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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 37
31/10/2005 - 156 - Award for the best independant wine cellarist
Ayant répondu à l’invitation de Jean Hugel de le retrouver en famille et à son domaine, j’ai évoqué dans le dernier numéro le repas familial, la visite des caves, la dégustation de Rieslings récents. Il ne faudrait pas passer sous silence la visite des vignes en pleines vendanges. Jean n’est pas le premier vigneron à me raconter son attachement à l’histoire, son souci de comprendre la terre, de maîtriser l’indiscipline de la vigne, cet insoumis qui préfère l’école buissonnière et la paresse que lui offre une terre trop facile. Mais c’est toujours émouvant, comme la vibration que dégage cette ville de Riquewihr très touristique, dont les maisons ancestrales (histoire, toujours l’histoire) offrent une beauté à la taille de l’homme. Je pense aux vignerons de l’âge de Jean, dont les grands parents leur ont raconté les vendanges de la fin du 19ème siècle, eux qui ont connu les ruptures que les guerres ont causées au travail de la vigne. J’aimerais parfois que le temps s’arrête pour qu’on ne perde pas le souvenir de périodes où, avec dix fois moins de techniques qu’aujourd’hui, on a fait des vins qui m’ont fait presque pleurer.
Les pieds crottés nous revenons dans les murs de la société, et descendant les marches d’une cave qui ne paie pas de mine, de vilains casiers de plastique cachent quelques trésors. Jean prélève un Riesling VT (vendanges tardives) Hugel 1935. Belle couleur au brun cuivré. Le nez est très pur et séduisant. En bouche, c’est merveilleux. La belle acidité porte le vin, extraordinairement expressif. On pourrait évoquer la noix ou la cire d’abeille, mais ce qui compte, c’est la profondeur du message. Un couple de suédois venus acheter une bouteille n’en revenaient pas qu’on leur propose de goûter un tel nectar puisque nous étions assis tranquillement dans la boutique, Jean ne pouvant s’empêcher de faire l’article à tout arrivant. Alsace, quand tu nous tiens !
Sentant qu’il y avait un goût de trop peu, Jean m’invite à redescendre en cave. Je saisis un 1934. « Ce sera pour la prochaine fois, pour que vous ayez envie de revenir ». Un Gewurztraminer VT 1943 remonta de cave, avec un autre cadeau : un Kummel de 1943 qu’un soldat allemand avait demandé à Jean ou l’un de ses frères de garder pour lui. Quelle saveur aura ce qui est paradoxalement l’inverse d’une prise de guerre ?
Le Gewurztraminer VT 1943 a un nez d’une élégance rare. Surprise en bouche, le vin est très léger. Il y a une petite amertume épicée qui limite le plaisir. Un couple d’américains eut la bonne idée de passer là au bon moment. La surprise de ce vin léger explique, mieux que tout commentaire, celle qu’ont eue les académiciens du 4 octobre qui ont été surpris par le VT 1961 qui leur fut donné de boire.
La bouche séduite encore par ce Riesling 1935 d’immense charme je regagnai ma chambre pour me reposer le corps et les oreilles, car le Jean, quand il a quelque chose à dire – et il en a tout le temps – vous entraîne dans un tourbillon verbal impressionnant.
Simone Hugel, Jean et moi allons dîner à l’auberge de l’Ill. C’est ici qu’il y a près de quarante ans j’ai le souvenir impérissable de ma première truffe entière. J’étais peu revenu en cet endroit, car ayant dans cette région plusieurs filiales du groupe que je présidais, c’était une halte interdite au comptablement correct. Jean et Simone sont comme en famille et Serge Dubs, meilleur sommelier du monde est le gardien d’un beau trésor de cave de la famille Haeberlin.
Nous avons débuté par un Riesling Jubilée 1998 Hugel que Madame Hugel et moi avons apprécié sur une sardine au caviar. Heureusement qu’elle lit mes bulletins, car elle aurait trouvé étrange qu’à sa table on se pâme, se trémousse, glousse, jubile : l’accord était parfait. Et quand un accord est parfait, l’alchimie est si forte que le plat et le vin s’envolent. Et mon plaisir se voit. Délicat Riesling raffiné, frêle et distingué propulsé par une sardine presque crue que le caviar met sur son trente et un. Plat magistral – Alain Senderens n’aurait plus le monopole de la sardine ? – et vin transcendé par cette association.
Quand le maître d’hôtel prend les commandes, généralement, la puissance invitante ordonne en dernier. La truffe n’est pas un plat pour les classes moyennes, celles qui font l’objet de toutes les séductions politiques, aussi Simone et moi ordonnâmes des plats qu’on ne peut pas pour autant qualifier de plats de pauvres. Et voilà Jean qui nous dit : « et bien moi, ce sera la truffe ». « Scandale ! » crie Simone, bien sûr pour rire. Taraudé que j’étais par une irrépressible lutte des classes, je fis jouer l’ascenseur social et choisis de suivre Jean dans son appétit de luxe. Autant dire que le souvenir de quarante ans revint immédiatement avec cette truffe sous la cendre d’un plaisir absolu. Là-dessus, le Pinot Noir Hugel « les neveux » 1990 est tout simplement éblouissant. Je savais ce qu’il y avait dans la carafe mais je me suis amusé à penser à l’aveugle. C’est immédiatement le Bordeaux qui vient à l’esprit, et un grand. Quand j’évoquais par la suite la Californie, Simone le prit comme une injure. J’expliquai que non. Ce vin à l’équilibre joyeux, remplissant la bouche de goûteuse façon et que la truffe n’écrase pas, est irréel. Intemporel. Nous nous dîmes avec Serge Dubs que personne ne reconnaîtrait un tel vin, piège absolu. Dans lequel je suis prêt à souvent retomber, s’il reste encore de ce nectar.
Trouver un dessert pour le Gewurztraminer SGN Hugel 1967 est un exercice difficile. J’essayai la poire, mais c’est son feuilleté qui convenait le mieux. Un liquide à l’or rose, presque comme un flash de boîte de nuit. Un nez séducteur, intense. En bouche, j’eus plus de mal à trouver mon bonheur. Ce vin est parfait, mais j’ai trop en tête les sauternes de 1967 dont le récent Yquem, pour que je puisse en faire abstraction et me laisser séduire par ce grand vin. J’avais ce soir beaucoup plus de plaisir avec les deux vins précédents, de pure originalité. L’ambiance de ce restaurant familial est enjouée, la cuisine est bonne. C’est une halte de plaisir.
On indiqua à Jean une table d’anglais qu’il alla saluer. L’un d’entre eux se leva alors pour venir à son tour me saluer. C’était un des participants de la folle dégustation des 38 millésimes de Montrose qui m’approcha avec une attitude toute britannique : « j’étais avec vous à cette belle dégustation. Je n’ai pas votre expérience de ces vins, mais j’ai beaucoup apprécié les remarques pertinentes que vous avez faites ». Le monde, à l’anglaise, est délicieusement agréable, n’est-il pas ?
Je quittai cette belle région où Jean Hugel m’a renforcé dans mon amour des vins d’Alsace. Sa générosité, son immense dynamisme et sa conviction sont un bonheur pour toute sa région.
Tours-sur-Marne est une coquette bourgade de la champagne, perdue au milieu des vignes. Au cœur de l’automne, quand les ceps ont fini de livrer leurs trésors, les feuilles se parent de mille couleurs pour un dernier spectacle de pure beauté : le vert bien sûr, pour rappeler que les vignes furent jeunes, le jaune doré et le rouge sang pour suggérer les liquides magiques qu’elles ont donnés et le noir d’encre pour que l’homme qui dompte ces lianes se souvienne que tout ici est mortel. Un joli soleil fait briller cette féerie. Nous arrivons au siège de Laurent Perrier, devant une devise comminatoire : « ne buvez pas d’eau ». Le jury du concours du meilleur caviste indépendant du monde se retrouve après la préparation que nous avions faite au « Petit Verdot » (bulletin 152). Les dix candidats cavistes sont de sérieux phénomènes pour avoir passé l’épreuve d’un questionnaire qui aurait certainement éliminé bon nombre de membres du jury (moi bien sûr) du fait de l’extrême complexité et de l’étendue des sujets. Ils sont tous fébriles, anxieux, car l’épreuve qui vient est la description et la reconnaissance de sept vins. Le jury les goûte en sachant ce qu’ils sont et prend des notes pour pouvoir jauger la pertinence des descriptions. Chaque caviste a le choix entre trois réponses pour un vin, ce qui est déjà une précieuse indication. Malgré cela, l’épreuve est si difficile, même pour des gens très doués, que le taux de découverte des vins ne dépassera pas 50%. Les descriptions sont amusantes. Parfois d’une exactitude remarquable, souvent d’un lyrisme scolaire, et quelquefois totalement à coté du vin goûté. La palme revient à un candidat qui a trouvé de la tige de pivoine (pas la fleur, la tige) dans un vin. Les réponses furent globalement très compétentes pour des vins difficiles : Jasnières Domaine Renvoisé 2001, Mendoza, Torrontes Santa Julia 1999, Brouilly domaine Longuefay 2004, Amarone della Valpolicella domaine Righetti 2001, Carmenere Tabali reserva, Chili 2002, Moscato di Pantelleria liquoroso « Tanit » domaine Miceli Sicilia, single malt Scotch Whisky caol-ila Dun Bheagan 12 ans. Inutile de dire que ce n’était pas simple.
Un succinct déjeuner avec les candidats et nous dépouillons les réponses pendant que l’épreuve d’un questionnaire se déroule. La partie la plus passionnante sera la présentation du coup de cœur. Chaque caviste a apporté un vin qu’il aime et le justifie au jury. Certains vins furent des découvertes assez époustouflantes car ces malins gaillards ont déniché des petits trésors. J’en cite deux ou trois.
Un Saumur 2000 Clos Rougeard « Brézé » qui titre 12,5°. Ce blanc a un nez d’une puissance rare, beurré de mille fleurs, presque salin. En bouche très floral, iodé, passionnant. Le Grasberg 2002 de Marcel Deiss titre 13° et se compose de trois cépages alsaciens. Le nez de fruits exotiques précède une amplitude en bouche élégante, florale, saline qui finit en bonbon acidulé.
Un caviste a apporté une Commandaria de Chypre St John non millésimée absolument délicieuse évoquant au nez les Banyuls les plus délicats. Il eut cette phrase admirable : « sentez ce vin, il sent le billet d’avion qui vous emporte vers d’autres mondes ».
Le Jurançon 1991 cuvée la Quintessence du Domaine Bru-Baché titre 13,5°. Un nez très opulent, franc, séducteur. En bouche, le coing, le fruit élégant, frais, à peine sucré. Quelle présence en bouche ! Fort et imprégnant, c’est un exemple du beau Jurançon.
Une des présentations, très technique, insista sur un jeune vigneron atypique qui fait tout à contrecourant, soignant ses allées à la pince à épiler, chouchoutant ses bourgeons à la lampe à bronzer. Le résultat est un jus de cassis poivré moins bon que s’il était fait avec du cassis. Je ne citerai pas ce vin du pays de l’Héraut, dont seul l’intitulé « garance » avait une gueule d’atmosphère.
La lecture de la liste des quatre finalistes est aussi cruelle que lors de la désignation de Miss France. On dit aux jeunes et jolies filles : « même si tu n’es pas nommée, tu souris ». Le sourire forcé de ces beautés est presque insoutenable de souffrance intime. Là, les déçus ne cachent pas leur sentiment d’injustice. Ils font bonne figure peu après, mais on sent la blessure profonde du candidat écarté.
La dernière épreuve est un jeu de rôle. Le candidat a cinq minutes pour conseiller Enrico Bernardo, mis à contribution car il reste deux italiens en piste qui s’exprimeront dans leur langue, qui veut acheter des vins pour un dîner. Voir le meilleur sommelier du monde 2004 répondre à un caviste : « vous savez, je n’y connais pas grand-chose, je m’en remets à vous » vaut le détour. Le gagnant fut un caviste italien au charme certain soutenu par une connaissance extrême car il avait entre autres gagné l’épreuve de la description et reconnaissance des vins à l’aveugle.
Comme dans tous les albums d’Astérix l’histoire se finit par un festin, mais là, contrairement aux ripailles gauloises, on laissa les bardes chanter à tue-tête, puisque Georges Lepré, chanteur au talent achevé, montra au lauréat que le bel canto, c’est en France qu’on sait le pratiquer. Et le président de la fédération des cavistes troussa joliment un air d’opérette, en duo avec Georges.
Un médaillon de lotte, un carré de veau de lait sous la mère, un millefeuille de framboises mettent en valeur les champagnes de la maison Laurent Perrier dont un très intelligent ultra brut, un brut millésimé 1996 en magnum délicat et une opportune cuvée Laurent Perrier rosé brut en magnum. Cela ponctuait une bien belle journée qui a mis en valeur la compétence de cavistes brillants.
Nous allons en famille au théâtre « L’européen » 5 rue Biot voir « aujourd’hui c’est Ferrier », one woman show de Julie Ferrier où je vous recommande de courir dare-dare car cette pétulante Fregoli a un talent d’interprétation original. Si vous faites comme nous, la soirée se poursuivra à la brasserie Wepler où les huîtres Gillardeau n’attendent que votre fourchette. Voulant réitérer le choc gustatif du Ruinart sur les mêmes huîtres, je commande Pommery Cuvée Louise 1995 que j’oppose à un Chablis premier cru Fourchaumes la Chablisienne 2001. L’émotion est moins grande que dans les locaux de Ruinart, mais l’impression gustative est forte avec le champagne qui sait jongler avec l’iode et le sel de papillons n°5. Le Chablis est possible, mais le plaisir est avec Louise.
Je m’émerveille toujours du ballet des serveurs des brasseries historiques. Pas un geste n’est perdu. L’assiette de coquilles vides est-elle pleine ? Elle est immédiatement changée. Un désir ? Il est immédiatement comblé avec efficacité. Pourquoi les préposées aux cigarettes – baptisées ici hôtesses – espèce en voie de disparition, ont-elles toujours des décolletés profonds comme des canyons ? La précision des serveurs me fait penser à celles des cafetiers qui, à l’heure du « petit café » du midi enchaînent les gestes comme en un ballet. Il faudrait qu’on leur dise qu’une tasse, comme un mauvais élève, ça se prend par les oreilles, et pas comme une boule de pétanque. Ai-je envie que mes lèvres connaissent leurs empreintes digitales personnalisées par un reste de la gomina d’un matin au réveil chiffonné ?
La perfection est une attention de tous les gestes et de tous les instants.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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