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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin n°84
12/03/2007 - 198 - 75ème dîner au Carré des Feuillants
Un ami de mon fils souhaitait partager avec moi une belle bouteille. Nous prenons date. Je pense à apporter aussi une bouteille. En la choisissant, je décide d’inviter d’autres amis pour avoir un éventail de vins plus large.
Nous allons déjeuner au restaurant Laurent, et j’ai fait ouvrir les bouteilles à l’avance par Patrick Lair. Nous sommes cinq à table, et nous commençons par une demi-bouteille de Chassagne Montrachet rouge Charles Viénot 1947. Le nez est extrêmement bourguignon, viril, tendance animale. On peut avoir deux approches : on décide que ce vin est passé, et on l’oublie. Ou l’on a la tolérance d’accepter une légère acidité (qui va d’ailleurs disparaître), et l’on a un vin actif, râpeux, terriblement bourguignon.
Sur un foie gras poêlé absolument délicieux, le Corton Jacques Bouchard 1957 me surprend par sa jeunesse folle. Et le Viénot 1947 sert de faire-valoir à ce beau bourgogne au message clair, qui laisse le négociant en vins de notre table (l’ami de mon fils) quasiment pantois : comment trouver dans un tel vin une grille d’analyse qui s’inspire de celle qu’il utilise lorsqu’il juge au quotidien ? Ce que relève mon ami, c’est surtout la jeunesse de ce vin, qui le trouble. De mon côté, je suis très surpris qu’un 1957, année ingrate, puisse atteindre ce niveau là.
Les pieds de porc sont le plat le plus confortable qui soit. Sa sécurité gustative autoriserait toutes les audaces (un blanc serait aussi très tentant).
Le Corton du Roy Faiveley probable 1947 (car il a perdu sa collerette d’année) a un nez resplendissant. C’est la pourpre cardinalice. En bouche le premier contact est tellement chaleureux que je me mets à penser à 1929. Un tel charme ne peut appartenir qu’à 1929. Mais dans le merveilleux jardin du restaurant Laurent dont nous profitons pour une des dernières fois de l’année, la température relativement fraîche va limiter l’ardeur du Corton qui redevient plus probablement un 1947. Mais le doute subsiste, car la générosité gustative de ce vin est du calibre de 1929. Lorsque je ferai en fin de repas une nouvelle analyse de tous les vins que nous avons bus, c’est la chaleur et la spontanéité de ce Corton qui le placeront nettement au dessus des autres vins. On sent des fruits rouges, du jus chaud et vivifiant dans ce vin chaleureux à la longueur très remarquable pour un vin de plus de cinquante ans.
L’apport de l’ami de mon fils, La Romanée, du Château de Vosne-Romanée 1966, a une couleur très troublée qui résulte sans doute du voyage depuis Bordeaux. Le nez est un peu acide. En bouche c’est assez joli, mais très « en dedans ». On peut penser qu’avec quelques heures d’ouverture de plus, ce vin aurait développé son message. Ici il se contente d’un texte simplifié, quand même annonciateur du potentiel qu’il aurait pu exprimer.
Dans un repas aussi amical et enjoué, je peux prendre des risques plus grands pour le choix des vins. Sur un saint-nectaire, la demi-bouteille de Pontet Canet 1924 est morte, sans qu’il soit envisageable de lui trouver le moindre rayon de soleil. En revanche, la demi-bouteille de Gruaud Larose 1922, même si elle ne fait plus partie des vins acceptables, indique, sous ses blessures, qu’il aurait été un jour un vin de grande valeur.
Pour nous consoler de ces deux bouteilles qui ont dépassé depuis longtemps la validité de leur ticket, le Château Salins, Rions 1ères Côtes de Bordeaux 1941 séduit toute la table sur un soufflé aux pêches. Sa couleur est d’un or joyeux, son nez est discret, mais élégant. Il évoque le coing. En bouche, c’est délicatement liquoreux, avec des évocations de pêche, de fruits blancs, d’agrumes légers. Il est presque sec dans son doucereux. Sa longueur est prudente, mais son plaisir est immense. Dénicher des vins inconnus qui se montrent sous un tel jour est un de mes plaisirs favoris.
Ce repas m’a donné l’envie de provoquer ainsi de temps en temps une table amicale où l’on ouvrirait des bouteilles représentant plus de risques, soit pour ne plus prolonger une inutile agonie, soit pour leur permettre de déployer leurs ailes d’anges.
Le 75ème dîner de wine-dinners se tient au Carré des Feuillants. Christophe, sommelier attentif qui a déjà assisté à plusieurs ouvertures de vins pour mes dîners a tout préparé. Les bouchons sont ouverts beaucoup plus facilement que d’habitude. Je fais sentir à Christophe le Château Clos Fourtet Saint-Émilion 1934. Il constate et s’étonne de la forte différence de nos appréciations. Là où il sent un vin fermé, je vois apparaître d’immenses promesses qui m’emplissent d’aise. La plus spectaculaire bouteille est celle de Haut-Brion 1918. La capsule est d’époque. Le dessus du bouchon sur le goulot porte des marques du temps mais le bouchon lui-même est irréellement bien conservé. Il a joué son rôle plus qu’il n’eût dû, puisque le niveau du vin est dans le goulot. En le sentant, je vois les évolutions qu’il va connaître pour s’ouvrir vers sa perfection. Le Haut-Sauternes 1867 a un niveau très bas. La partie supérieure du bouchon est terreuse. Le bas du bouchon est sain. L’odeur à l’ouverture est épouvantable. Je ne crois pas me tromper en annonçant qu’il ne revivra jamais. Alors que dans la bouteille sa couleur est trouble et marron foncé, dans le verre, c’est un or brillant qui attire mon regard. Et en bouche, c’est même buvable. Que va-t-il se passer ? Je prévois que l’on ouvre dans quelque temps un Filhot 1935 que j’ai en réserve, si un nouvel examen ne montre pas de retour à la vie. Je ne crois pas au miracle.
Toute l’opération d’ouverture s’est passée très vite, aussi ai-je le temps d’aller errer dans un Paris ensoleillé par une fin d’été qui donne aux parisiennes une séduisante et frivole beauté. Tous les convives sont à l’heure, ce qui est agréable. Huit des neuf convives me sont connus. Les rires ont fusé ce qui m’a valu fort tard dans la nuit cette remarque d’Alain Dutournier : « on sentait à vos rires que vous vous amusiez ».
Le menu créé par l’équipe d’Alain Dutournier : Homard vapeur, amandes effilées, fraîcheurs du jardin, la pince en rouleau végétal / Cuisses de grenouilles épicées, pousses de roquettes, girolles en tempura / Tronçon de baudroie ficelé de pommes de terre, lasagne de chou tendre, fumet mousseux au raifort / Cèpes marinés, le chapeau poêlé et le pied en petit pâté chaud / Tendron de veau de lait dans son jus, barigoule de poivrade, chair de tomates anciennes, pistou d’aubergines, olives noires / Vieux gouda travaillé, truffe de Bourgogne râpée / Figues caramélisées, gingembre confit, crème glacée aux noix fraîches, craquant aux noix, compotée de figues, citron, cannelle. Un chef au sommet de son art a créé des accords d’une justesse rare.
Le Champagne Richeroy Carte d’Or demi sec # années 40 a une robe d’un or abricoté. La bulle n’est pas très active mais sera largement suffisante pour imprimer son charme à un vin doucereux, à la structure simple mais confortable. Champagne particulièrement plaisant qui n’est que la première parmi les folles surprises de cette soirée.
Le Champagne Laurent Perrier Grand Siècle, avait été annoncé autour de 1985. En fait, au vu du bouchon et au goût, il faut largement ajouter vingt ans. Disons qu’il est : vers 1966. Une robe ambrée, une bulle très active, une odeur affirmée. On est en présence d’un très grand champagne. Sur le homard aux diverses formes de présentation, il change de costume pour montrer son élégance variée.
Présenter sur un même plat le « Y » d’Yquem 1985 et une relique, un Arbois, réserve de la Reine Pédauque 1933 est assez audacieux. Il fallait éviter que l’Arbois n’écrase l’Y. Le blanc sec du sauternais est particulièrement élégant. Je n’ai pas retrouvé la signature traditionnelle qui fait percevoir les grains de raisin du terroir d’Yquem. Mais il a gagné en sérénité par rapport à des essais précédents. Il ne porte absolument pas son âge. Sa couleur jaune citron d’une folle jeunesse, son nez impétueux son attaque fougueuse en bouche le rapprochent d’un vin de six ans plutôt que de 21. L’Arbois 1933 est une captivante surprise et je suis autant étonné que le reste de la table. Ce vin ne ressemble à rien de connu. Il est lourd, puissant comme un Hermitage, sa robe brune est pesante. En bouche, il a des tons de caramel, de café, mais aussi une vraie trace d’un vin velouté et séduisant. C’est la véritable énigme d’un vin captivant.
Le Château l’Enclos Pomerol 1976, s’il était bu seul à la maison, donnerait un agréable plaisir, avec son léger goût râpeux très bourguignon (mais oui !). Ici, il n’est que le faire-valoir, monsieur Loyal d’un Château Clos Fourtet Saint-Émilion 1934 qui fait vaciller toute la table. J’observe assez souvent ces moments où l’incertitude gagne tous les convives. Comment est-il possible qu’un vin de 72 ans ait cette jeunesse incroyable, cette fraîcheur, cette franchise de goût ? On n’y croit pas. Deux convives, chacun n’ayant pas entendu ce que disait l’autre, déclarent au même moment : « le plus vieux du 34 et du 76, c’est le 76 ! ». Je fais un commentaire : « si vous parlez de ce que vous avez constaté, personne ne vous croira. Personne ne peut admettre la vivacité de ces vins bien conservés, au bouchon très sain. Tant qu’on n’a pas bu soi-même un tel vin, on ne peut pas l’admettre ».
Le Château Haut-Brion 1918 va une fois encore faire chavirer les esprits. Au point qu’un convive ami me dit : « avoue-le, tu as mis du 1986 dans la bouteille ». Là aussi, c’est inimaginable pour l’amateur normal de considérer que de tels vins puissent être si beaux. C’est cela la gratification de ma passion des vins anciens, de constater que certains vins développent des goûts et des complexités introuvables dans les vins jeunes, et d’une magnitude transcendantale. Une fois de plus un 1918 est magistral, comme les cinq autres 1918 que j’ai ouverts à mes dîners.
Nous allons revenir sur des terres familières avec les deux vins qui nous sont servis. Le Richebourg, Domaine Gros Frères 1987 est fondé sur l’élégance subtile où la puissance est bannie. La robe est claire, mais le vin n’a pas la fragilité de son année. Au contraire ! La trace qu’il imprime en bouche est charmante, colorée, subtile, de belle complexité. La Côte Rôtie La Mouline Guigal 1989, c’est un flash ball, le pistolet de la police moderne, qui stoppe un agresseur à dix mètres. On prend un coup de poing dans le cœur quand on boit ce vin. Il anesthésie complètement la volonté. On reste béat, benêt, cloué, car on ne sait pas quoi dire. C’est de la perfection qui laisse pantois. Il y a de la puissance, bien sûr, couplée à un boisé fort. Mais la complexité est là et la subtilité aussi. C’est un vin immense.
Le Vouvray Le Haut Lieu Huet 1919 excite la table, car presque tout le monde connait ce vin dans une expression récente. Alors, les papilles sont en alerte. Le coing, le litchi, la mangue sont présents au rendez-vous et chacun s’en enchante. Je reste un peu plus réservé, car ce vin reconditionné au domaine est trop pur, sans dépôt. C’est évidemment un 1919, mais qui a perdu un peu de sa spontanéité.
Je déclare un peu trop vite les réserves et les craintes que j’avais eues à l’ouverture du Haut-Sauternes, D Lafon propriétaire, 1867. Je dis même qu’il est mort, avant de l’avoir bu. On me sert, et je commence à être surpris. Quand le vin à la belle couleur dorée s’épanouit dans le verre, à mon grand étonnement, c’est un vrai vin qui parle. Et en plus il est bon. J’avais suggéré que l’on trempe seulement ses lèvres pour avoir goûté au moins une fois un vin du 19ème siècle, même mort. En fait, nous avons tout bu ! On reconnaît vraiment un sauternes, avec ses notes de coing, de mangue et d’agrumes. On ne peut pas prétendre qu’il délivre 100% de ce qu’il pourrait, mais c’est un vrai vin de curiosité et de réel plaisir. Il va servir de faire valoir à son cadet de près de 70 ans, le Château Filhot 1935 que j’avais apporté « pour le cas où ». Ce vin que j’ai bu très souvent est un de mes repères. Ce n’est pas un sauternes puissant et ensoleillé comme Suduiraut 1928, la perfection absolue. C’est un sauternes assez strict (comme toute la décennie 30), un peu réservé, mais qui déploie un large répertoire fondé sur la subtilité. Au lieu de fruits orangés, ce sont plutôt des fruits jaunes et verts. Là aussi la jeunesse est étonnante.
La justesse des accords a été éblouissante, la palme revenant sans doute au plat de cèpes avec le Haut-Brion 1918. Nous avons voté, et sur les douze vins, huit ont eu les honneurs des votes. Quatre vins ont eu l’avantage d’être cités premier. Le Haut-Brion 1918 a recueilli quatre votes de premier, la Mouline 1989 trois votes de premier, le Clos Fourtet 1934 deux votes de premier et le Filhot 1935 un vote de premier.
Le vote du consensus serait : Haut-Brion 1918, l’Arbois 1933, la Mouline 1989, le Clos Fourtet 1934 et le Filhot 1935. Mon vote a été : Clos Fourtet 1934, Filhot 1935, Haut-Brion 1918 et l’Arbois 1933. C’est la première fois, je crois, que je vote pour trois années qui se suivent de la décennie 30.
Comme cela se passe très souvent, nous sommes figés à table, personne ne voulant écrire le mot « FIN » à notre belle aventure. Un Armagnac Laubade 1964 offert par un convive permet de prolonger les rires, les discussions, l’accumulation de souvenirs, fort tard dans la nuit. Ce 75ème dîner fut l’un des plus extraordinaires que nous ayons vécus.
Je pars dans le Sud, des voisins m’invitent pour une « langouste-party ». J’ai le temps de prendre en cave deux vins. Le monde est vraiment petit car je retrouve chez mes voisins l’un des convives du dîner que je viens de décrire. Mais ce n’est pas qu’un hasard. Le Chateauneuf-du-Pape blanc de E. Malbec a reçu des médailles d’or à la foire d’Orange et au concours agricole à Paris, les deux en 1971. On peut supposer que c’est un 1969, à une année près. D’un jaune doré, d’un nez franc, il dégage un charme certain qui n’a pas pris une ride. Chaleureux, droit, sincère, c’est un vin magnifique. Le Chateauneuf-du-Pape de Jean et Jean-Paul Versino 1989 produit un accord avec la chair de la langouste bretonne qui est remarquable. Vineux, viril, de gentille râpe, ce vin joue son rôle à fond. C’est un vin de pur plaisir. Voici deux bonnes pioches qui me réconcilient avec la cave que j’avais achetée un peu comme chat en poche à un retraité d’Orange.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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