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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 50
09/01/2006 - 164 - Pichon Lalande by Taillevent
Bipin Desai avait organisé la fabuleuse dégustation de 38 millésimes de Montrose qui est racontée dans le bulletin 151. Il m’appelle et m’annonce : « 16 décembre, déjeuner à Taillevent avec May-Eliane de Lencquesaing ». Je n’en demande pas plus. Je sais que ce sera grand.
J’arrive au restaurant Taillevent dont le premier étage sera occupé par notre petit groupe de vingt personnes. Il n’est pas d’endroit plus agréable. Le champagne est servi dans un délicat petit salon où l’on imagine que des alliances interdites se sont scellées avec la complicité de joailliers parisiens et de champagnes capiteux. Je revois avec plaisir Wolfgang Grünewald, un grand amateur avec lequel j’ai partagé des flacons immémoriaux, Michael Fridjohn, qui s’intéresse aux vins d’Afrique du Sud, John Kapon, ce redoutable organisateur de dégustations folles à New York, Serena Sutcliffe, l’expert de Sotheby’s et son mari David Peppercorn, grand écrivain du vin, Michel Bettane en grande forme, Gildas d’Ollone, le directeur général de Pichon Longueville Comtesse de Lalande et Thomas Dô-Chi-Nam, qui fait ce vin délicat qui sera à l’honneur aujourd’hui, dont Michel Bettane vantera plus tard de façon fort vibrante l’immense réussite du 2003, Clive Coates, auteur de nombreuse revues sur le vin, qui fut de nouveau mon voisin de table, retiré aujourd’hui en charolais, et d’autres amis. Je suis présenté à Hugh Johnson auteur d’ouvrages de référence sur le vin. Jan-Erick Paulson, que je rencontre pour la première fois, est un suédois vivant en Allemagne, expert en vins anciens. Je salue Bipin Desai et May-Eliane de Lencquesaing, toujours éblouissante d’énergie.
Après le champagne Taillevent, élaboré par Deutz d’une aérienne élégance, nous passons à table dans la salle lambrissée d’un raffinement extrême où Jean-Claude Vrinat a eu l’intelligence de mêler des éléments ultramodernes comme l’éclairage, à la distinction naturelle du lieu. Les tons de la décoration de la table vont mettre en valeur le sang très pur qui abreuvera nos cœurs enthousiastes.
Bipin Desai explique que n’ayant pu se joindre aux manifestations marquant le 80ème anniversaire de May Eliane de Lencquesaing, dont j’ai raconté le faste dans le bulletin 147, il tenait à rendre un hommage à notre hôtesse avec une dégustation originale de ses vins, dont il a réglé l’ordonnancement en trois séries de sept vins. Il a demandé à deux convives de commenter chaque série. Devant parler de la première, je sors mon petit carnet. Pour exprimer le message des vins devant de telles sommités, je me dis que mon apport sera plus intéressant si je parle du vin et de la cuisine, plus que du vin qu’ils connaissent cent fois mieux que moi.
Le menu de ce repas qui dura cinq heures est le suivant : amuse-bouche crème de lentille et truffes / ravioli de champignons, bouillon de pot-au-feu truffé / royale de foie gras de canard, cappuccino de châtaignes / quasi de veau aux légumes d’automne / brie de Meaux affiné à la noix / gourmandises aux marrons et à la mandarine. Quel repas subtil ! Tout était dans des tons d’automne que rehaussait la décoration de la table. Une apparente simplicité, marque d’une maturité extrême, a porté les vins aux nues.
Voici ce que j’ai déclaré devant cette docte assemblée pour la série annoncée ainsi : 34, 55, 64, 75, 78, 90, 2001. Pensant que le premier vin était le 1934, puisque c’était écrit dans cet ordre, j’eus un choc olfactif. Comment un vin peut-il avoir cette folle jeunesse ? C’était le 2001 (rires dans la salle). Le 2001 (il s’agit, on l’imagine volontiers, uniquement des vins de Pichon Longueville Comtesse de Lalande) a un nez épicé, très élégant. Le 1990 à la couleur très généreuse a un nez nettement plus évolué. Il est même légèrement bouchonné. Le 1978, par contraste, a un nez éblouissant de vin en pleine force de l’âge. Il est capiteux, velouté, ce nez. Je porte les vins à mes lèvres. Le 2001 est encore un enfant, rêche, rugueux, fougueux, son bois est austère, mais il promet. Le 1990 n’a pas l’effet du bouchon en bouche. Il est toutefois un peu bridé. Le 1978 a une expression généreuse, c’est un vin chantant qui glisse en bouche avec un vrai bonheur.
Le 1975 a un nez du même style que le 1978, moins capiteux, un peu plus animal. Il est râpeux en bouche, excitant comme un Bourgogne (rires de nouveau dans la salle). Sa belle trace est profonde en bouche. Ce coté plutôt inhabituel me plait. Le 1964 a un nez qui se cherche un peu. On l’imagine dans une période transitoire. En bouche, il est passionnant. C’est un vin « vieux » déjà, mais d’une jeunesse éblouissante.
On me sert un nouveau verre de 1990 qui est absolument parfait. Le 1955 a un nez très typé. Quel grand vin ! La bouche est assez acide, ce vin est plus sérieux que généreux. Le 1934 a une couleur magnifique. Le nez est assez discret. En bouche, c’est du bonheur. Car l’équilibre entre l’épanouissement et l’acidité se fait admirablement. La longueur est extrême et sa trace est d’une élégance rare.
Il convient de noter que devant parler, j’avais jugé les vins très vite, avant qu’ils ne s’épanouissent dans le verre. Tous sont devenus plus charmants par la suite. J’adore le 1978, le plus sexy de cette série, le 1934 pour son élégance et le deuxième 1990 très opulent. Sur l’amuse-bouche aux lentilles, c’est le 1934 qui parade. Il est fabuleux. Le 1975 est aussi très à l’aise. Les 1978 et 1990 ne sont pas avantagés.
Et ce qui est amusant, c’est que sur le plat avec un délicat bouillon, je sens l’appel du 1990 qui devient magistral. Le 1990 refuse la lentille et se marie au ravioli. Le 1978 est aussi attiré, quand le 2001 reste dans son coin. Le 1934 est d’une évocation rare sur les deux. Le plat est fait pour 1990 et 1934. C’est donc le 1934 qui aura mes faveurs de cette série.
Cette analyse un peu inhabituelle a intéressé quelques convives. Wolfgang Grünewald qui partage une approche des vins assez similaire donna des impressions de la même veine, ce qui conforta mon analyse. Ne voulant pas me mettre en vacance d’analyse après ce devoir imposé, voici la suite de mes constatations. Le 1996 a un nez superbe, épanoui. Le 1995 est joli aussi, peut-être plus riche. Le premier nez du 1989 est assez serré et boisé. Le 1986 est extrêmement subtil, le 1985 a un nez très expressif et boisé. Les 1995 et 1996 sont plus intenses que les 1986 et 1985 que l’on peut opposer deux par deux dans chaque décennie selon que l’on aime les vins masculins ou féminins. Le 1953 me parait très alcoolique au nez. Sa couleur est impressionnante de jeunesse. Le 1926 a un nez un peu animal et une belle couleur. A ce stade, je n’avais rien bu de cette série, mais seulement senti. Le 1996 est puissant, rêche, de bois sec. Je n’aime pas le 1995 dont la bouteille ne doit pas être bonne, malgré son nez avenant. Le 1989 est élégant, accompli, quel grand vin ! Le 1986 est magistral, brutal, « militaire ». Le 1985 est sexy, très passionnant. Le 1953 a un léger bouchon. Sa bouche est très fraîche, très bonbon à la menthe, si on ose l’imager ainsi. Le 1926 est éblouissant. Sur le plat de foie gras et châtaignes, c’est le 1926 qui est grandiose, le 1953 magistral. Je fais un classement personnel en mettant, malgré le désappointement passager le 1953 en premier, puis, 1926, 1989, 1986 et 1985 ensemble car lequel des deux préférer ? Le 1953 m’a enthousiasmé par sa belle maturité.
La troisième série démarre par un enfant. Le 2003 a un nez plutôt aqueux, le 2000 est brut comme du marbre, le nez du 1982 est élégant et raffiné, le 1961 est très élégant et concentré. Le 1959 sent le papier, il est un peu coincé, mais c’est le premier nez, le 1945 montre au nez qu’il est déjà ancien, et le 1929 a déjà des traces animales désagréables. J’ai demandé un deuxième verre du 1929 ayant ainsi un clair et un foncé. Les deux ont ce coté animal qui m’avait gêné il y a peu avec un madère de 1870. Je fus étonné de voir autant de convives aussi laudatifs pour un vin qui n’avait pas eu son oxygène. Je m’en ouvris à Gildas d’Ollone, car ce vin deviendrait splendide avec deux à trois heures de plus.
Le quasi de veau est un plat absolument magistral. C’est de la « cuisine de grand-mère » portée au firmament. Quelle sérénité ! Le 2003 est éblouissant, ahurissant, un vin d’une puissance infinie qui va devenir un monstre dans quarante ans, monstre de bonheur. Je suis assez content, car ce qui précède, c’est les notes que j’ai prises à la volée. Or Michel Bettane encensera ce 2003 avec une insistance appuyée, signe qu’il aime le travail de Thomas Dô-Chi-Nam.
Le 2000 est magnifique maintenant. On sent le potentiel, mais il se boit magnifiquement bien aujourd’hui. Il a un charme fou. Le 1982 est éblouissant. C’est le plus accompli des 1982 que j’ai bus. Je ne peux pas dire comment il va évoluer, mais il est éblouissant ici. Le 1961 se cherche. Il va intégrer ses composantes dans quelques années ? Le 1959 est un grand vin. Il est d’une décontraction parfaite. J’ai noté l’idée qui me venait : c’est Grace Kelly à trente ans, en jeans.
Le 1945 est déjà un vin vieux. Il a la marque des vins vieux. Il sent la cave antique, la caverne d’Ali Baba. Il est plus intéressant par le symbole que par le goût. Le 1929 clair est magique. C’est le vin ancien qui décourage tous les gens qui ne vont pas vers lui. Quand on accepte, quelle complexité. Le 1929 foncé, au nez presque agréable mais marqué a en bouche une acidité trop forte qui gêne. Légèrement perlant, il montre la mauvaise gestion de l’oxygénation. Je reviens aux vins de cette éblouissante série. Le 2003 sera fou. Du bois, de la concentration. Le 2000 sera plus subtil mais ne durera pas autant. Le 1982 est plus qu’intéressant. Il s’est maquillé en plus vieux que son âge. Le 1961 s’ouvre de plus en plus et me plait plus. Le 1959 est grand, définitivement grand. Le 1945 reste trop fatigué. Le 1929 clair est charmant en bouche avec ce nez insistant de viande. L’autre 1929 a perdu de l’intérêt. Pour cette série de légende, je vais vers les plus jeunes : 1959 et 1982.
Au final les vins qui émergent pour moi (sachant que les performances varient d’une bouteille à l’autre) sont les 1926, 1934, 1953, 1959, 1989, 1990, 1982. Aucun ne peut vraiment être leader unique. J’en oublie, c’est sûr, tant chaque âge de Pichon Longueville Comtesse de Lalande a son intérêt.
Cette manifestation en hommage à une grande dame du vin qui a fait beaucoup pour son vin mais aussi pour le vin en général fut une réussite absolue. L’organisation par Bipin Desai fut exemplaire, la cuisine de Taillevent magistrale et sereine. Le cadre unique, les convives plus intéressants les uns que les autres. Le seul point qui me parait à améliorer, parce que c’est mon dada, c’est l’oxygénation des vins. Ce qui n’enlève rien au caractère exceptionnel de l’événement. Je suis reconnaissant à May-Eliane et Bipin de m’avoir inclus dans ce cercle de privilégiés de leurs cœurs.
Nous voulions aller voir un marché de Noël. Ce fut le prétexte d’un déjeuner au château des Crayères à Reims. L’amuse-bouche est multiforme, avec notamment des cromesquis d’escargot et une tarte fine aux herbes délicieuses. Le champagne me plait tant que je demande s’il y des huîtres. On nous apportera des petites préparations au homard et à la truffe. Détail amusant, je vois les petites assiettes arriver et un jeune serveur les apporte à une table à coté de la nôtre. Je ne sais pas si les heureux bénéficiaires de ce cadeau s’en sont rendu compte. La direction réagit quasi instantanément et répara son erreur élégamment.
Le menu : noix de Saint-Jacques au caviar et endives au jambon de Reims / Opéra de foie gras de canard chaud, chou, châtaignes, sauce mousseuse / variations de légumes d’hiver cuits et crus / blanc de bar à plat, tourteaux et cresson, bouillon légèrement épicé et moutardé / pigeon en cocotte de fonte, betteraves, comté, jus aux abats / gourmandises sucrées, petits fours frais / cafés divers et fins chocolats.
Il est amusant de voir ce chef explorer deux types de cuisines. L’un est un étalage de goûts, sans véritable synthèse. Car l’endive n’apporte pas grand-chose à la noix de Saint-Jacques. On vérifiera à ce sujet que le vin n’est pas le souci premier du chef. Il crée. Au vin de se débrouiller. Or le fait d’être en Champagne où le vin a l’échine souple ne peut suffire. De même le gouteux tourteau avec son intelligent bouillon n’apporte pas grand-chose au bar. Quant à la délicieusement fraîche brassée de légumes, c’est un foisonnement de saveurs en patchwork qui chambarde le palais. Le vin va forcément s’y perdre. L’autre type de cuisine est divin, quand il y a un fil conducteur au plat. L’opéra de foie gras est magnifique de cohérence, le pigeon et son jus sont divins. Les desserts sont d’une justesse extrême. Je suis sûr que ce chef va brillamment prendre ses marques dans ce lieu enchanteur.
Quand on est à Reims, on se préoccupe plus du champagne qu’ailleurs. A Paris, on demande un champagne que l’on connaît. A Reims, on explore. Nous commençons l’apéritif avec Le champagne premier cru brut Chardonnay de Pierre Gimonnet & Fils 1998. Quel champagne expressif. Son intensité est extrême. On imagine qu’il accueillerait toutes formes de cuisine. J’avais envie d’huîtres. Les cromesquis d’escargot l’excitent bien, et la crème soutenue qui sous-tendait homard et truffe le met en valeur. J’aurais vu aussi bien des petits anchois crus comme de la choucroute tant ce champagne appelle l’invention.
Nous entrons dans la belle salle à manger aux lambris fort délicats. Dans cette salle, on se sent bien. Philippe, intelligent et compétent sommelier va faire un service impeccable, les températures étant parfaites. Le champagne blanc de noirs Grand Cru de Egly-Ouriet vieilles vignes non millésimé se présente avec un léger rose pêche saumon. Un nez d’un charme et d’une expression éblouissante. Quel raffinement ! Il est sûr que cette couleur fragile influence notre goût. On est sous le charme. Avec le bar, c’est follement agréable.
Arrive sur le pigeon un champagne qui impose le respect. Le champagne Clos des Goisses de Philipponnat 1980, dégorgé début 2005 est prodigieux. Une personnalité qui tient du prodige. Et le combat du champagne avec le jus aux abats est un véritable bonheur. J’avais bu ce champagne lors de ma visite à Philipponnat (bulletin 139). Dégorgé en septembre 2004, il m’avait déjà subjugué. Là, en situation de repas, il est envoûtant. L’ordre des champagnes était le bon. Le chef fait une très belle cuisine qui va certainement encore s’épanouir. Mon jugement est très positif. Cette halte est particulièrement belle.
Quant au marché de Noël, son seul mérite fut d’avoir été le prétexte d’un beau repas.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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