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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 49
02/01/2006 - 163 - by the Hotel Meurice
Il y a de l’émulation dans l’air. Ma femme ayant participé au feu d’artifice de création chez Marc Veyrat, au dîner chez l’esthète culinaire qui nous avait cornaqués à Annecy, ayant lu mes comptes-rendus laudatifs au sujet de ce nouvel ami, n’allait pas laisser la main aussi facilement. Alors qu’un samedi matin je me remets des agapes folles racontées dans le précédent bulletin (Musigny 1928 et Pétrus 1915), voici que la maison se remplit et bruisse d’une folle activité. Madame tient atelier de foie gras. On s’agite dans la cuisine devenue laboratoire, et il est évident que je suis importun. Il est, dans ces cas là, urgent d’être diaphane.
Je comprends assez tard que la cohorte de ce séminaire est invitée à déjeuner et qu’il sera question de foie. Il n’est donc plus question de reposer le mien ! J’ouvre un Laurent-Perrier Grand Siècle. Bien que je professe de ne jamais décanter, l’envie me prend, ça me démange, de servir ce champagne dans une belle carafe en cristal et argent, rafraîchissoir à champagne. Le champagne apparait plus sauvage, et évidemment moins pétillant. Il est nettement moins expressif que celui que l’on avait bu en magnum au pavillon d’Armenonville pour la soirée Grand Siècle.
Une deuxième bouteille démontrera que ce champagne a besoin de toute sa bulle, qui fait partie de son charme. Il confirme une observation déjà faire au restaurant Le Petit Verdot : à peine une bouteille de Grand Siècle est-elle ouverte qu’on redemande la suivante. C’est tellement agréable à boire.
Nous commençons par une crème brulée de foie gras que ma cuisinière de femme avait plusieurs fois essayée. Celle-ci est très bien exécutée, mais je ne mords pas trop à la philosophie générale de la recette. Une crème brûlée ne mettra pas en valeur un foie car il l’adoucira. A l’inverse, la terrine de foie gras réalisée dans l’atelier de ce matin est véritablement brillante. Et l’amour ne me sert pas seulement de critère d’évaluation, même si bientôt quarante ans de vie partagée apprennent à distiller l’immanence des compliments.
Mon fils réagit plus vite que moi en décochant de sa cave un Léoville Barton 1975 qui dès la première gorgée est beau. Vin simple, au message clair, vin de soif de bel équilibre. Il accompagne élégamment un foie gras poêlé aux haricots vanillés. La vanille me gêne un peu, mais le plat est splendide, la chair du foie brillante.
J’ai toujours en cave des bouteilles à niveau bas qu’il faudrait boire avant qu’il ne soit trop tard. Le Château Laroze, Saint-émilion 1953 fait partie de cette infirmerie. Au moment de décapsuler, le bouchon tombe. Je carafe et le sers en annonçant qu’il ne faut rien en attendre. Or à ma grande surprise, mes convives demanderont à être resservis. Car le vin est mort, mais on ne sait pas en quoi. Il sent bon, il a une couleur anormale d’encre noire, il est gras et court, mais il vit. On n’insista pas trop.
Le foie gras poêlé sur une tranche de céleri, avec une confiture d’ananas et citron et une confiture d’orange légère est une merveille. Je suis toujours circonspect lorsque des goûts très forts s’ajoutent. Mais ici, l’équilibre du plat est parfait, le céleri jouant le rôle d’amortisseur de l’enthousiasme des délicieuses tentations de confiture. Un plat magique que seul le champagne peut soutenir.
Sur le fromage, dont un goûteux Comté et un gruyère, c’est un Mas Amiel 15 ans d’âge mis en bouteille en 1997 qui apparait, car une crème brulée au chocolat est annoncée. Ces Maury sont des petites merveilles de goût, d’un confort rare. Ma femme a remis les pendules à l’heure. Chez elle, c’est elle qui a les rênes en main. On y mange bien. Qu’on se le dise.
Le soixante-et-unième dîner de wine-dinners se tient au restaurant de l’hôtel Meurice. Les bouteilles ont été apportées il y a une semaine, mises debout depuis deux jours par Nicolas, cet intelligent sommelier, et je vais les ouvrir bien seul, car Nicolas a une réunion de direction. Mais ce lieu a tant de ressources que je me sens épaulé. Le journaliste qui était venu m’interviewer lors de l’ouverture des vins il y a un mois au restaurant Apicius a fait un article dithyrambique qui doit paraître dans l’International Herald Tribune et ce journal m’a envoyé un photographe pour me mitrailler pendant que j’officie. Il déroule son impressionnant matériel pendant que je déploie mes outils. Les bouchons viennent sans grande difficulté. Tous les vins ont des senteurs éblouissantes, surtout les trois bourgognes et surtout parmi eux La Tâche, qui a ce parfum canaille des bourgognes de séduction. La vraie question avant l’ouverture est celle du Chambertin 1911. Je pressentais qu’il serait bon, et je m’en étais ouvert, en m’avançant bien sûr, à ceux qui s’inscrivaient. Il a tenu sa promesse. L’ouverture libère une éblouissante séduction. J’avais appelé le jour même un descendant de la famille Audiffred pour lui dire que j’ouvrirais un 1911. J’ai senti au téléphone l’intense émotion qu’il éprouvait de savoir qu’on allait, entre amateurs, déguster ce nectar.
La seule déception à l’ouverture vient du bordeaux de mon année. Je l’annonce comme mort aux convives qui arrivent au bar où je les attends. Je fais mes recommandations d’usage comme l’hôtesse de l’air qui explique les consignes de sécurité. Je n’ai pas souvent révélé l’identité de mes convives, car je respecte cette participation à mes dîners comme une décision privée, mais je ne peux pas m’empêcher de vous faire part de ma joie d’avoir accueilli Pierre Lurton et son épouse Carole qui se sont inscrits. Avec Pierre, dès que nous nous sommes rencontrés, nous aurions pu sauver l’endettement d’EDF et lui éviter de devoir investir dans des centrales nucléaires, tant le courant est passé entre nous. Au salon des grands vins, il m’avait fait l’honneur de m’associer à la présentation des deux immenses vins qu’il produit, Cheval Blanc et Yquem. Et l’idée d’un dîner a pris corps, dans l’esprit – c’est ce qu’il voulait – de mes dîners, sans qu’on y change rien. Autour de la table des amis de toujours, fidèles enthousiastes, un inconnu avec lequel la sympathie s’est immédiatement créée, et un groupe de solides amateurs, connaisseurs de bons vins, avec lesquels aussi un seul contact avait suffi pour que l’osmose se fasse. C’est dire si la table est joyeuse, Pierre Lurton au veston rayé d’un récent trait bleu fort « méritoire », d’une belle humeur, raconte de belles anecdotes.
Un détail m’a plu. Nous buvions au bar en attendant des convives, un champagne que je trouve assez léger et un peu court. Pierre Lurton le trouve bon, alors que dans le grand groupe industriel auquel il appartient, il y a de solides valeurs champenoises. Cette simplicité présageait que nous partagerions de bons et grands moments.
Le menu composé par Yannick Alleno, d’une homogénéité de ton remarquable est d’une élégance rare : Velouté de Châtaignes aux copeaux de truffes blanches / Dos de Bar étuvé aux coquilles Saint-Jacques, émulsion de coques, mousseline de pomme de terre rate, beurre végétal / Ormeaux cuisinés au beurre salé, ragoût de haricots de Paimpol / Filet et côtes d’agneau de lait des Pyrénées, Bayaldi d’aubergines aux aromates, et aux oignons croustillants / Volaille de Bresse au foie gras et aux truffes noires / Ravioles transparentes de mandarine, émulsion au basilic / Croquant au chocolat blanc et pralin, Glace à l’essence de truffe blanche.
Le magnum de champagne Pommery 1988 servi à table montre immédiatement – merci champagne inconnu du bar qui l’a mis en valeur – une richesse de ton, une longueur et un charme impressionnants. J’avais ouvert ce champagne il y a deux ans en un format de six litres qui l’avait haussé à un niveau assez exceptionnel. Ce magnum est aussi de grande valeur. C’est la truffe blanche extrêmement expressive qui propulse ce champagne à des hauteurs gustatives rares.
Sur le dos de bar particulièrement émouvant, deux vins. Le Chassagne-Montrachet Louis Latour 1979 a une couleur soutenue, un nez intense, mais j’ai peur qu’il paraisse un peu faible à coté du jeune et bouillonnant Corton Charlemagne Bouchard Père & Fils 1997. Avec le plus jeune, il y a des bouquets d’épices qui partent dans toutes les directions. Mais le Chassagne, plus constant, plus tenace, d’une trace plus marquée va séduire toute la table. Pas un convive n’évoquera je ne sais quelle fatigue liée à l’âge car il n’y en a pas. Les deux vins sont opposés mais se justifient chacun dans son rôle, le plus jeune et le plus mûr. Lors de ce repas le cœur pencha plutôt pour l’ancien. Un signe qui ne trompe pas, on peut passer d’un vin à l’autre sans la moindre difficulté.
J’avais annoncé que le Château Pontet-Clauzure, saint-émilion 1943 était mort. Nous avons une agréable surprise. Un des convives l’image en disant que le comateux respire encore, mais il ne fait que cela. Le vin ne revivra pas, même si le témoignage n’est pas totalement perdu. De toute façon, nous n’avons aucun mal à l’oublier, car le Château Palmer 1959 fait partie de ces bouteilles qui chantent la gloire du bordelais. Pierre Lurton qui venait de boire il y a deux jours Cheval Blanc 1959 penche naturellement vers son poulain, mais ce Palmer est un immense vin, meilleur, car on est en situation de repas, que celui bu à l’académie des vins anciens. Le nez est élégant, raffiné, et en bouche, le vin est chaleureux, puissant sans être imposant, avec une longueur qui n’appartient qu’aux grands vins. L’un des convives signale que les ormeaux n’ont pas été assez battus, ce qui les aurait rendus plus souples en bouche. C’est certain qu’ils sont fermes. Mais le goût intense est une merveille sur le Palmer. J’avais évidemment voulu faire un petit clin d’œil en ajoutant une demi-bouteille de Château Cheval Blanc 1960. Ayant abondamment parlé de mes méthodes d’ouverture des vins, ce 1960 d’un épanouissement rare étonne car on ne peut pas s’attendre à ce que cette année que peu de gens ouvrent, et en plus en demi-bouteille, puisse atteindre ce niveau.
L’agneau, quand il est traité d’une si belle façon, met admirablement en valeur les qualités de la Bourgogne. La Tâche, Domaine de la Romanée Conti 1981 est d’un charme dense. En attendant mes convives au bar, j’avais croqué quelques olives vertes. Ayant en tête les parfums des trois bourgognes, j’eus soudain cette image : le charme déroutant d’un bourgogne, c’est un peu comme l’approche gustative d’une olive que l’on croque, qui vous trouble par le sel, l’amer qui se fondent pour produire paradoxalement un effet plaisant. Les goûts ne sont évidemment pas ceux-là, ce sont les sensations qui se ressemblent dans cette comparaison. La Tâche est très beau, solide message de sérénité. Le Chambertin Domaine Audiffred fournisseur de SM Napoléeon III, 1911 est absolument émouvant. Ce vin de 94 ans n’a pas une ride. Il déroule son charme comme doit le faire un grand chambertin. Et cela paraît si naturel, si facile. On a un témoignage qui n’a pas une trace de vieillissement, un vin qui remplit la bouche joyeusement avec une longueur extrême. Et tout en lui s’est joliment intégré.
Le Pommard Grands Epenots Michel Gaunoux 1974 nous grise plus encore. C’est un vin qui déroule d’autres subtilités. Plus délicat, plus en dentelle, il est diablement charmeur. Ce vin que j’ai bu souvent, dont au dernier dîner (le 50ème) que j’ai organisé dans ce même endroit, et que j’ai aussi bu avec émotion dans sa version 1926, est un vin éblouissant. Nous avons trois expressions très complémentaires de la Bourgogne, une institution avec La Tâche, une permanence historique avec un fringant chambertin, et un charme redoutable avec un Pommard d’une superbe facture. Nous sommes comblés.
Sur le délicieux dessert, le Château d’Yquem 1962 brille des feux de sa couleur dorée, des parfums que la bouteille et les verres dégagent à l’envi, et de cette trace en bouche à la puissance inimitable. Comment placer cet Yquem dans une perspective historique ? Il est moins typé que certaines grandes années, mais sa solidité sereine le place dans la lignée des Yquem classiquement formatés au goût traditionnel d’Yquem.
Le vin de paille Jean Bourdy 1947 me bouscule. Je ne suis pas très fanatique des vins de paille, aussi le charme et surtout la complexité de ce vin me bouleversent. Sur le dessert marqué de truffe blanche, il est absolument divin. Le jurassien brille comme une star.
Au moment des votes, ce qui est amusant c’est que la mémoire se porte plus volontiers sur les vins les plus récents, les derniers du repas. Le vin de paille obtient quatre places de premier et neuf votes, le château d’Yquem obtient trois places de premier et huit votes, le Pommard, le Cheval Blanc et le Palmer ont chacun un vote de premier. Le consensus est : vin de paille, Yquem, Chambertin, La Tâche et Pommard. Mon vote est dans l’ordre : vin de paille Jean Bourdy 1947, Pommard Michel Gaunoux 1974, Chambertin Audiffred 1911 et Château Palmer 1959.
La salle du restaurant de l’hôtel Meurice est pleine de charme. La cuisine de Yannick Alléno est de plus en plus affirmée et d’une sensibilité talentueuse, le service est absolument impeccable et motivé. Mes vins furent, comme Laure Manaudou, présents au bon rendez-vous. Ce fut, pour le dernier dîner wine-dinners de 2005, un grand dîner.
Au moment de terminer ce bulletin par mes vœux les plus sincères, je voudrais rappeler combien 2005 m’a apporté de surprises et de cadeaux plus beaux les uns que les autres. Des réceptions publiques ou privées dans les plus beaux châteaux, des événements uniques, des bouteilles historiques qui sont partagées. Tout cela, et les 17 dîners de wine-dinners cette année, je les considère comme des cadeaux du ciel et j’ai essayé par ces bulletins de vous les retracer. Beaucoup d’acteurs du monde du vin m’ont montré d’inestimables marques d’amitié. Je compte le leur rendre en essayant de faire de leurs vins, mais aussi de tous les vins, avec mes modestes moyens, mais ma motivation, les acteurs les plus prestigieux, de ce qui constitue, grâce à des chefs talentueux, l’une des formes les plus raffinées de la gastronomie.
L’académie des vins anciens sera aussi l’occasion de participer à la promotion du capital culturel que constitue le vin tel que les français savent le faire. Nous avons beaucoup de bons vins anciens à boire tant qu’il est encore temps.
Je vous présente, chers lecteurs, tous mes vœux de bonheur, de prospérité, et ces émotions immenses que seul un vin bien fait sur une cuisine élégante peut donner.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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