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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°78
06/09/2006 - 192 - 73ème dîner à la Grande Cascade
En juin, la tentation est grande de faire un dîner de wine-dinners au restaurant de la Grande Cascade. Dans cette petite bonbonnière logée dans un parc aux arbres centenaires, notre table donne sur le jardin, et nous aurons, pendant presque tout le dîner, la vision d’un beau soir annonçant l’été, oubliant les nuages d’un ciel porteur d’ondées. Je suis venu à 17 heures pour ouvrir les vins, accueilli par une belle et attentive Noémie, apprentie sommelière qui promet beaucoup. Pour quatre bouteilles je rencontrerai des bouchons qui partent en charpie, avec des combats difficiles comme avec ce Smith Haut Lafitte au bouchon tenacement collé au verre. Le niveau de ce vin est exemplaire, dans le goulot, ce qui est rare pour un 1949. A l’inverse, le Gruaud Larose 1928 a un niveau de basse épaule et son nez est acide. Tout cela ne me paraît pas trop grave (j’ai tort). L’odeur du Filhot 1924 est magnifique, comme celles des deux blancs secs.
Du fait de la Delanoëisation des transports urbains, la ponctualité n’est pas le fort de cette 73ème promotion des dîners de wine-dinners. Mais la présence de jolies femmes interdit tout commentaire. Comme il fait beau, deviser devant l’entrée est un plaisir. Des convives se reconnaissent. Il y a pour ce dernier dîner de l’année scolaire une majorité d’habitués, ce qui me réjouit.
Le menu, créé par M. Menut et Richard Mebkhout est le suivant : Gressins et allumettes / Feuilleté de bulots, jus au naturel / Truffes d’été cuites et crues en marmelade / Pavé de bar saisi à la plancha, épinards au beurre noisette / Longe de veau en cocotte, poêlée de girolles nature, un jus gras / Stilton et rôtie de fruits secs / Compotée d’agrumes et crumble, meringue vanillée, cappuccino au lait de poule. Le chef a magnifiquement épuré ses plats pour qu’ils soient au service du vin, sans que cela enlève quoi que ce soit à la démonstration de son talent.
Le Champagne Besserat de Bellefon non millésimé arrive un peu chaud, ce qui gêne pour les deux premières gorgées. C’est un champagne assez simple, au message linéaire, que le jambon espagnol titille gentiment. C’est une mise en condition, un échauffement. La partie commence vraiment avec le Champagne Dom Pérignon Œnothèque 1985 dégorgé en 1999 qui est une véritable splendeur. Ce champagne est d’une élégance extraordinaire. J’y vois des roses, des fleurs. Chacun autour de la table rivalise d’évocations colorées et plaisantes. Je viens de goûter il y a peu de jours le champagne Salon 1985. Ces deux champagnes sont délicieux. Très opposés, ils ont chacun leur place. Le Dom Pérignon est charmeur et délicat. Sur le bulot, c’est un rêve. Mais surtout sur la mousse très virile, il se met à chanter. L’accord est beau.
Le Château Bouscaut blanc 1953 à la couleur irréellement jeune accompagne le Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964 d’un or majestueux autour de la truffe d’été. Ce fut certainement le moment le plus intense de la soirée. Le Chassagne a tant de charme que chacun y succombe instantanément, alors que dans mon silence intérieur, je trouve au moins autant d’atouts à ce Bordeaux d’une grande précision. Quel grand bordeaux blanc ! Sa trace citronnée excite agréablement la pomme de terre presque crue et croquante. Le Chassagne est à l’aise avec la truffe toute en suggestion fragile et virginale. Expressif, le vin chante comme Luis Mariano une ode à sa belle. A cet instant, tout est magique, le plat suggestif en nuances, le bordeaux subtil d’une trame précise, et le Chassagne conquérant, Fanfan la Tulipe de l’instant.
Le Château Smith Haut-Lafitte Graves Martillac 1949 est renversant. Sa couleur est d’une jeunesse inattendue, son nez raconte des milliers de poésies. En bouche, il affiche une belle personnalité. C’est certainement le Smith Haut-Lafitte le plus intelligent que j’aie jamais bu. A côté, le pauvre Château Gruaud Larose Sarget 1928 au nez désagréable nous fait vinaigre. Si une lueur s’allume, elle s’éteint aussitôt. Le vin est mort. La gloire du 1949 permet de l’oublier. L’accord sur la chair seule du turbot est d’une grande justesse. L’épinard se mange séparément, et il a la politesse de ne pas biaiser le palais.
A la table, un ami au verbe péremptoire va acclamer le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 1953 quand il va décapiter le Vosne Romanée Leroy 1959. C’est un peu excessif. Le Vosne Romanée porte évidemment des traces de fatigue qui le handicapent. Mais contrairement au Gruaud Larose, il a gardé quelque chose à dire, à demi-mot. Le nez du Richebourg est sauvage, cheval fougueux indompté. Il est salin, de fruits rouges écrasés. En bouche, tout le domaine de la Romanée Conti se rappelle à ma mémoire. Et tout le monde aime ce vin splendide que vante le vigneron bourguignon de notre table, le jugeant immense (il le classera premier de son vote). C’est un vin du domaine particulièrement émouvant, qui remet le curseur du Domaine de la Romanée Conti au niveau d’excellence qu’il ne doit plus quitter dans ma mémoire, après les émotions que j’ai connues, racontées dans le précédent bulletin.
Le Château de Fargues 1989 sur un stilton au goût parfait, c’est tellement facile, sans complication. C’est incroyable de constater que le plaisir est immédiat, sans complexe, pur. Ce vin emplit la bouche de bonheur simple. Ce vin, c’est le vote des congés payés en 1936, c’est un dimanche au bord de l’eau, c’est la mélodie du bonheur. Il est d’une puissance rare, d’une force inébranlable. Un sauternes parfait de prime jeunesse.
C’est un vrai délice de pouvoir faire suivre le généreux Fargues par Château Filhot 1924 d’une qualité exceptionnelle. Très peu botrytisé, il décline une myriade de sensations exotiques fines. On reconnait immédiatement la parenté directe avec le Filhot 1858 que j’avais bu au château de Beaune, à l’initiative de Bouchard Père & Fils. La filiation (comme son nom l’indique) est spectaculaire. Une tranche fine d’orange et sa peau confites forment avec le Filhot un accord miraculeux. L’extase est là. C’est du plaisir pur.
Les classements faits dans les votes me plaisent, car sur ces dix vins dont un mort et un fatigué, sept vins vont figurer dans les votes de seulement quatre vins pour chaque convive puisque c’est un quarté. Et six vins vont recueillir un vote de premier. Ça, c’est spectaculaire. Les plus présents dans les votes sont d’abord le Chassagne Montrachet puis le Dom Pérignon. Les plus votés en place de numéro un sont le Filhot 1928 avec trois places de premier et le Fargues 1989 avec trois votes de premier. Ce fut, ce soir, surtout le couronnement des vins blancs.
Mon vote, qu’un fidèle convive fit à l’identique est : 1 – Château Filhot 1924, 2 – Smith Haut-Lafitte 1949, 3 – Dom Pérignon Oenothèque 1985, 4 – Chassagne Montrachet Georges Pollet 1964.
Trois accords magistraux : la truffe blanche et surtout sa pomme de terre sur les deux blancs magnifiques, la tranche confite d’orange sur le Filhot 1924 et le crémeux Stilton sur le Fargues 1989. Mais la mousse forte sur le Dom Pérignon a beaucoup de charme aussi.
La forme de la table, trop étirée, n’encourage pas les discussions de groupe, ce qui n’empêcha pas les rires de fuser, dans une ambiance chaudement amicale. Cela me tenterait de définir un format de table comme j’ai défini un format de dîner. Ce 73ème dîner avec Filhot 1924 et Smith Haut-Lafitte 1949 fut un des plus plaisants.
Ma fille cadette se fiance. C’est l’occasion pour deux familles de se rencontrer, et aussi de sortir de bons vins. Mon futur gendre et ma fille reçoivent le premier soir. Nous recevrons le lendemain midi. La motivation de Guillaume et Agathe est assez visible, car nous sommes accueillis de façon royale.
Voici le menu : Toasts au foie gras / Foie de lotte et coulis d'orange / Carpaccio de gambas, gelée de riesling pamplemousse / Ravioli langoustine ricotta et épinard / Crumble d'agneau aux fèves / Comté et gruyère de Savoie / Macarons Pierre Hermé rose, pamplemousse américano, chocolat passion / 2000 feuilles Pierre Hermé. Les services d’un chef ont été loués pour la circonstance.
Le champagne Laurent-Perrier en magnum est très agréable. Très équilibré, joyeux, il me surprend agréablement, car je n’attendais pas le non millésimé à ce niveau. Le champagne Krug 1990 en magnum se présente en un flacon d’une rare beauté. Cet écrin renferme un champagne qui est un vrai bijou. Je l’avais goûté dans des dégustations comparatives où il avait montré son talent. En situation de repas, avec le foie de lotte, ce champagne est éblouissant. Il est tellement complexe que je suis obligé de choisir parmi toutes les images qui me viennent. Je retiens les fleurs blanches et roses, les fruits délicats comme des cerises jaunes. Ce champagne floral et fruité est romantique. Il forme un vrai contraste avec le champagne Salon 1985 que nous avions bu aussi en famille il y a moins d’une semaine. Le Salon me semble plus viril, plus conquérant, quand le Krug me paraît plus féminin, charmeur. Ces deux champagnes sont deux expressions assez opposées qui me plaisent tout autant. Je suis sûr que demain, le Krug pourrait me montrer un autre visage, tant il a de facettes à sa séduction. Car le trouver féminin, c’est rare !
Le Riesling "Hengst" Josmeyer cuvée de la St martin 1998 est extrêmement agréable et bien construit. Vin facile à boire. Mais le Chablis Grand Cru les Clos de René et Vincent Dauvissat 1998 a trop d’intelligence. Ce Chablis est magique. Il a tous les bons côtés du Chablis, sans n’en avoir aucun qui soit mauvais. Toute la table de onze parents de deux familles a été émerveillée par la qualité de ce grand Chablis. C’est son expressivité tranquille qui m’a marqué.
Le Château Ausone 1975 est un grand Ausone. Etions-nous de bonne humeur pour juger autant de vins à de tels niveaux ? Non, je crois que cet Ausone est particulièrement réussi. Subtilité, charme, distinction. Il fallait avoir le palais disposé à analyser les détails pour aimer l’Ausone, car à côté de lui, c’est un empereur qui entre en scène. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 2000 est spectaculaire. Que c’est bon, que c’est simple, que c’est naturellement délicieux. On dirait Jean Marais à vingt ans quand il sourit : c’est un ange si naturellement beau. La Mouline, c’est ça : il lui suffit de sourire, et l’on dit : c’est beau.
Un détail me fait plaisir, c’est qu’en quittant un instant la Mouline pour revenir à Ausone, le bordeaux n’est pas écrasé. Il montre toute sa fragile beauté, fragile étant ici comme la beauté d’Anne, l’héroïne des Visiteurs du soir, qui brûle d’amour pour Gilles. La Mouline, c’est plutôt Jean-Paul Belmondo et sa gouaille de chouchou des dames. Deux grands vins, La Mouline immédiatement porteur de plaisir pur, et Ausone, conteur de madrigal, d’une séduction raffinée.
Le Vin jaune Château d'Arlay 1987 vit son bonheur avec le Comté. Découverte pour certains membres de « l’autre » famille. Le Château d’Yquem 1991 est assez effacé. Mais il le devient encore plus avec les desserts de Pierre Hermé qui sont des concentrés de bonheur fondu. De ses macarons, ce qui impressionne le plus, c’est la texture. Elle est divine. Les parfums sont assez forts, ce qui gêne un peu. Le 2000 feuilles est « immangeable » tant il est riche. Personne n’a pu finir sa portion prédécoupée. Il a fallu prendre un rhum pour balancer la lourdeur de ce dessert, pendant que l’Yquem 1991 se taisait.
Mon futur gendre a manifestement mis la barre très haut en ce qui concerne les vins, dont émergent pour moi d’abord le Krug 1990, ensuite la Mouline 2000 et le Chablis Dauvissat. Si j’hésite entre les deux vins, la position du Krug n’est pas discutable.
Le lendemain midi, nous remettons le couvert, cette fois-ci à mon domicile. Certains veulent éviter de boire, car il fait une chaleur de milieu d’été, alors que nous n’y sommes pas encore. Le menu de mon épouse est le suivant : Toasts au foie gras / Crème de foie gras en pot / Joue de porc confite et sa sauce au thé, pomme de terre duchesse / Stilton / Tarte Tatin.
Le champagne Dom Pérignon 1996 servi sous le catalpa est absolument brillant. Participant à un jury de champagnes pour un magazine connu, j’avais, comme mes collègues, classé ce Dom Pérignon en premier des 1996. Il est magique. Beaucoup moins complexe que le Krug 1990, il étonne par sa générosité, sa facilité de langage. C’est un champagne qui a un goût de revenez-y.
Ma fille aînée ayant un fort penchant pour les vins faciles, boudant les Pétrus pour leur préférer par exemple les Languedoc, nous avons commencé, pour qu’elle ait à boire, par un double magnum de Saint-Chinian, les vignerons de Roueïre 1998. La bouteille dissymétrique, pour faire antique, est décorée d’une étiquette en étain, ceinte de rubans rouges. Et, pour qu’il n’y ait aucune méprise, il est inscrit « étain véritable », sur une contre-étiquette elle-même en étain. J’avais ouvert la bouteille vingt heures à l’avance, et carafé plus de quatre heures. Le résultat est un vin extrêmement agréable qui a plu au clan qui s’est créé autour de ma fille aînée des adorateurs de vins de pays. C’est un vin très agréable, auquel il manque bien sûr un vrai final. Mais il se boit avec plaisir.
Le magnum de Château Margaux 1970 est évidemment d’une autre trempe et mon fils aura apprécié son extrême personnalité. Il a du charme, et l’âge lui va bien. Très élégant, subtil, assez flatteur, il plait à ceux qui ne sont pas de la secte de Saint-Chinian, mais je sens des transfuges qui apparaissent, sans que je sois obligé de donner des primes de match. J’avais choisi 1970 pour l’année de mon futur gendre. Au tour de l’année de ma fille.
Le choc que me fait Pétrus 1974 est fort. Je savais que Pétrus avait réussi cette année difficile, mais j’ai l’impression que c’est le plus grand Pétrus 1974 de tous ceux que j’ai bus. Et quelle structure ! Il est intense. Quand Margaux est galant, poussant l’escarpolette d’une demoiselle délurée de Fragonard, Pétrus occupe le terrain du palais, selon une stratégie à la Masséna, l’enfant chéri de la victoire. Mon fils adore la subtilité du Margaux. J’adore la franchise gavée de complexité du Pétrus. Deux grands vins très complémentaires. Pour la petite histoire, le Pétrus 1974 revient en France après un séjour aux USA, comme en atteste une petite étiquette additionnelle.
Rien ne volera la vedette à Château d'Yquem 1988, car la tarte Tatin a décidé de l’épouser, de le mettre en valeur. C’est un grand Yquem, comme je le vérifie souvent.
Bagues, cadeaux, anecdotes enfantines, rien ne manquait à la réussite d’une fête familiale ponctuée de vins exemplaires.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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