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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 33
04/10/2005 - 152 - Grand Véfour and Bistrot du Sommelier
Je me rends au Sénat où l’on décerne des prix dans le cadre du festival « oenovideo ». Des reportages passionnants sur le vin, ses hommes et ses paysages sont présentés car ils sont primés. Un film sur une vigne d’un village minier, d’un petit nombre de mètres carrés, peut-être six à huit mille, possédée par 450 ouvriers de la mine, tombée en déshérence, renaît par la volonté d’un passionné. A l’inverse, le film invraisemblable de LVMH overseas qui décide qu’elle a créé le goût du monde, avec cette arrogance à l’américaine : nous sommes les plus forts, point. C’est curieux de primer un tel film d’entreprise au budget illimité. Le meilleur document, à mon goût, est évidemment « flacons d’éternité » de Didier Guyot, où les vins mythiques de la Bourgogne du 19ème siècle sont à l’honneur, avec ce vigneron étonnant qui n’échangerait pas sa vigne pour la plus belle femme du monde et a toujours de la terre de sa vigne dans sa poche, pour l’éternité. Un Fitou goûté au gentil buffet du Sénat m’a rappelé que tous les vins ne sont pas éternels.
On a eu la gentillesse de m’inscrire comme membre du jury qui doit consacrer les meilleurs cavistes du monde. Le concours est parrainé par une grande marque de champagne, Laurent-Perrier. Le jury doit « forcément » préparer les critères de sélection. Est-ce une excuse pour se retrouver ? Oui. Cela se fera dans le restaurant Le Petit Verdot, rue du Cherche-Midi, que Hidé vient de reprendre. Hidé, ex-sommelier de Cordeilhan Bages, était l’âme d’Hiramatsu dont j’ai abondamment vanté les mérites. Injustement privé de la concrétisation de son installation dans l’ex-Faugeron, il a racheté ce petit local où il fera, j’en suis sûr, une immense cuisine. Nous nous retrouvons, avec Didier Depond, l’âme (lui aussi) de Salon (mâtin quel champagne comme dirait Gotlib dans Pilote), avec un sommelier historique et talentueux, avec le président de l’association des cavistes indépendants, avec quelques autres membres du jury, et nous travaillons. Les arrivées des jurés s’étalant sur une plage extrêmement longue, nous attendons les tardifs avec un nombre coquet de Laurent Perrier Grand Siècle. Ça coule tellement bien ! Celui-ci doit être un assemblage de 1995, 1997 et 2000. Une attaque résolument champagne, avec une densité en bouche magistrale. Le final est un peu plus discret, mais cette expression de champagne est d’une sincérité extrême. Le menu n’est pas fait, je regarde la carte des vins où Hidé a encore un peu trop le souvenir des prix des grands étoilés, et j’ai un déclic. Il nous faut le Laurent-Perrier sur l’andouillette AAA et peut-être plus de A, et un Chambertin Armand Rousseau sur la lotte. Comme Hidé n’a qu’une seule bouteille de 1992, on prendra 1995 et 1992.
L’andouillette est malheureusement associée à une sauce vinaigrée aux oignons. Il eût fallu une andouillette dans sa pureté, car le Laurent Perrier Grand Siècle ne demande que cela.
Avec la lotte, le Chambertin Armand Rousseau 1995 brille de façon exceptionnelle. Ce vin prend aux tripes. Sensuel, charmeur, intense, il trouve un écho dans la chair lourde du poisson qui est purement transcendantale. Peu des participants, grands experts devant l’éternel, auraient osé ce mariage qui s’est révélé de rêve. J’avais peur que le 1992, nettement plus mûr, ne rebute mes collègues du jury. Or en fait tout le monde suivit avec bonheur ce vin déjà plus affirmé, sans marquer la moindre réticence. Le vin avait une telle trace lourde et magique en bouche qu’aucun dessert ne s’imposait. Une ravissante convive ayant réclamé du sucré, du chocolat accueillit un Porto Taylor 1999 de charme évident. Fut-on studieux ? Je ne sais pas, car les occasions de se dissiper par des anecdotes passionnantes étaient nombreuses. Mais on se souviendra de ce dîner chez Hidé, au petit Verdot, table qui sera demain (elle l’est déjà) une table incontournable.
Je dois pour la cinquième année consécutive ordonnancer le repas qui s’appelle « repas des amis de Bipin Desai ». Bipin est ce professeur de physique nucléaire américain qui organise les plus invraisemblables dégustations de la planète. On lui doit celle des 38 millésimes de Montrose (bulletin 151). Ayant réglé par téléphone ou mail tous les détails, j’ai le temps de me rendre à l’inauguration du Salon du Collectionneur au Carrousel du Louvre où les objets présentés, contrairement à la brocante de Hyères (bulletin 149), procurent des émotions esthétiques uniques. On se sent petit devant la perfection artistique de ces personnages chinois de terre dont le graphisme épuré est sorti de mains d’artistes nés il y a 1300 ans. Les éclairages, les stands intelligents, tout montre la richesse d’œuvres d’art quand on prenait le temps d’exécuter. Après avoir salué quelques amis et trempé mes lèvres dans un très expressif champagne Henriot, je rejoins le restaurant Le Grand Véfour pour vérifier que tout est prêt, et c’est le cas. Dans ce lieu porteur de l’histoire du bien manger, le petit salon en étage est le lieu idéal pour nos retrouvailles. La période des vendanges a hélas écarté de notre table des amis indispensables. On toasta largement en leur honneur, surtout quand ils avaient eu la gentillesse d’être présents par le biais d’une belle bouteille.
Guy Martin a composé un menu qui fut un beau voyage. Qu’on en juge : Tomate et mozzarella en beignet, émulsion de pancetta / Foie gras de canard au persil plat, bouillon de coco, tranches de cèpes au Combawa / Homard de Bretagne, jeune betterave confite à la vanille et d’autres crues / Turbot cuit meunière à l’huile de truffe blanche, fine purée de petits pois et jeunes carottes / Canard croisé cuit sur son coffre, cuisse confite aux épices, jus de miel citronnier et fenouil / Comté de 18 mois / Fondant de figues sur un croustillant de riz soufflé au basilic.
Les amuse-bouches abondants et éclectiques se marient à ravir avec le champagne Laurent-Perrier 1976 en magnum. Bouteille d’une élégance rare par la forme effilée du flacon et le gris argenté de l’étiquette. En bouche, ce blanc de blanc est d’une subtilité particulière. Il n’est pas envahissant mais charmeur, conteur d’histoires de goûts délicats. Toute évocation de goût serait réductrice mais j’ai rêvé de fraises des bois en sentant la caresse suave des bulles sur mes lèvres conquises. La variation sur la tomate est originale.
Patrick Tamisier que je connais depuis un quart de siècle du temps où j’étais assidu à la Tour d’Argent a apporté un soin particulier aux vins. Il me fait goûter le Meursault Perrières Comtes Lafon 1996 et c’est une grenade de parfum qui explose sur mon nez. Quelle agression olfactive de pur plaisir ! Ah, c’est viril. C’est sans concession. Et en bouche la puissance est énorme. Je suis un peu gêné par le poids alcoolique de ce lourd Meursault, mais quel plaisir. Avec le foie gras judicieusement mêlé au persil, c’est une merveille. J’ai apprécié l’audace du citron japonais sur les tranches de cèpes qui donnent au Meursault une autre philosophie.
Le Montrachet 1961 Bouchard Père & Fils arrive trop froid. Etait-ce l’absence de Bernard Hervet, ce vin que j’ai tant aimé au château de Beaune était ici bien pâle, comme le tigre qui cherche des yeux son dompteur et se sent perdu s’il n’est pas là. Bien sûr, quand il s’étend, le vin montre comme il est grandiose. Comme de plus je n’ai pas trop aimé l’expression du homard qui ne me parlait pas, peut-être à cause du vin que je ne retrouvais pas, ce ne fut pas le soir de ce grand Montrachet dont j’ai relaté l’émotion unique (bulletin 143).
Le nez de La Tâche Domaine de la Romanée Conti 1990, en un dixième de seconde, plante le décor. On ne peut pas concevoir quelque chose de plus élégant. Le raffinement est sans limite. Sur la chair du turbot, ce vin d’une noblesse immense brille d’une façon que l’on ne pourrait pas imaginer sans le verre en main. Ce vin est grand, d’une longueur extrême. Il y eut comme un silence quand chacun prit conscience de l’intensité de ce vin. Une pensée fusa pour Aubert de Villaine retenu pour des récoltes qui seront belles.
Le canard à la belle chair mais au miel un peu fort donna à la Côte Rôtie Brune et Blonde Guigal 1966 l’occasion de délivrer un message d’un charme certain. Passer derrière La Tâche, ce n’est pas un service à rendre à un vin. Mais il s’en tira fort bien dans un registre de vin plus mûr au charme ensoleillé.
Avant l’arrivée des convives j’étais allé sentir les bouchons des bouteilles ouvertes par Patrick Tamisier, et l’odeur du bouchon du Château Chalon Bourdy P&F 1911 m’avait fait vaciller d’aise. C’est immense. Didier Depond, président de Salon-Delamotte vibre comme moi à la sensualité dérangeante de ces vins extraterrestres. Servi beaucoup trop froid, il se rattrapa bien vite sur un délicieux Comté de 18 mois que j’avais préféré au 36 mois qu’on m’avait proposé. Il ne faut pas pour ces vieux vins jaunes de choc gustatif excessif. Le vin se rétablissant à une vitesse sidérale, nous avons goûté la perfection absolue du vin jaune du Jura. Et nous imaginions les nombreux mariages que ce vin suggère pour de redoutables joutes culinaires. Avis aux amateurs, car j’en ai une belle provision.
Le délicieux dessert à la figue se fiança avec un Sainte-Croix-du-Mont de coopérative, « Chevalier » 1959 à la couleur d’un bel or patiné, au nez de pain d’épices, et chaleureux en bouche comme un beau Sauternes à qui il manquerait juste un peu de longueur.
La table fut enjouée et des milliers de sujets nous entraînèrent en des discussions passionnantes. La certitude de perpétuer une amicale tradition de grande qualité éclairait nos visages. Patrick Tamisier fut attentif et amical. Guy Martin nous avait composé un très intelligent et agréable voyage exécuté d’une belle dextérité. Il y avait en chacun de nous l’envie de recommencer.
Une société indépendante de gestion de capitaux reçoit à déjeuner, avec la complicité d’une grande maison française d’assurance, dans le siège mondial de cet immense groupe. Un hôtel particulier chargé d’histoire possède des salles d’une richesse inimaginable, de pur 18ème siècle, avec des meubles, des objets qu’ont dû jalouser jadis les rois de France et aujourd’hui les grands musées. Dans la salle à manger d’apparat, un déjeuner d’une douzaine de clients de marque permettra le service de vins de la maison ce qui fait que nul lecteur n’aura de difficulté pour trouver où je suis.
L’apéritif est un Furmint 2001 de Disnoko, propriété de Tokaji du groupe. Ce vin combine le sec et le doucereux en un vin canaille, assez énigmatique et dérangeant. Titrant 13,5°, il faut s’en méfier. Le foie gras marié à la figue supporte très bien un Suduiraut 1996 bien jeune, aux senteurs rebelles, lourd en bouche comme du plomb, annonçant un beau futur si on sait attendre avant de le boire. J’applaudis plutôt deux fois qu’une quand le Pichon Baron 1996 est servi sur un délicat rouget. Oui, c’est le poisson qui met en valeur ce vin incroyablement jeune au palais, qui a très élégamment intégré ses composantes de fruits et de tannin.
C’est un très joli porto Noval 1994 qui accompagna un élégant dessert. Le charme des lieux est unique, marquant une rupture définitive entre une époque où chaque centimètre carré de tenture ou de panneau devait être beau, dans une composition d’ensemble répondant à des critères esthétiques définitivement inaccessibles.
Avec un petit groupe de conscrits, pas copains de régiment mais c’est tout comme, nous soignons périodiquement nos cholestérols dans d’appétissantes ripailles. Comme j’invite, je fais appel à mon ami Philippe Faure-Brac pour concocter un moment de bonheur au bistrot du sommelier.
Le champagne Pol Roger 1993 pur Chardonnay est une leçon de choses. On ne se lasse pas de ces saveurs aux accents sépia. La calligraphie chinoise se lit dans chaque gorgée précise, florale, romantique. Le tartare de saumon et de haddock est justement adapté car le saumon adoucit un haddock qui fouette la bulle pour la rendre encore plus active. L’émulsion caresse le tout.
Le magnum de Mission Haut-Brion 1972 est mis en valeur par un maquereau dont j’ai fait enlever tout accompagnement. La chair exquise et brutale fait ressortir toute la valeur de ce vin au nez bourguignon, à la fatigue de façade, mais qui révèle une personnalité immense. Ce vin ne laisse pas indifférent, bouscule tous les repères que l’on a sur l’année, et donne un velouté qui ferait pâlir quelques Chambertin.
Le magnum de Château Margaux 1970 court après un col vert fort goûteux et le rattrape. Ils copinent avec le sourire. Le Margaux annonce tout de suite le message : il veut que l’on reconnaisse qu’il est Château Margaux Et on le reconnaît. En légèreté, en subtilité élégante mais jouant un peu en dedans, son charme conquiert mes amis.
Le comté de dix mois, sage choix, propulse un passionnant Côtes du Jura blanc Jean Bourdy 1967 dans des dimensions canailles. Ce vin a des saveurs d’après match, quand on a gagné, et qu’on lance au patron « fais péter tes truffes ». C’est ça ce vin du Jura, l’appel à la folie gastronomique, quand on se laisse aller au goût pur. Chaque fois, cet appel purement ésotérique me ravit l’âme.
Philippe Faure-Brac, dont nous étrennions la carte d’automne qu’il lance aujourd’hui a un dessert au chocolat parfaitement calibré. C’est tellement léger qu’on jouit des cèpes mariés au chocolat avec un à propos certain. Le Rivesaltes Pierre Granger 1959 qui titre 16,5° fait la balance avec la légèreté du chocolat. Expressif mais manquant d’exubérance, il a quand même ponctué par un sourire un repas au raffinement amical. Toute l’équipe de Philippe veut bien faire, et c’est un plaisir de construire avec un personnel souriant un repas de belle et heureuse gastronomie.
Un expert en vins venu me rejoindre sur place pour préparer les abondantes ventes aux enchères actuelles goûta avec moi les fonds de Mission et le Margaux. Malgré la petitesse de l’année, le Mission est redoutablement intéressant et racé quand le Margaux pétule de charme.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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