante, qui s’installe en bouche comme en un canapé profond. Si Saint-Emilion a un type, ce n’est pas avec ce vin étonnamment charmeur qu’on le reconnaîtra. Je le désignerais volontiers comme vin de la soirée si n’apparaissait le Château La Tour Milon Pauillac 1926. D’un niveau dans le goulot, d’une couleur irréellement jeune, au nez fruité et joyeux, ce vin, s’il était bu à l’aveugle ferait se tromper tout dégustateur de plus de vingt ans. On me dirait 1964, voire 1961, je ne dirais pas non. Toute la table est estomaquée. Et ce d’autant plus que nous parlions de la courbe de la vie du vin. Je défends un parcours sinusoïdal à périodes irrégulières, alors que le schéma traditionnel commande un plateau de maturité et un déclin. Quand on voit ce 1926, où situer son pic de maturité ? Aucun schéma politiquement correct ne s’applique à ce vin. J’avoue qu’il constitue pour moi une énigme, car il est grandiose. Décidément, l’année 1926 que j’adore ne m’apporte que des surprises extrêmes. Et je suis content d’avoir apporté ce grand vin.
Je suis servi en premier du Richebourg Charles Noëllat 1973. Ce sont donc des gouttes très légères et pâles qui se déversent dans mon verre. J’annonce donc un grand danger (je préfère toujours commencer par un discours pessimiste pour que mes convives aient de bonnes surprises). Et le Richebourg, objectivement fatigué, séduit mes convives par son message bourguignon authentique. Il joue manifestement à 80% de sa valeur, comme une équipe de France sans Djibril Cissé (cette remarque permettra au lecteur attentif de dater la rédaction de ce compte-rendu), mais ce qu’il raconte est loin d’être sans intérêt. Il aurait dû être bu il y a au moins dix ans. Mais il est là, écoutons-le.
Quand se présente le Clos des Papes Châteauneuf du Pape 2003, ça décoiffe. Car là, ce n’est plus pareil. C’est Monsieur Robert Parker en smoking. Tout y est. C’est le kit complet du petit Parker illustré. Vous voulez du poivre ? Il y en a. Vous voulez du jus de cassis, ça baigne. Vous voulez du copeau, il infuse. Du clou de girofle, c’est une pleine moisson. On ne peut pas dire que c’est désagréable. Car ça flatte et excite la papille. Mais on est entré dans un monde du vin qui pourrait sortir d’un laboratoire et n’a plus aucun besoin de terroir. Je dis ça d’autant plus volontiers que j’adore les vins de Paul Avril quand c’est du Châteauneuf du Pape. J’en ai bu, mais d’une autre époque.
Le nez du Christoffel WS Riesling Auslese 1976 est d’une promesse quasi irréelle. Magique. C’est le champion du Monde du nez. Hélas en bouche, on en est loin. Il y a de belles variations sur le thème du Riesling, avec des suggestions de complexités ravissantes. Mais c’est l’intégration du tout qui manque. Le nez et l’attaque en bouche annoncent un triomphe, et ça finit comme Clearstream.
Il faut aimer les vins de glace. J’en ai aimé la découverte. A l’usage, c’est comme avec les muscats des Beaumes de Venise, on en a vite fait le tour. Alors, ce Karlsmühle Eiswein 2002 est amusant par ses évocations étranges où le litchi prend sa part. Mais ça s’arrête là.
Le Malaga Larios, solera 1780 a forcément quelques molécules du 18ème siècle. On s’amuse de cette datation généreuse. Mais ce vin mérite d’être pris au sérieux. Il y a assurément une part non négligeable de ce vin qui a plus de 150 ans, et certainement plus de cent ans de fût. On sent que cette date n’est pas qu’un baptême ambitieux. Il y a un charme qui ne peut provenir que d’un grand âge, et le rapprochement gustatif avec les Commandaria de Chypre que j’ai bus indique l’authenticité de la vétusté respectable de ce grand vin doux de pur charme, que l’on siroterait pendant des heures si l’on avait encore une petite place dans son cœur, après tant de belles bouteilles.
Si l’on parle de goût pur, c’est Ausone 1983 que je placerai en premier. Mais si l’on intègre d’autres dimensions de rareté, de surprise, d’étonnement, c’est La Tour Milon 1926 qui ramasse la mise. Mon classement sera donc : 1- La Tour Milon 1926, 2 – Ausone 1983, 3 – Malaga 1780, 4 – L’Evangile 1998.
Les forums gagnent en intérêt dès qu’ils cessent d’être virtuels. Cette assemblée qui n’est plus virtuelle depuis hier se revoit ce soir pour de nouvelles agapes.
Il fait une chaleur anormale dans le délicieux jardin du restaurant Laurent. Les bouteilles que j’ouvre sont immédiatement portées en chambre semi-froide, pour éviter des évanouissements d’arômes. Deux phénomènes se sont conjugués pour me pousser à élargir mon apport de vins. Le premier est qu’une participante ayant déclaré ne pas aimer les bourgognes, et ayant apprécié mon Richebourg 1973, la tentation était grande de pousser cet avantage. La seconde est qu’un photographe est venu photographier ma cave pour une revue de gastronomie. J’ai erré dans la cave pendant les réglages. J’ai repéré une bouteille intéressante et une en dessous du niveau de vidange. L’envie de faire de la pédagogie s’offrait. Je l’ai suivie.
Pendant l’ouverture des bouteilles, j’ai composé avec Philippe Bourguignon un menu tenant compte de la chaleur et des vins. Le voici : volaille de Bresse et foie gras en gelée au vin d’Arbois / filet de saint-pierre, moelle, rôtie, sauce matelote / agneau de lait des Pyrénées, épaule confite aux épices d’un tajine, côtes caramélisées et bayaldi d’aubergines / bleu de Sassenage / clafoutis aux cerises. Ce fut délicat, sain, adapté comme il convient à un éventail de vins très large.
Le Vieux Château Chauvin 1998 ne me parle pas au premier abord, tant je sens la structure moderne qui crée chez moi comme une allergie. En laissant le vin s’ébrouer on sent une certaine intelligence, mais ce n’est pas pour moi. Au contraire, le Château Léoville Las Cases 1997 me plait, et encore plus, du fait de cette association avec le 1998. Léger, frêle, tout en suggestion, j’adore sa distinction. Pourquoi faudrait-il que les vins fassent boum-boum ? Très agréable vin tout droit sorti de mon imaginaire des salons littéraires du XVIIIème siècle. J’avais eu l’intuition de mettre sur l’entrée en troisième vin le Château Ducru-Beaucaillou 1978 et ce fut un bon choix. Même si sa couleur est déjà marquée, le vin chante d’équilibre et ne paraît pas « vieux » à côté des bambins. Très belle réussite de l’année 1978 d’un vin que je sais solide, sérieux et constant. Son 1961 est légendaire.
La Mission Haut-Brion 1985 en magnum a été carafé. L’image qui me vient est celle de l’étudiant qui pendant l’année scolaire a les carnets de notes les plus brillants, faisant la joie de ses professeurs, et qui, paniquant le jour de l’examen, perd le bénéfice de son travail. Ce Mission que l’on sent bien structuré n’est pas présent au moment où il le faudrait. Trop tard, c’est trop tard. A l’inverse, l’équilibre éblouissant de Château La Lagune 1982 impose le respect. Ce vin est la définition de ce que devrait être le bordeaux. Il est en ce moment à un point d’équilibre parfait. C’est tellement bon qu’on ne peut même pas imaginer le moindre petit défaut. Mais le Château L’Eglise Clinet 1964 parle à mon goût des vins anciens. Ce vin est chaleureux, joyeux, chantant, très peu conforme au schéma classique des Pomerols. J’adore ce vin plein de vie, qui emplit la bouche avec bonheur. La Lagune est plus construit, L’Eglise Clinet est plus séducteur et charmant.
Viennent ensuite pour notre assemblée de onze dont la composition avait un peu changé, sans réduire son cosmopolitisme, mes trois bourgognes. Le Chambertin caves Nicolas 1953 arrive trop froid de la chambre froide. Il faut lui laisser le temps de s’ouvrir. Et quand il s’ouvre, quel gentil bonheur. Il est bourguignon, un peu coincé, n’a pas la noblesse d’un Chambertin des plus hauts niveaux, mais c’est vraiment adorable. Ma voisine que je cherchais à convaincre commence à se poser des questions. C’est bon signe. Le Volnay Santenots Lucien Chouet 1966 se présente beaucoup plus civilisé que le Chambertin. Il tient la corde pendant quelques minutes, mais dès que le Chambertin a changé de braquet, l’aimable Volnay à la complexité folle et à l’énigme intéressante n’a plus suivi le sillage de son aîné.
La surprise que je voulais didactique, vint du Beaune Marconnets Remoissenet 1937. Nettement sous la vidange, il était à jeter. J’ai donc annoncé à cette noble assemblée que je ne me battrais pas pour le défendre, mais pourquoi ne pas l’essayer ? Déjà, le nez annonce que ce vin est buvable. A la première gorgée, il y a du caramel, du torréfié qui trahit la fatigue du vin. Mais dans le verre, par un phénomène aussi impressionnant que lorsqu’un honnête garçon de bureau se transforme en Superman pour sauver la planète ou en Hulk pour effrayer les foules, nous avons assisté à l’éclosion d’un vin que je qualifierais volontiers d’immense. Bien sûr, ne rêvons pas, il n’a pas repris l’intégralité de sa forme. Mais c’est sans doute le plus racé des bourgognes de ce soir. Je ne le mettrai pas dans mon classement, mais avec quelques convives nous nous faisions la réflexion que les dernières gouttes de ce vin étaient éblouissantes.
Le retour sur terre se fit beaucoup plus facilement que ce que l’on pouvait craindre. Le Clos Vougeot Henri Rebourseau 1998 plut à beaucoup de convives, car il est facilement compréhensible. En dégustant ses notes de cassis, de poivre, et ce goût juteux fort plaisant, je mesurais à quel point la complexité est chez les vins anciens. Je suis heureux d’explorer le monde des vins anciens. Car quelles que soient les blessures que l’on rencontre, il y a un niveau de complexité qui justifie et récompense la démarche.
Note ami ayant récidivé avec le Clos de Papes Châteauneuf du Pape 2003, je ne rajouterai pas au commentaire d’hier, sauf à dire que celui-ci me paraissait plus civilisé (si c’est possible) que le même de la veille.
Le Château Filhot crème de tête 1990 est une curiosité, car Filhot ne fait jamais, en dehors de ce millésime, de crème de tête. Aussi, l’étonnante couleur ambrée s’explique par la concentration. C’est prodigieusement étonnant. C’est tellement sucré et concentré qu’on pense à un Essencia de Tokaji. L’accord avec le délicieux bleu est magique. Mon goût va plutôt vers des sauternes moins lourds. Mais c’est un très grand vin.
Je suis très heureux d’avoir suggéré à Philippe Bourguignon de faire des clafoutis. Car avec le Porto Taylors Flagdate Vintage 1977, l’accord est fusionnel. Ce Porto est lourd comme le platine, flatteur, rassurant, et je comprends pourquoi je n’en mets quasiment jamais dans mes dîners : ça plombe la bouche et le cœur pour l’éternité de la nuit. Mais quel plaisir !
Voter pour des vins aussi disparates est un exercice difficile. Je m’y risquerai pour le fun. Je mets en premier l’Eglise Clinet 1964, car trouver un Pomerol aussi joyeux est un grand plaisir. En deux, ce sera le Chambertin 1953, car son émotion révélée sur le tard est belle. En trois le Filhot 1990, car son goût est d’une rare séduction. Et en quatre La Lagune 1982 pour la précision de sa définition. Donc : 1- L’Eglise Clinet 1964, 2 – Chambertin caves Nicolas 1953, 3- Château Filhot crème de tête 1990, 4- Château La Lagune 1982.
Sur deux jours, avec des amis de tous pays qui échangent des anecdotes et avis sur les vins dans plusieurs forums, nous avons approché de très grands vins de tous âges et de toutes régions. C’est un grand succès de l’amitié internationale que crée l’internet.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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