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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°77
30/08/2006 - 191 - 3 vins de la Romanée Conti
Ce bulletin est plus court, car le sujet du 192ème bulletin, un grand dîner de wine-dinners, ne peut pas être coupé en deux morceaux. Si je voulais donner un titre au récit qui va suivre, ce serait quelque chose comme : « plus on adore un vin, plus on souffre quand il n’est pas parfait ». Ce sont les propos d’un amoureux déçu.
Avec les emplois du temps des uns et des autres, les occasions où nos trois enfants viennent tous ensemble à la maison se font rares. Si ma cave doit donner le meilleur d’elle-même, c’est bien pour eux. Une collection de vins ne vaut que si elle vit. Et mes enfants sont évidemment sa destination idéale. Je descends à la cave ouvrir les bouteilles le matin, puisque nous nous réunissons pour déjeuner. La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943 a un niveau assez bas, mais possible. J’ouvre la capsule et le haut du bouchon sent comme un vilain vinaigre. Le bouchon est noir, sale, gras. Les traces sur le goulot sont graisseuses. Le vin sent très mauvais. S’il doit revivre, il part vraiment de très bas.
J’ouvre la Romanée Conti, Domaine de la Romanée Conti 1954 dont la capsule m’étonne car je n’avais pas remarqué : c’est une capsule de négoce, avec un numéro dans le département 21 qui finit par 66. Or l’étiquette indique Monopole et Leroy. Que s’est-il passé ? Est-ce la capsule de Leroy ? La capsule est éclatée par un vice pervers, comme les bouteilles qui vont mourir, le bouchon est encore plus noir et plus gras que celui de La Tâche. L’odeur est aussi mauvaise, à peine un peu moins. Voilà deux bouteilles qu’un sommelier consciencieux éliminerait immédiatement, dans cet état de senteurs insupportables. Je suis assez agacé, car je trouve dans les vins de la Romanée Conti une plus grande vulnérabilité que celle que je trouve ailleurs. N’en tirons pas de conclusions hâtives, car je suis évidemment plus exigeant pour de tels vins. Il a dû m’arriver aussi, en salles des ventes, d’accepter d’acheter des bouteilles à risque, plus pour le Domaine de la Romanée Conti que pour tout autre domaine. Quand même, ça ne me plait pas.
Je me dis qu’au moins, le monstre que je vais ouvrir sera sans surprise. Je décapsule le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 que je voulais partager avec mes enfants. Et là, chose incroyable, le haut du bouchon est noir, et a déjà cette poussière terreuse que j’ai vue pour les vins du Domaine. Cela fait beaucoup trop pour mon cœur fragile, car je suis un adorateur des vins du Domaine. Cette colère me passera. L’important, puisque j’écris ces lignes avant le repas, c’est ce qui va se passer ensuite.
Les enfants et petits enfants arrivent, on fait manger la dernière génération, et sur des gougères et un Pata Negra bien gras un champagne Salon 1985 brille de façon unique. Ce champagne est magistral. C’est lui qui justifie mon amour pour ce grand cru. Sa bulle est active, vivante, sa couleur est pleine de jeunesse. Il donne en bouche un plaisir rare. Des roses, des fleurs blanches, des photos de David Hamilton s’impriment dans mon inconscient. Ce champagne est fort d’une personnalité extrême. Il réunit un ensemble de qualités déroutantes, car comme dans les bons westerns où le héros échappe à toutes les embuscades, il n’est jamais là où l’on attendrait son goût. Toute la famille a adoré cet extraordinaire champagne.
Sur un foie gras poêlé tout simple, le Montrachet Domaine de la Romanée Conti 2000 est absolument inimaginable de perfection. Et, qui l’eût cru, ce n’est ni le vin ni le foie qui prennent le dessus. Il semble que l’accord délicat se forme sans besoin de négociation. La robe est jaune citron. Le nez est imposant. Il envahit l’espace. En bouche, on attendrait une bombe. Mais pas du tout. C’est une invasion pacifique. Le vin s’installe dans le palais, et décline des saveurs à l’envi. C’est le citron vert, c’est la réglisse, mais c’est aussi tout ce que l’on désire. Mon fils dit que c’est son plus grand blanc. Je fais mine de désapprouver et il précise : c’est mon plus grand blanc « jeune ». Là, je le rejoins volontiers, car ce vin qui ne joue pas sur le registre de la puissance – tant mieux – est d’une palette gustative infinie.
Un filet de bœuf en croûte à la purée de pommes de terre aux truffes va accueillir trois rouges. Nous commençons par La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1943. J’avais suivi son nez depuis quatre heures, et je m’étais dit que ce vin serait vraiment épanoui beaucoup plus tard, sans doute au moment du dîner. Il aurait fallu quelques pansements de plus à ses blessures. Parlons de lui comme du suivant, qui est : Romanée Conti Domaine de la Romanée Conti 1954. Il faut convenir que ce sont des vins que je ne bois pas fréquemment. J’ai déjà bu deux fois La Tâche 1943, et les deux précédentes sont à cent coudées au dessus de celle-ci, et en Romanée Conti de l’après-guerre, si j’exclue la divine 1945, les 1952 et 1956 que j’ai bues ne figurent pas vraiment dans mon Panthéon. Aussi, voir ces bouteilles qui ont survécu, mais ne peuvent pas cacher leurs blessures, ça m’irrite. Je suis un peu excédé. Et ma femme eut la bonne question au sujet de la Romanée Conti. Elle me demande : « si c’était un autre vin, comment en parlerais-tu ? ». Et je réponds : « si le même contenu était sous un autre nom, j’en parlerais en vantant ses mérites. Car il est bon. Je dirais même qu’il est excellent. Mais justement, comme c’est Romanée Conti, et comme je sais qu’il pourrait être tellement supérieur, je suis frustré, et je ne me contente pas de ses qualités ». Mon fils me fit remarquer qu’en parlant ainsi j’exprime le contraire de ce que je recommande, à savoir de recevoir un vin tel qu’il est. A quoi je réponds que le fait d’ouvrir la Romanée Conti ne ressemble à rien d’autre. Je suis content de l’avoir ouverte. Mais je sais qu’elle pourrait donner autre chose, et je suis impatient d’en boire une aussi parfaite, tout en tenant compte de l’âge, que le Montrachet 2000 sublime et sans aucun défaut.
On imagine très bien la scène : un boxeur vient de mettre trois fois un genou à terre dans le même round. Tuméfié, il regagne son coin. Et l’entraîneur lui dit : « tu le tiens, il est à toi ». C’est à peu près l’attitude de mes enfants qui ne cessaient de me dire : « allez, il est sacrément bon, c’est un grand vin ».
Le temps leur donna raison. Comme la conversation se prolonge, on s’approche de plus en plus vers la fin de la bouteille, où les arômes sont les plus concentrés. Est-ce de l’auto-persuasion, alors que je venais d’être plus critique pour ce vin que je ne le serais pour un autre, je goûte trois gorgées, les dernières, qui m’offrent enfin, sans l’ombre d’un défaut, la perfection de ce qui fait l’inégalable de la Romanée Conti. Mon cœur s’est arrêté, comme quand je côtoie la perfection, et je me suis empressé de saisir cette idéalité éphémère. Si je dois me contenter de ces trois gorgées, je les prends, car c’est mon retour d’affection. Oui, la Romanée Conti est inégalable. Oui cette bouteille jouait avec un bras cassé. Mais quel grand vin !
Et La Tâche dans tout cela. Si je me souviens des précédentes 1943, il n’y a pas de comparaison possible, on est trois étages plus bas. Nous avons cherché à lui trouver du charme. Il est arrivé qu’on y réussisse. Je bougonnais trop fort me laisser aller au plaisir. La fin de bouteille, comme celle de La Romanée Conti, a eu beaucoup de charme, que j’ai saisi avec des lèvres pincées de dépit amoureux.
Il y a toujours de la magie dans le vin. Le Beaune Clos du Roi Louis Latour 1959 que j’avais ouvert quand j’avais constaté les blessures des vins du Domaine de la Romanée Conti, offrait à l’ouverture un parfum de bonheur. Servi d’abord à ma fille et belle-fille qui ne partagent pas nos nécrophilies, il est applaudi. Bu après les deux DRC (plutôt les trois DRC), il est charmant et bien construit. Et c’est là que l’on voit la magie du vin (bis), car ce vin chaleureux d’une couleur de bambin, d’une réussite totale, est à des hectomètres de la complexité de La Tâche et de La Romanée Conti. On voit donc que même blessés, ces vins prestigieux du Domaine de la Romanée Conti délivrent des messages merveilleux.
Une délicieuse tarte Tatin a formé avec un Château Caillou, Barsac, crème de tête 1929 un accord de jouissance gastronomique. Le vin fort ambré, caramel, a le nez dense d’une crème de tête. En bouche, une fois que s’est estompée une légère trace glycérinée, c’est un pur soleil à la longueur infinie. Vin absolument magnifique, d’une rondeur et d’une élégance doucereuse bien affirmées.
Je voulais offrir à mes enfants de partager des vins rares. Le Montrachet, le Salon 1985, le Barsac 1929 sont des vins de goûts exemplaires. Je conviens que les fulgurances de génie dans La Tâche et dans la Romanée-Conti justifient que je continue à les aimer. Le fait de voir ces si grands vins en berne m’a contrarié. J’ai cependant une satisfaction. Je pense que 99,9 % des gens qui auraient ouvert de telles bouteilles les auraient jetées. Mon obstination a permis qu’elles aient le droit de s’exprimer. Si elles ont donné à mes enfants et leurs conjoints des moments de grand plaisir, comme ils n’ont cessé de me le dire, je suis content d’avoir été persévérant.
Suis-je heureux, suis-je malheureux ? Très difficile à dire.
Une chose est sûre, j’en ouvrirai d’autres. Car les trois dernières petites gorgées de la Romanée Conti m’y invitent.





 


 
 
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