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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 43
07/06/2005 - 142 - reception by Pichon Comtesse
Mes analyses des bouchons des vins du dernier réveillon (bulletin 127) ont interpellé l’un des domaines concernés. J’ai reçu une lettre fort circonstanciée de la direction de Mouton Rothschild. Je me rendis dans des bureaux jouxtant, mais de loin, le magique château que je n’ai jamais visité. Les arguments de Philippe Dhalluin furent convaincants. Un de mes vins préférés vieillira protégé.
Un dîner que l’on peut qualifier d’historique va se tenir à Pichon Longueville. Je vais prendre position dans ma chambre de l’hôtel Cordeillan Bages pour revêtir mon smoking. Douche à surprise, comme à Saumur.
Apprêté comme il convient, nœud papillon en place, je rejoins au château May Eliane de Lencquesaing qui fait visiter les chais à un groupe d’américains et asiatiques qui forment le club Bacchus. Il y a là l’élite internationale des collectionneurs de vins. Tous ces gens en smoking arborent un grand cordon bleu qui supporte une étoile dorée en forme de soleil. Je reconnais le grand collectionneur américain George Sape que j’avais rencontré à New York. Il a une expérience de la dégustation impressionnante. Et, plaisir immense pour moi, je retrouve Sir Michael Broadbent avec qui j’avais fait une dégustation folle que nous nous remémorons. Michael est « la » mémoire du vin. Personne ne pourrait se targuer d’avoir bu même le dixième de ce qu’il a bu. J’ai le plaisir de saluer Alexandre de Lur Saluces que je reverrai dans quelques jours, Antony Perrin, Franck Mähler Besse, Olivier Bernard, vignerons dont je révère les vins. Je bavarde avec Serena Suttclife, l’homologue de Michael Broadbent pour une autre grande maison d’enchères et bien sûr je complimente May Eliane de Lencquesaing dont nous fêtons les quatre-vingts printemps.
Les femmes sont belles, Violaine de Lencquesaing est ravissante. Sur la terrasse d’où l’on contemple et surplombe les vins de Pauillac qui font rêver, un champagne Taittinger Brut Réserve ne faussera pas notre palais : il a la discrétion élégante des champagnes de soif. L’orangerie est apprêtée pour accueillir un dîner de 80 convives, au milieu d’imposantes pièces de verre sculptées ou colorées de la collection de May Eliane. Comme une enfant elle fait admirer à des amis sa dernière acquisition, car la plus belle pièce est toujours la plus récente. Nous passons à table et deux élégants artistes vont interpréter au piano et à la flûte une sonatine de Dvorak. Plus tard une nocturne et une sonate de bel entrain signeront le dessert.
Discours de bienvenue, et célébration de May Eliane qui reçoit le « Lifetime Achievement Award 2005 » de la « Society of Bacchus America ». Un imposant bouclier de verre gravé d’or précisant sa nomination rejoindra la collection de May Eliane, ainsi qu’un double magnum artistiquement gravé.
Je suis assis à la table d’un collectionneur d’Hawaï, d’un autre de Miami, d’un autre de Séoul et d’Olivier Bernard, l’homme qui fait Domaine de Chevalier, ce vin de qualité tant en rouge qu’en blanc. Les épouses sont radieuses. Nos discussions cosmopolites sont enjouées. Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1978 est absolument ravissant. Et, ce qui me fait particulièrement plaisir, c’est qu’on le boit sur un bar qui lui va à merveille. Le 1978 est joyeux, facile, il coule en bouche avec une belle expressivité. Ayant bu il y a moins d’une semaine un Pétrus 1978 magistral, je constate comme 1978 est enjoué en ce moment.
Le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1982 a beaucoup plus de mal. Il arrive coincé. Il manque d’espace. Il est comme la chauve souris qui a replié ses ailes. Bien sûr, le carré d’agneau, un peu trop épicé à mon goût, l’excite, car l’épice est toujours un faire-valoir. Mais on sent que ce vin à la structure splendide, riche d’immenses promesses, n’est pas au rendez-vous. C’est un vin puissant et solide qui va s’ébrouer un jour.
Quand David Peppercorn, écrivain reconnu du vin fut prié de commenter les vins, il fut académique, caricaturalement britannique, signalant l’étroitesse du 1978 et l’opulente majesté du 1982. Je ne fus pas du tout d’accord, car c’est un commentaire livresque et non pas de ce que l’on buvait. Il a plus en mémoire la climatologie de l’époque que les sensations de ses papilles expertes.
May-Eliane offre à boire à cette docte et sympathique assemblée quatre jéroboams de Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1959. Quel cadeau ! Quel grand vin ! Parfaitement oxygéné il montre de la force, de l’élégance, de la maturité, des aspects poivrés et soyeux. Moins pétulant que le 1978 en pleine force de l’âge, il raconte l’histoire émouvante d’un grand vin Il n’a pas une immense longueur, mais ses évocations sont riches, variées, d’une belle gaieté. C’est sa profusion qui m’enchante.
Le dessert accueille un Krug Grande Cuvée plutôt jeune et frais, parfaitement adapté à la Nocturne de Max d’Ollone, parent de Gildas, le directeur de Pichon, et à un Francis Poulenc imaginatif et délicat. Apparemment le Pichon 1959 donne du talent musical aussi bien à ceux qui interprètent (puisque les artistes partagèrent les vins et le repas) qu’à ceux qui écoutent.
Les discussions se poursuivirent fort tard, les promesses de se revoir fusant de toute part. La Bacchus Society va investir d’autres châteaux pour de nouvelles fêtes. Une immortelle et historique soirée de pure distinction.
Une amie, organisatrice fort enthousiaste de dîners littéraires et soirées théâtrales me demande de présenter mon livre à l’un de ses dîners. La différence fondamentale entre l’auteur d’un livre sur les vins et l’auteur d’un livre sur les épopées d’Alexandre le Grand, c’est qu’on peut plus facilement suggérer au premier de venir avec des échantillons. Quelques vignerons amis m’aident dans cette entreprise. Je m’aide moi-même pour les autres vins. La veille de la manifestation, appel angoissé de mon amie, la date, l’époque, le sujet, que sais-je, on ne se bouscule pas pour venir m’écouter. Le challenge devient intéressant, et en très peu de temps, moins d’une journée, on rassemble une brochette de gens passionnants, qui vont se substituer aux habitués de ces dîners. Des journalistes, des écrivains, un dessinateur célèbre, des assidus de mes dîners se placent autour de deux tables enjouées, prêts à profiter de l’instant. Le champagne Delamotte en magnum est manifestement agréable. C’est un blanc de blancs de belle facture. Pas de question, ça se boit avec plaisir, le message clair rassurant par sa précision.
Le Chablis Grand Cru les Vaucoupins William Fèvre 2001 est un Chablis de grande classe. Il démarre sur une note citronnée, puis rapidement prend du gras. Un Chablis de belle construction qu’un plat incertain de saumons crus ne comprit pas. Le Volnay Caillerets Bouchard Père & Fils 2000 est chaud en bouche, rond, déjà structuré. Un grand expert en vins anciens, passionné de l’histoire des techniques et du goût me demande quand il sera bon à boire. Je réponds : « mais, maintenant ! », puisque ce que l’on a en bouche coule de source. Bien sûr il va se civiliser. Mais c’est déjà du vin sérieux, solide, prêt à se comparer à d’autres si on le lui demande.
J’avais prévu ensuite un double magnum de Côtes du Roussillon village Cazes 1989, bouteille que j’avais apportée au salon des grands vins, qui fut ouverte mais ne fut pas consommée. Le débouchage / rebouchage d’il y a plus d’un mois avait vieilli le vin d’un bon dix ans. Et hélas, il avait attrapé un léger goût de bouchon. Mais il exprimait une forme de vin à maturité qui méritait qu’on l’essaie, pour toucher au vécu de ces vins patinés. Les deux rouges s’exprimèrent sur un poisson d’élevage potable.
Le dessert, composite comme souvent, fut accompagné par un vin que j’avais apporté, un Chardonnay de Jérusalem, vin d’Ormoz, vendanges tardives 1993, titrant 13° et légèrement sucré, d’un litchi agréable. Sur des fraises, ô miracle, le vin fut fort plaisant.
Il ne s’agissait évidemment pas d’un dîner gastronomique mais d’un dîner littéraire. L’apport du restaurant était un vin de l’île de Ré baptisé avec audace « Royal » dont le cousinage avec un vin buvable n’est pas forcément évident. Ce qui comptait ce soir, c’est la chaleur de discussions enflammées, sérieuses ou non, qui réunirent des gens de grande passion, et de grand intérêt. Belle initiative de mon amie, transformée en happening du plus bel entrain.
Le forum américain d’amoureux du vin sur lequel j’écris a organisé un voyage dans le bordelais. J’y ai ajouté une escapade à Beaune. Le premier contact se fait au restaurant Dauphin (le restaurant où nous avions dîné après la signature de mon livre à la librairie Delamain) et nous boirons les vins apportés par les membres. A 17h30, nous sommes quatorze. Il y a trop de vins généreusement offerts. Il faut faire un choix. J’ouvre les bouteilles retenues pendant que nous devisons. Nous allons nous promener dans les jardins du Palais Royal. Bavardant de voitures de sport avec un fanatique, je rate la boutique de Serge Lutens que je voulais faire admirer. Quand nous revenons, il est trop tard : « on ferme ». Nous allons aux Caves Legrand pour un apéritif. On m’avait prévenu : « vous verrez, vous serez en même temps qu’un groupe de jeunes filles qui enterrent le célibat d’une d’entre elles ». Une large table dans la galerie Vivienne avec des bouteilles éparses est illuminée par le sourire et l’entrain de ravissantes et pétulantes jeunes filles. Calculant que j’aurais mes américains avec moi pendant une semaine, je peux, tel le brochet attiré par un alevin dodu me laisser aller à rire avec ces demoiselles. Délurées, joyeuses, elles m’accueillent à bras ouverts. Cette belle équipe pleine de vie fut un joli et appréciable rayon de beauté.
Nous goûtons un champagne Jacques Sélosse extra brut que quelques amis trouvent un peu rêche. Sa rigueur non dosée me plut assez. Champagne rectiligne de belle réalisation. Il joua le faire valoir au champagne Krug Grande Cuvée éblouissant de structure. Ça au moins, ça raconte des histoires. Un brio évident et une expressivité rare. En retournant à pied au restaurant Dauphin, nous avions en bouche une belle trace profonde de grand champagne. Je m’aperçois en écrivant cela comme le Krug Grande Cuvée peut être changeant. Selon son âge et son stockage il peut devenir immense.
Arrivant au restaurant, comme dans le Cid, par un prompt renfort, nous nous vîmes 21 en arrivant en salle. Toutes les bouteilles épargnées devenaient nécessaires. On les ouvrit. On dut refaire le plan de table. Je suis en train de découvrir les changements que doit résoudre instantanément un agent de voyage.
Je prends l’initiative de l’ordre des vins que je fais déguster un par un plutôt qu’en rafales comme font souvent mes amis. Le Sancerre Jean Max Roger 2002 est très parfumé, avec des évocations de fleurs blanches, de pêches blanches. Certains Montlouis ressemblent à ces goûts là où le bonbon acidulé n’est pas absent. J’aime beaucoup. De même que le Sélosse mit en valeur le Krug, le Sancerre rend éblouissant le Château Laville Haut-Brion 1988. Quel grand blanc. Une classe, une évocation de myriades de goûts. C’est d’une intelligence extrême. Manifestement un immense vin. Le Jurançon sec « Noblesse » Domaine Cauhapé 1999 tient plus de l’exercice de style. Les raisins surmaturés font penser à des vendanges tardives. C’est plus original que plaisant. Le Peter Michael Winery « Point Rouge » Chardonnay 2001 est imbuvable pour moi. C’est de l’alcool rustaud. Un ami le mettra premier ce qui semble indiquer que les palais américains et français ne sont pas près de s’harmoniser. Le Château La Conseillante 1994 me surprend par sa généreuse franchise. On dirait qu’il s’est libéré des caractéristiques de cette année. Il est joyeux et bien typé.
Le Château Haut-Brion 1967 est très élégant malgré des signes d’âge. Charmant, civilisé, c’est un message romantique qu’il délivre. Le Château Haut-Brion 1970 en magnum que j’avais apporté, comme La Conseillante, pour prouver à l’un des membres du forum que 1970 vaut plus que l’idée qu’il en avait, parait vingt ans plus jeune que le 1967. L’aîné a pris la robe de chambre de Montaigne tandis que le 1970 batifole, en représentant la plus exacte définition possible du Haut-Brion historique que l’on connaît.
Le Château Talbot 1966, dont le bouchon avait révélé des souffrances, est fatigué. Buvable, intéressant par le message, il est quand même décati. Le Sociando-Mallet 1990 que je voulais découvrir est bouchonné. Le Château Haut-Brion 1982 est coincé. Il n’a pas le coté brillant et généreux qu’on attend. Mon ami qui avait apporté ce 1982 est celui qui avait éreinté, dans des échanges sur le forum, le 1970. Il fut obligé de constater que le 1970 surpassait le 1982. Le Château Haut-Brion 1990 réconcilia tout le monde. D’une jeunesse insolente de facilité, c’est la définition absolue de ce qu’un vin jeune doit être. Brillant breuvage.
Le Beringer Merlot 1994 demande pour mon palais une adaptation que je ne suis pas prêt à avoir. Il est évident que mon objectivité n’existe pas. Mais cette bombe d’alcool sans vie me déplait. Le Beringer Merlot 1992 est plus civilisé. Mais le manque d’imagination me gêne. On se croit en classe de sculpture à l’Ecole des Beaux-Arts où les élèves massacrent du marbre en toute bonne conscience. Le Maya 1991, Dalla Valle Cabernet franc et Cabernet Sauvignon est une démonstration encore plus évidente. Imbuvable pour moi, il rendit encore plus époustouflante la démonstration du Harlan Estate 1994. Ce vin est un mythe aux USA. Il tient bien sa réputation. Un immense vin aux évocations puissantes mais subtiles. Si l’on admet les codes de la Californie, c’est un vin splendide. Le Maury Les Vignerons de Maury 1959 que j’avais apporté fut apprécié. Voilà des goûts que j’adore, car ça jaillit en bouche avec passion. Certains amis l’ont aussi compris.
Je fis voter près de vingt personnes selon les méthodes de mes dîners. Très grande diversité de votes, au point que les deux premiers votants désignèrent en premier les deux vins que je trouvais imbuvables. Je fis rire l’assemblée en rappelant que l’on devait voter pour des vins que l’on avait aimés ! Il y eut quand même une cohérence assez grande puisque le plus couronné fut le Haut-Brion 1990, suivi du Haut-Brion 1970, du Laville Haut-Brion 1988 et du Harlan Estate 1994.
Mon vote fut : Haut-Brion 1990, Haut-Brion 1970, Laville Haut-Brion 1988, Maury 1959.
Pour ce premier dîner, chacun fut généreux, et la soirée, sur la solide cuisine de ce restaurant chaleureux, fut agréable, riante. L’occasion de partager dans une amitié virtuelle devenue réelle des vins d’immense réputation et d’un indéniable talent.
D’invraisemblables aventures nous attendent à Beaune, puis en bordelais. C’est dans le prochain numéro.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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