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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 31
20/09/2005 - 150 - Jacques maximin and Summer dinners
Par un été naissant non caniculaire, quand les journées sont longues et les touristes encore peu présents, je pars explorer les paysages de Provence. La ville de Tourtour est joliment médiévale. Dans un réflexe citoyen et républicain, on a annexé la place forte locale au passé chevaleresque pour en faire la mairie et la poste. La socialisation rampante gagne même nos plus belles campagnes. Un restaurant tenu par une volontaire suissesse offre une cuisine bourgeoise de bon aloi. Le village d’Aups est attachant. Ça sent l’accent chantant du Sud. Les gorges du Verdon sont toujours aussi belles. Une pancarte « site classé » me laisse rêveur : je ne vois pas comment on pourrait modifier ce que la nature a mis des centaines de millions d’années à sculpter dans la pierre. Une construction peut être défigurée par un urbaniste, fol Néron destructeur. Pas cette sauvage beauté. Allant de splendeur en splendeur mes roues me portent au Château du Domaine Saint-Martin à Vence, ancien château aux quatre tours qui était un observatoire templier unique de toute la côte méditerranéenne. Ce lieu est d’un luxe total. Le jardin est dessiné par un véritable artiste et la piscine m’aguiche au point que je la possède de long en large. Le service est absolument parfait, surnuméraire comme on le voit à l’île Maurice. Tout est fait pour offrir un confort absolu. J’ai la chance qu’on me surclasse et ma chambre d’où la vue est infinie a un volume qui rassure. Rien n’est plus confortable que le luxe insensé.
J’ai réservé à la « table d’amis » de Jacques Maximin, dont le nom est une profession de foi : on veut faire plaisir, sans chichi. J’étais seul puisque mon épouse était retenue à Paris. Quand on est seul, on observe plus, et l’on passe sur moins de choses. Les remarques que je vais faire doivent être prises dans le contexte de mes bulletins. Je ne suis ni un guide, ni un juge. Ce qui est dit n’a pas prétention à être définitif.
J’entre dans un jardin où des tables sous des parasols donnent une agréable sensation d’été. Accueil par Madame Maximin souriante. Je demande la carte des vins car quand je suis seul, je mets généralement ma carte bleue en dangereux surrégime. Et là, le vide. Cette carte des vins, qui n’est pas sans intérêt, est chiche, sans domaine qui attire l’œil. Cette maison familiale ne voulant pas surinvestir dans la cave a décidé que l’on aurait une offre limitée. Ce fut une grande frustration. Ne trouvant pas d’objet de folie, je jette mon dévolu sur une bouteille que je n’aurais normalement pas commandée compte tenu d’un coefficient élevé. Je prends Mouton-Rothschild 1988. Non pas que ce vin soit sans intérêt, mais je n’ai pas l’habitude des bouteilles à cinq ou six fois mon prix de remplacement. On m’apporte la bouteille pour me la montrer et on va l’ouvrir à l’intérieur, loin de ma vue. Connaissant les prélèvements à la source qui sont parfois opérés par les sommeliers dans des restaurants, ce qui ne me plait pas, je me précipite pour vérifier ce qui se fait (vous imaginez la scène). Heureusement, Olivier Maximin, le fils du chef, souriant, sympathique, dynamique et diablement efficace n’a pas taxé ma bouteille. Je fais mon menu avec Madame Maximin, et me voilà embarqué dans un voyage puisque c’est la première fois que je viens, Christophe Colomb d’un soir lançant ses voiles folles.
Une petite soupe d’estragon à l’huile d’olive et crème au piment d’Espelette est absolument délicieuse. Elle me pose à nouveau la question : on doit repérer assez facilement les clients qui prennent des bouteilles de budgets respectables. On devrait toujours avoir sous le coude un amuse-bouche qui respecte le vin. Là c’est évidemment inadapté. Mais comme je suis têtu, j’ai attendu que ma bouche s’apaise et la mémoire de l’herbe et celle du piment sur la langue vont multiplier le charme du Mouton dont je parlerai dans un instant. C’est la rémanence du goût de cette petite entrée qui embellit le Mouton.
Le homard avec des truffes d’été est absolument goûteux et délicieux. Tout cela est de la bonne cuisine. Le Mouton est particulièrement à l’aise avec la truffe, et compagnonne bien avec le homard. Le plat absolument fabuleux, c’est la selle d’agneau. Pour réussir cette chair et surtout cette sauce, il faut du talent. Et il y en a à profusion. Bien évidemment le Mouton se sent bien. Il parade. Ce plat goûteux m’a ravi.
Je demande du fromage et une assiette toute prête arrive. Olivier m’explique que c’est composé avec les arrivages que son père a choisis. Je dis alors à Olivier quelque chose qui ressemble à ceci, en plus diplomatique bien sûr : « le menu que j’ai pris vaut deux fois le menu classique vins compris. La bouteille que j’ai prise vaut douze fois le menu. C’est donc comme si nous étions quatorze à table. Me donner du fromage sans avoir réfléchi à trouver ceux qui vont avec mon vin ne me parait pas convenable ». Je ne pense pas que cette assiette proposée sans penser au vin soit du niveau d’un deux étoiles. Je reconnais volontiers qu’en d’autres circonstances je n’aurais même pas réagi sur ce point. La solitude à table rend tatillon. Et la frustration de payer cher une bouteille par manque d’autres choix m’avait conditionné.
Pendant ce temps on entendait en cuisine Jacques Maximin pousser de graves coups de gueule contre son personnel. La carte des vins et cette assiette de fromage m’ont indisposé. Le talent du cuisinier n’est pas en cause car c’est un grand, et la sauce de sa selle d’agneau est une merveille. Mais je fus déçu. J’étais venu pour un deux étoiles. Je ne l’ai pas eu. La cuisine, oui, mais pas ce qui va autour. Rentrant en taxi à l’hôtel je fus accueilli par le directeur de la restauration. Nous parlâmes de mes constatations et il m’offrit un Bas Armagnac château Briat 1982 excellent, pour exprimer toute l’estime qu’il porte à Jacques Maximin qu’il ne considère pas comme un concurrent mais comme un grand. Beau geste d’une sympathique solidarité.
Et le Mouton dans tout cela. Il m’a fait sourire, car c’est le vin qui a tout, soit pour qu’on le dénigre, soit pour qu’on l’encense. Ce vin n’est pas complet. Si on veut le critiquer, on signalera ses absences. Si on veut l’encenser – et le budget que j’ai mis voulait que je l’adore – on a tout pour l’aimer. Il me suffit de dire que j’ai eu quelques fulgurances de grand vin. Mais honnêtement, il lui manque du génie.
Le lendemain matin, réveil, plongée matinale dans la piscine dont je suis le premier occupant, puis petit déjeuner dans une oliveraie fort accueillante. A cette époque, les seuls estivants sont étrangers. Le directeur me fait visiter sa cave creusée dans la falaise sous le château, où des bouteilles tentantes vaudront un autre séjour. C’est une cave qui est en devenir. J’ai senti que le directeur veut faire ce que Jacques Maximin n’a pas fait. Une étape où il fera bon revenir. Mais à deux.
Au port de la Madrague de la presqu’île de Giens, il existe un petit bar restaurant qui n’a pas encore été touché par le tourisme. Les pêcheurs et pochtrons autochtones viennent siroter de répétitifs pastis. On y lit le journal et l’on y mange les poissons rapportés par des pointus locaux. Demandant à voir le plateau des poissons, je repère deux belles langoustes. Une anchoïade est le rituel démarrage qui nous installe dans l’atmosphère du bonheur estival. Rien ne vaut le chou-fleur cru que l’on trempe dans une sauce abondante et épaisse.
Le rosé de l’Aumérade 2003 a un joli nom, ce qui n’est déjà pas si mal. Rien n’inspire vraiment dans ce liquide qui a le même effet sur la soif que l’éponge sur un marathonien : c’est efficace, mais on ne va pas demander en plus que ça ait du goût. Le rouge de l’Aumérade 2003 joue dans la même ligue. La langouste au corail de plomb est tellement goûteuse qu’on ne se soucie pas de ces vins qui méritent bien évidemment d’exister, car je n’ai fondamentalement rien à leur reprocher. On est loin de la qualité de la cuisine du deux étoiles récent. Mais le plaisir est très grand car l’authenticité de cette table de pêcheurs est une récompense.
J’avais conversé par e-mail ou au téléphone avec un grand critique gastronomique, écrivain de surcroît, qui officie sur de vastes et nombreux médias. L’idée d’une rencontre était apparue naturelle. J’ouvre le portail de ma maison du Sud pour accueillir un personnage au visage inconnu. La sensation est étrange et fait place instantanément à l’envie de se connaître. Ses bagages sont rangés dans sa chambre, nous arpentons le jardin face à la mer, et naturellement, assis autour d’une table surplombant la mer et donnant l’impression d’être en bateau, nous devisons sur l’état de la gastronomie française, ses chefs, ses habitudes, ses manies, ses tics de mode, ses voies à ignorer ou à éliminer. Nous nous rassurons par des analyses le plus souvent communes et nous nous expliquons quand nos avis s’opposent. Aucune volonté de briller, de montrer que l’on sait, mais plutôt la joie de deux philatélistes qui se montrent le timbre de la pêche au marlin à l’île Maurice ou le timbre d’un milliard de marks quand cette monnaie ne valait rien.
La préparation d’un dîner en l’honneur d’un homme de plume prompt à crucifier le moindre défaut a quelque chose d’excitant. Le menu sera le suivant : terrine de courgettes, poulet aux tomates confites, fromages du Var, salade de pêche, crème fraîche et confiture de pêche. Des choses simples, aux goûts précis, sans chercher à compliquer, ce qui exposerait à la critique. Pour les vins, j’avais prévu de commencer par un Saint-Véran Bichot 1989, pour mettre en valeur une appellation trop souvent ignorée, mais dans ma précipitation j’ai pris une bouteille aux couleurs identiques qui me força à changer les ordres de service.
A l’apéritif, j’ai prévu de délicieuses petites sardines qui appellent un vin rouge, car ce qui me paraissait possible au Saint-Véran ne me le parait pas au Chablis. C’est donc le Domaine de Barbeiranne Cuvée Charlotte 1999 Côtes de Provence. Vin délicieux qui part avec bonheur caresser la sardine. La chair goûteuse apprivoise ce vin délicieux. Ma pioche d’olives était à éviter pour le vin.
Sur la terrine, le vin que j’ai pris par erreur est un Chablis Premier Cru les Vaucoupins Bichot (Long Dépaquit) 1988. La couleur s’est déjà ambrée. Le vin accuse un peu son âge, même si la prestation gustative est honorable. Je savais que mon hôte aime les vins blancs très frais. Le froid anesthésia le Chablis, fort justifié sur l’aubergine.
De dodus et copieux poulets accueillirent des bouteilles qu’on ne trouve que rarement, tant la région n’a pas la patience de les conserver, ce qui est un tort. Le Terrebrune rouge Bandol 1987 est beau, noble, racé comme un fier espagnol qui vous foudroie du regard. Ce vin vous nargue de sa rudesse. Il est d’un beau plaisir. Le Rimauresq rouge 1983 Côtes de Provence monte encore d’un cran. Complexe, multiforme, chatoyant comme un beau Rhône, il chatouille les papilles avec un charme consommé. C’est manifestement un vin de grande classe.
La salade de pêche trouve sur sa route un Pommery 1987 magnifique d’énigme, de distinction et d’une personnalité folle. C’est le visage d’un Klaus Kinski avec la voix d’un Sinatra. Il joue sur plusieurs registres, voulant ne pas être catalogué. Tout le monde se moque de moi pace que j’aime les cigarettes russes, quand ces pédants (ma femme et ce nouvel ami) croient plus distingué de s’extasier sur des gavottes. Le champagne est délicieusement adapté aux deux desserts. Lorsque, tard dans la nuit, je fermai les lumières d’un repas amical, j’étais assez fier que nous ayons pu montrer, ma femme et moi, une parcelle de notre personnalité dans les choix que nous avions faits. Je classai d’instinct les vins dans l’ordre suivant : Pommery 1987, Rimauresq 1983, Barbeiranne 1999, Terrebrune 1987 et Chablis 1988. Les discussions reprirent au petit déjeuner comme si nous nous connaissions depuis vingt ans, avec, au seuil de se séparer, l’envie que tout ceci ait rapidement une suite.
Nous fîmes deux expériences en un restaurant fort sympathique, agréablement doté d’une étoile, l’Escoundudo à Bormes-les-Mimosas. Un jeune chef enthousiaste qui veut bien faire, Matthias Dandine, au talent incontestable, mais qui veut trop prouver. Alors, on complique sans que ce soit nécessaire et bien sûr, les plats que l’on apprécie le plus sont les plus simples, les poissons notamment, qu’il traite avec délicatesse. Par un temps très lourd, un Corton Charlemagne Louis Jadot 1999 est trop fort. Le Corton Charlemagne n’est pas à sortir en cette saison. Alors qu’un Clos Saint-Denis Grand Cru 2001 domaine Dujac brilla d’une élégance remarquable. Table à suivre, à essayer encore, car ces jeunes motivés, les deux frères épaulés par leurs parents, vont encore progresser. Une belle table dans une bien jolie ville. J’ai beaucoup aimé la deuxième fois le Laurent Perrier Grand Siècle 1995 au message bien franc. Un Château Baillon « Oppidum » 1989 m’a époustouflé, car ce Côtes de Provence était ce soir là en habit de lumière, mieux qu’un Pibarnon 1990 qui sentait déjà la mise à la retraite anticipée.
Des amis ayant la riche idée d’ouvrir un Salon 1995 au talent naissant, je réciproquai quelques semaines plus tard en ouvrant un Salon 1985. Quel champagne ! Immédiatement, c’est le pamplemousse rose qui entre en scène au milieu de fleurs blanches. Ce champagne, d’abord floral, virginal et fruité de fruits délicats se structure ensuite en bouche. Les fruits plus lourds comme la mangue apparaissent. Le vineux fumé se montre et le kaléidoscope de saveurs intenses ravit mon palais déjà conquis. Nous nous rendons ensuite sur une belle plage où du sable blanc et fin rajouté au sable usuellement rugueux donne des idées tahitiennes. Là, dans un petit restaurant à l’ambiance jeune et mode, une jeune serveuse à la langue piercée, dont la jupe ne contribuera pas à alourdir le déficit du textile importé, nous sert de beaux poissons. J’ai pris un chapon. Le Dom Pérignon 1996, à la première gorgée, parait léger après le Salon, mais le palais s’adapte, et ce champagne dont j’ai vanté les abondants mérites s’installe, se met en place. C’est plus champagne, avec du charme mais moins de complexité. Le Cristal Roederer 1999 est encore trop bambin pour qu’il puisse se comparer. Fluide et délicat, il lui faudra vieillir.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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