home wines dinners participate academy contact us Feuille
Ligne Ligne Ligne Ligne Ligne Ligne Feuille
Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 42
14/06/2005 - 143 - incredible dinners by Bouchard and Margaux
Notre groupe d’amateurs de Bordeaux formé d’américains en majorité mais aussi de canadiens, suisses, allemands et français a ouvert son congrès annuel par un apéritif aux Caves Legrand et un dîner au restaurant Dauphin (bulletin 142). Je leur ai proposé un crochet par Beaune avant un lourd programme bordelais.
Nous arrivons à Beaune sous la pluie pour visiter les caves de la maison Bouchard Père & Fils avec Bernard Hervet qui a concocté un voyage « souterrain » passionnant. Après s’être recueillis devant des flacons légendaires et uniques datant de 150 ans, nous avons goûté les 2004 dans une cave de mûrissement d’un joli gabarit (Pierre Fulla, opus cité). Les échantillons avaient été préparés, car tirer la pipette pour vingt personnes est un exercice épuisant. Les rouges furent : Savigny lès Beaune Les Lavières, Beaune Marconnets, Volnay Clos des Chênes, et un magnifique Clos Vougeot. Les blancs de 2004 : Meursault les Clous, Meursault Perrières, Chevalier Montrachet La Cabotte d’une rare subtilité et Montrachet, le seigneur de ces vins. Même si je sens une évolution des 2004 par rapport à la visite en Bourgogne d’il y a moins de vingt jours, je continue de penser que goûter des vins de six mois est un exercice de vigneron, nécessaire pour eux, mais seulement intellectuel pour les amateurs que nous sommes. La démonstration allait en être donnée par les 2003. Car, même s’ils sont trop jeunes pour être vraiment bus, ils ont déjà tous leurs membres et annoncent clairement la dominante de leurs futures qualités.
Les rouges 2003 : Monthélie les Duresses fort agréable et plus puissant que ce que j’attendais, Beaune Grèves Vigne de l’Enfant Jésus, une icône du travail de la maison Bouchard, Volnay Caillerets « ancienne cuvée Carnot » que j’ai adoré, Nuits Saint Georges « Les Cailles » plus austère et Le Corton, un immense vin rouge.
Les blancs 2003 : Beaune Clos Saint Landry, vin simple mais de grand plaisir, Meursault Charmes dont j’ai bu l’aïeul de 156 ans de plus, le Meursault Genévrières que j’ai adoré, le Corton Charlemagne de belle structure et le Chevalier Montrachet époustouflant, meilleur vin, pour moi de ces deux séries de bambins.
Au salon du château, qui n’est pas le château historique, ancienne forteresse de Louis XI, pentagone presque parfait ponctué par cinq tours, ensemble qui fut coupé en deux, ce qui rasa l’une des tours, pour des considérations républicaines et citoyennes (il fallait casser les symboles de la monarchie). La gentilhommière où nous goûtons un champagne Henriot Cuvée des Enchanteleurs 1988 est de dimension humaine et élégante. Le champagne est une indispensable pause après tous ces grands vins qui criaillent leur jeunesse folle. La bouche a été tellement sollicitée qu’on goûte forcément moins précisément ce champagne que j’adore. Il est indispensable pour savourer la suite.
A table, sur la cuisine précise et intelligente de Jean Paul Thibert, nous allons participer à l’un de ces repas de légende qui vont bousculer tous les repères et toutes les idées reçues de mes amis américains. La conservation idéale des vins les rend irréellement jeunes. Aucun des vins des mêmes années d’une cave privée comme la mienne ne peut prétendre à cette fraîcheur. Le voyage en est d’autant plus déroutant et passionnant.
Le Corton Charlemagne Bouchard 1998 a un nez explosif. Il est d’une puissance redoutable. En bouche, c’est l’alezan tout fou qui ne supporte pas la longe. Ses sabots frappent le sol. Là, les saveurs se bousculent dans un crépitement de fête foraine. Dans le verre le temps va domestiquer ces jaillissements et le pur Corton Charlemagne, plutôt puissant, montre son intelligence. On est conquis mais forcé de l’oublier, car le Montrachet Bouchard 1961 accapare toute l’attention. Je vois mes américains qui vacillent. Comment un vin de 44 ans peut-il avoir cette intensité, cette jeunesse, cette expressivité sans la moindre faiblesse ? Ce Montrachet est grand, beau, intégré, rond, au message pur. Doré, il va jouer sur de multiples registres où la crème de lait se montre, puis les champignons, puis un très joli fruit doré. Sur le pâté chaud de caille, le Montrachet est éblouissant.
Le Beaune Marconnets Bouchard 1959 est la meilleure des entrées en matière pour les rouges. Le vin est explicitement bourguignon, facile à comprendre, avec une belle amertume classique. Le carré de veau de lait rôti lui va bien. Mais comme il va aussi au Montrachet, on mesure à quel point le Montrachet est grandiose.
Les deux vins rouges qui vont suivre vont dérouter non seulement mes amis qui n’ont pas un tel recul historique, mais moi aussi. Ces saveurs n’ont pas de comparaison possible tant la préservation en une cave unique joue un rôle déterminant. Le Pommard Rugiens Bouchard 1929 a une jeunesse inouïe. Le nez est d’une intensité extrême avec du fruit. Mais oui ! On dirait qu’on a mis un concentré de fruits rouges dans un vin de 1986. C’est éblouissant et très puissant. Le Beaune Cuvée Estienne Hospices de Beaune 1906 est de la même trempe, mais encore plus émouvant. Car ayant un peu moins de puissance, il est plus romantique. On éprouve avec ces deux vins la même sensation que l’égyptologue qui découvrirait un panneau dont les couleurs paraissent peintes de la veille tant elles sont fraîches. L’émotion que peut procurer un vin de 99 ans de cette verdeur est intense. J’étais un peu en avance pour attendre mes invités. Aussi, j’avais rejoint Bernard Hervet ouvrant les 1929 et les 1906 avant notre périple en caves. Le bouchon de l’une des 1906 avait une forte odeur de bouchon que le vin n’avait pas. La première gorgée d’un 1906 juste ouvert est un moment rare. Et Bernard me dit : « les américains préféreront le 1929 au 1906 ». Quelques heures plus tard, votant à mains levées, on vit effectivement une majorité de bras pour le 1929, quand le 1906 recueillait quelques approbations, dont celles de Bernard Hervet et la mienne.
J’ai trouvé que le Montrachet, goûté sur le fromage, allait mieux avec le Cîteaux, l’ami des rouges, qu’avec le Comté, qui le refermait un peu. Un vieux marc de Bourgogne du Domaine Bouchard touchait nos lèvres sans forcément en avoir la nécessité. Il y avait eu trop de vins émouvants. Il fallait que ce soit leur trace que l’on garde. Le lendemain matin, j’avais la mémoire de ce 1906, vin inénarrable. Il n’a pas l’extraordinaire qualité du Romanée Saint-Vivant 1906 que j’avais bu ici même. Mais j’évoque de tels sommets gustatifs que ce vin de Beaune mérite de figurer à mon Panthéon.
L’hôtel des Remparts a ce coté rassurant des maisons familiales de gentil confort. La douche de ma chambre baptisée avec optimisme « suite » ne recélait aucune complication comme à Saumur ou à Pauillac. De quoi dormir en paix, pour affronter de nouvelles aventures avec mes amis américains en territoire bordelais.
Transfert vers Bordeaux. J’arrive à l’hôtel Cordeillan Bages où je deviens un habitué. Accueil charmant. A mon arrivée je reçois une lettre. Son enveloppe calligraphiée ferait dire à n’importe quel ado « c’est chic grave ». C’est l’invitation personnelle de Corinne Mentzelopoulos à dîner à Château Margaux. Délicate attention puisqu’elle touche chaque membre de notre groupe là où il se trouve.
Par peur de la densité du programme qui démarre demain, je ne vais pas rejoindre les solides gaillards qui vont conquérir et investir Bordeaux. Je dîne dans l’auberge du Château Lynch Bages car Thierry Marx fait relâche le lundi. C’est à cinq cent mètres de l’hôtel. Ayant donné quartier libre à mon chauffeur, c’est un chauffeur de place qui me fait faire ces quelques mètres dans une Excalibur décapotée. Juste pour me remémorer l’inimitable bruit des huit cylindres américains qui semblent pomper un puits de pétrole à chaque accélération.
Le menu, inspiré des méthodes et du talent de Thierry Marx est très agréablement exécuté. Là-dessus, un blanc de Lynch-Bages 2003 fait évidemment un choc quand la mémoire est celle du Montrachet 1961 de Bouchard. Mais on s’habitue. Il est simple et agréable, s’accommode bien d’asperges blanches (oui), se montre joli sur le maquereau et encore plus à l’aise sur l’épaule d’agneau et une tomme de brebis. Je m’exerce, puisque demain nous reviendrons en ce même lieu. La semaine sera copieuse.
Le premier rendez-vous est au Château d’Issan, élégante demeure aux douves plus romantiques que défensives. Un très ancien chai accueille aujourd’hui des concerts. Emmanuel Cruse nous reçoit, tout sourire, plein d’humour. Sous le discours amène, quelques vérités cinglent, loin de la langue de bois. Nous buvons ses paroles et son 2004 particulièrement élégant.
A Lynch Bages au contraire, c’est l’usine à dégustation. C’est la Sécurité Sociale du goûteur, et l’on se sent calibré. Le contact est impersonnel même si on nous fait goûter un sympathique Lynch Bages 1999 un peu moderne, après avoir dissout nos gencives par l’acidité des 2004 de la maison aux nombreux domaines. On apprécie d’autant plus le privilège d’avoir Jean Michel Cazes s’asseyant à notre table de déjeuner dans la gentille auberge où je dînais hier. C’est un patron, un homme de management. Il réfléchit à long terme, sait ce qu’il veut. Il est d’une génération aux longues dents qui fait le goût que le consommateur veut. Et si ce goût est américain on fera de l’américain. Ce n’est pas lui qui le dit, c’est l’impression que j’ai eue. Homme charmant, charmeur, puissant, fonceur, il fait sans doute beaucoup pour le dynamisme de sa région. Son hôtel en est un exemple, comme les Caudalies pour la famille Cathiard ou le Plaisance pour la famille Perse.
A table nous profitons d’un Ormes de Pez 1990 fort joli, fidèle représentation du charme de l’année 1990. Le Lynch Bages 1985 servi en magnum, variable selon les magnums, est un peu simplifié. Mais comme on le verra plus loin, la dégustation forcenée de vins à ne pas boire, puisque la mode est de présenter les vins pressés il y a seulement sept à huit mois modifie notre palais. L’ambiance du repas à la belle cuisine puisqu’elle est inspirée par Thierry Marx met un sourire sur nos lèvres.
On nous avait recommandé d’être d’une ponctualité rigoureuse à Léoville Las Cazes, mais une fois sur place, on nous demanda d’attendre. Après plusieurs vins de l’année sobrement expliqués en français par le maître de chai, le Léoville Las Cazes 2002 montre une belle intelligence, sans me faire sauter en l’air.
L’émerveillement de la journée allait provenir d’une de ces visites dont on se souvient toute une vie. Au portail du château Margaux, Paul Pontallier, directeur général nous attend. Visite qu’il commente en anglais. Je bois du petit lait, car il explique comme la démarche du château est commandée par l’histoire et par le doute constructif : un comité de direction pose des questions sur tous les sujets pour que les choix soient justifiés. La dégustation en chai est sérieuse : Pavillon rouge 2004 déjà ingambe, Margaux 2004 d’une beauté souriante quand le Margaux 2003 est plus austère. De ces deux vins encore en fût le plus jeune est heureux d’être né quand le plus ancien ronchonne de devoir bientôt quitter son fût pour être mis en bouteille. Le Margaux 2000 est magnifique, mais il faudra attendre plus de dix ans avant de le voir flamboyant. Et la plus belle démonstration vint du Margaux 1995, pleinement dans la définition de ce grand vin à la longueur en bouche exceptionnelle. Paul Pontallier insista sur la fraîcheur du final de chacun de ses vins. Il a raison.
Corinne Mentzelopoulos nous accueille sur les marches de l’imposant escalier du château et se prête de bonne grâce aux innombrables photos de groupe, chaque appareil voulant garder la trace de l’instant. L’apéritif est organisé autour du champagne Krug 1988 à la couleur de blé doré. Ce qui me frappe c’est l’extrême subtilité des canapés aux saveurs délicieusement accordées au Krug. On s’essuie les lèvres avec des petites serviettes brodées. Ça fleure bon le raffinement. Je vois Corinne Mentzelopoulos toute excitée car de belles vaches brunes paissent en un champ où elle ne les voit jamais Cela me fait penser à Alexandre de Lur Saluces et sa passion pour les bazadaises. Des vignerons pastoureaux, c’est rafraîchissant.
Nous visitons les anciennes cuisines du château et nous rejoignons une belle salle proche des chais où trois belles tables ont été apprêtées. Je suis placé à celle de la maîtresse des lieux et je ne peux m’empêcher d’être émerveillé par le personnage. Elle a bavardé avec chacun, voulant comprendre les parcours, les envies, les convictions. Elle a raconté son chemin, qui montre qu’elle n’est pas née avec une cuiller en argent, ce qui explique sans doute cette volonté de réussite. Ses enfants n’ont cessé de l’appeler sur son portable dernier cri. Elle répond avec la douceur d’une mère, traitant les soucis minuscules comme s’ils étaient cyclopéens.
Sur une cuisine idoine, nous démarrons par Pavillon blanc de Château Margaux 2004. J’aime la décontraction de ce clin d’œil où l’on s’affranchit de toute convention. Le blanc n’est même pas pré-pubère, il est pré-embryonnaire. Mais ça passe gentiment. Le Château Margaux 1989 me parait assez simplifié, limité à une juxtaposition du bois et du fruit. Il va s’assembler petit à petit, sans vraiment montrer la richesse que l’on devine seulement. Corinne Mentzelopoulos a comme moi un petit recul quand on sert le Château Margaux 1961 en magnum. Je me suis longtemps demandé ce qui n’allait pas, alors que Paul Pontallier, consulté par Corinne Mentzelopoulos et que j’interrogeai après le repas affirma : R.A.S. Je pense qu’il y a peut-être eu un petit accident au moment de la décantation, la bouteille que l’on remplit pouvant avoir eu un peu d’eau ou de liquide parasite. Margaux 1961 doit être beaucoup plus brillant que ce que je bus. Corinne Mentzelopoulos indiqua que le 1961 partagé il y a une semaine avec la Bacchus Society, club que j’avais rencontré à Pichon Longueville Comtesse de Lalande, était nettement supérieur. Il convient de dire que notre palais fatigué par les douloureux 2004 de deux jours n’avait peut-être plus la capacité de jouir de ces grands vins.
Les macarons de Pierre Hermé à la rose et à l’olive produisent chez Corinne Mentzelopoulos un réflexe de gourmandise. Elle est comme une enfant. Sur Climens 1983 c’est évidemment un bonheur que ces succulents macarons. Je fus aussi enfant qu’elle.
Ce qui est le plus époustouflant, c’est la simplicité aérienne de cette femme qui possède un vin de légende. Active, parlant beaucoup, écoutant beaucoup, chaleureuse, elle nous raccompagna au bus en chantant des mélodies américaines alors qu’elle aurait pu se contenter de nous saluer sur le seuil. Elle s’ingénia avec mon appareil photo à faire des photos artistiques, demandant à deux amis de prendre une pose, immobilisant à minuit notre groupe jusqu’à ce qu’elle capte la bonne émotion. Seule une femme épanouie et faisant un grand vin peut avoir cette décontraction.
Le ciel d’une chaude nuit de mai brillait de myriades d’étoiles. Les visites bordelaises et leur cortège d’étonnements se poursuivent dans le prochain numéro.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
Realisation Legal notice Excess of wine is a danger for health - drink with moderation  © Wine-Dinners