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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 56
12/03/2007 - 170 - private dinner like an official wine-dinner
L’histoire commence lors de l’émission d’Antenne 2 « Envoyé Spécial » où l’on me voit dans ma cave. Je montre des bouteilles d’alcool et je dis : « au rythme où je bois ces alcools, j’ai ici plus de mille ans de consommation ». Un téléspectateur n’entendant pas le mot « alcool » pense que j’ai en cave des vins pour mille ans et écrit sur un forum : « voilà un très mauvais exemple d’amateurs puisque, s’il a mille ans de stock, c’est qu’il ne boit rien ». S’ajoutent des commentaires acerbes qui poussent un de mes amis à me suggérer de mettre les choses au point sur ce forum. Ce que je fais.
Ayant l’habitude d’écrire mes aventures sur un forum américain en anglais seulement, je trouve ce forum francophone actif, ce qui est rare, et je commence à y raconter des anecdotes. Une volée de bois verts accueille mes propos : « richard, buveur d’étiquettes, people, ignare », j’en passe. Une meute d’opposants essaie de me faire fuir. Ce n’est pas dans mon tempérament. Mais le six-cors le plus vaillant ne peut rien quand les poursuivants s’organisent. Je m’épuise en courses inutiles. Une idée me vient pour sortir de cette impasse. J’invite une dizaine des membres de ce forum pour que l’on boive mes vins à ma façon. Mon ami Jean Philippe Durand que je consulte, qui avait créé une cuisine impressionnante à la Saint Sylvestre, accepte de faire le menu de cet événement. Je passe de longues heures à chercher des vins pour les surprendre, car il y a de solides connaisseurs au talent critique aiguisé, et nous voilà chez Jean Philippe Durand, onze inconnus de ce forum et moi.
Je m’étais préparé à être en milieu hostile, et tout au contraire je découvre onze passionnés de tous horizons, tous sympathiques, même ceux avec qui j’avais ferraillé. L’ambiance est joyeuse, amicale, enrichissante.
Je propose comme un clin d’œil de démarrer sur un Clacquesin. Cette liqueur de goudron, faite à partir de résine de pin, si l’on s’en tient à la première impression, est affreusement médicinale. Mais si l’on va un peu plus loin, les complexités s’organisent. Je suis très excité par ces saveurs inconnues. L’un d’entre eux, Jérôme, aura le mot juste : le Clacquesin appelle une saucisse de Morteau. Et c’est vrai.
Il faut expliquer ma démarche et ce que j’attends de cette expérience. On se prépare comme à l’académie des vins anciens avec un Champagne Léon Camuzet de Vertus, âgé de l’ordre de dix ans dont je suis mauvais juge puisqu’il fait partie de mes traditions familiales. Un velouté de potimarron, arôme de céleri, le chatouille agréablement. Tous les vins qui vont suivre seront bus à l’aveugle, ce qui n’est pas dans mes habitudes, mais ne connaissant aucun des convives, je ne veux pas que les commentaires soient inversement proportionnels aux prestiges des étiquettes. Suivez bien les choix que j’ai faits.
Nous démarrons par une Clairette de Die Jean Algoud, vers années 60 sur une huître Gillardeau n°2 simplement pochée, sabayon extrême à la reine des prés. La Clairette a perdu l’essentiel de sa bulle, a une couleur qui a foncé, mais offre en bouche une belle présence. Bien goûteuse, elle est de grand plaisir. Le même Jérôme la découvrira à l’aveugle, ce qui est impressionnant. Ce fut la seule découverte des vins de ce soir, l’objet n’étant évidemment pas de trouver des vins très inhabituels pour beaucoup.
Le Grand vin de Cassis, La Ferme Blanche vers 1985 accompagne un foie gras de sept heures, chutney de poireaux à la coriandre, caramel acide d'épices dont la tendreté est inénarrable. Le vin un peu court mais joliment expressif ne ressemble plus tellement à un vin du Sud puisque certains penseront au Jura. L’accord fonctionne à merveille.
Le Saint Véran maison Bichot 1989, vin que j’aime beaucoup pour la palette très éclectique de ses saveurs bigarrées fait son parcours avec une noix de St Jacques juste saisie, soupçon de vanille, laitance de roquette à l'amande douce, girolle. Jean Philippe Durand aime invoquer la roquette. Même épurée, discrète, sa trace effraie les vins. Pas trop en l’occurrence, mais un peu quand même.
On fait beaucoup d’honneur au Montlouis La Taille aux loups demi-sec 1990 en le mariant au bar à l'unilatérale, jus végétal au coquelicot, coing poêlé qui représente la forme ultime de la chair de bar. J’attendais beaucoup de ce Montlouis que j’adore. Je le trouve ici un peu en dedans, malgré des complexités chantantes. Il joue en sourdine.
Le saumon mi-cuit vapeur, framboises façon royale, morille à la pistache, qui est sans doute le plus grand saumon que j’aie goûté de ma vie, ne va pas trouver un partenaire à sa mesure avec le Château Coustolle Côtes de Canon Fronsac 1966. Il a un léger nez de bouchon, qui ne se voit pas en bouche. Mais le goût est sec, attristé, confiné. C’est dommage car je comptais beaucoup sur ce vin, l’une des plus belles expressions de son appellation. Heureusement pour le plat, un Château La Tour de Bessan Margaux 1949 au nez brillant à l’ouverture, au niveau proche du goulot, va constituer l’une des plus belles surprises de cette soirée. Il me confirme la grandeur de cette année magique, parfois masquée par l’ombre de 1945 et 1947. C’est pour lui rendre hommage que j’ai ajouté ci-dessus la photo d’un immense 1949.
Le quasi de veau, basse température, crème de foie de veau, mousseline de vitelottes, d’une subtilité rare forme avec le Moulin à Vent Alfred Liboz 1955 l’accord le plus émouvant de la soirée. Tout est totalement dosé. Le vin ne joue pas trop fort, car sa fatigue est réelle, mais il raconte un joli discours qui rosit les joues de cette pomme de terre violette. Magnifique moment de pure harmonie.
Si ce qui précède est le plus bel accord, voici maintenant le plus grand vin. Le filet mignon de porc poêlé minute, truffe noire, coulis de pétales de roses, cèpe, est le plat parfait pour mettre en valeur mon chouchou, l’un de mes vins préférés, le Nuits Saint Georges Les Cailles, maison Morin 1915 dont je vais bientôt tarir la source tant je le mets en vedette dans des dîners. Quel vin ! Un nez d’une expressivité extrême et en bouche, la séduction chatoyante d’un grand vin à la sereine maturité. Inutile de préciser que j’adore.
Le cuissot de biche en rôti, jus court à la truffe noire, chou vert en compotée est un plat fort. La biche est là et se fait voir. Elle le mérite. Il lui faut bien deux vins puissants qui ont été rajoutés au dernier moment. Je range en ce moment ma cave pour détecter les bouteilles qui sont en danger, du fait de l’état de leur bouchon. Voici une bouteille étonnamment ancienne, au cul extrêmement profond comme on le faisait au 19ème siècle, qui n’a plus d’étiquette, et dont la capsule indique un très grand vin, aux caractères illisibles tant elle a été rongée. Je pressens un premier grand cru classé, je sens une année très ancienne, 1900 ou avant. Compte tenu d’achats dont j’ai la mémoire, ce pourrait être un Cheval Blanc 1900. Mon ami sommelier qui fait le service du vin confirme en le goûtant mon impression de mémoire. Appelons-le Cheval Blanc 1900. Si ce n’est pas ça, c’est du même calibre. Le nez à l’ouverture confirme la grandeur du vin car je reconnais des repères de Cheval Blanc 1947. Nez puissant, dense, qui annonce une force extrême. En bouche, le vin est vieux, mais expressif encore. Je l’aime plutôt. Mais la surprise la plus grande vient du Château Mouton-Rothschild 1934. Ce vin serait invendable en salle de ventes car il serait classé « vidange », c’est-à-dire sous le bas de l’épaule. Or aussi bien au nez qu’en bouche, c’est comme s’il n’en était rien. On notera que je prenais des risques dans cet exercice de persuasion vis-à-vis d’adversaires supposés. Ce n’est pas le plus flamboyant des 1934 bien sûr, mais on sent un Mouton vivant, plein de séduction. Une agréable surprise pour moi. Anticipant les incertitudes de ces deux grands ancêtres bordelais, j’avais ajouté un vin d’Algérie, Cuvée du Président, vers 1980, pour servir d’étai à d’éventuelles défaillances. C’est l’étai qui le fut tant il est - variation sur l’être - fragile à coté de ces chenus vétérans.
Un Stilton de compétition, crémeux à souhait va faire briller le Château Pion, Monbazillac 1973, liquoreux que j’apprécie car il est généreux. La poire Williams, tiède mais crue, est un joli exercice de style de Jean Philippe Durand, magnifique variation sur la poire, hors sujet quand elle vole la vedette au vin.
Au contraire, le suprême de pomelos juste saisi, coulis de mangue aux agrumes, mangue fraîche est exact avec le subtil et délicat Château Cantegril, Haut-Barsac 1922 qui décline des saveurs concentrées d’agrumes avec une fraîcheur déconcertante. Mes hôtes ont pu comprendre en quoi les sauternes de plus de 60 ans ont des séductions que ne peuvent atteindre les plus jeunes.
On se rendra compte, en reprenant la liste, que j’ai exploré un nombre extrême de régions et de décennies. Je voulais montrer que mon amour des vins est éclectique. Pourquoi ? Pour le plaisir d’un exercice de style, pour l’expression de ma liberté.
Il est si tard que je n’ai pas fait voter mes convives. Votant en écrivant ces notes, mon quarté sera le suivant : Nuits Saint Georges Les Cailles, maison Morin 1915, Château La Tour de Bessan Margaux 1949, Château Cantegril, Haut-Barsac 1922, Clairette de Die Jean Algoud, vers années 60. J’hésite entre Mouton et Clairette, mais place aux jeunes pour une fois.
Le repas d’un art et d’un esthétisme consommés était si complexe, Jean Philippe Durand étant tout seul pour combler les papilles de cette tablée de douze, que la fin des festivités sonna après deux heures du matin. Le temps de ranger les verres que j’avais apportés, replier quelques chaises d’appoint, débarrasser, nous aurions pu croiser le laitier sur le chemin du retour.
Ces nouveaux intronisés dans les vins « de ma planète » m’ont offert des cadeaux d’une générosité invraisemblable. Ces convives que je croyais accueillir en adversaires me montrent une gentillesse attentionnée. Les larmes n’étaient pas loin de couler sur mes joues.
J’avais lancé cette invitation folle, absurde à toute logique. Ce fut un dîner charmant, amical, riche de découvertes de vins qui ont traversé l’histoire avec des bobos parfois mais encore beaucoup de messages parlants. C’était irrationnel. La joie de l’avoir fait est bien réelle. J’ai senti qu’elle est partagée. L’abondance des commentaires laudatifs sur le forum m’ont montré que j’avais bien visé.
A peine éveillé après ces folles aventures, je me rends à l’invitation de Jacques Le Divellec pour déjeuner avec lui. Nous préparons l’un des prochains dîners de wine-dinners et nous travaillons pour les mises au point. Ce grand chef me fait goûter, comme récemment chez Guy Savoy, les plats qu’aimeraient les vins. Un dialogue amusant se noue entre nous : « avec les huîtres j’aime bien le vin rouge. Moi aussi. Les huîtres, je les aime sans assaisonnement, pures, telles quelles. Moi aussi. Dans l’huître, j’aime manger son socle. Moi aussi ». Chacun de nous deux aurait pu être l’auteur de la première réplique, comme de la seconde.
Le Château Feytit-Clinet Pomerol 1997 chante sur les petites huîtres creuses, boude un peu le délicieux caviar d’Aquitaine astucieusement marié avec des copeaux de pomme de terre et une crème onctueuse, reste discret sur des langues d’oursins aux œufs brouillés, bisse son bel canto sur le turbot à la chair intense et n’est plus nécessaire sur la crêpe soufflée qui appellerait des breuvages dorés. Discussions passionnantes en ce temple où l’on se rend compte que des candidats courageux à la magistrature suprême dans quinze mois ont aussi de l’estomac. Nous nous comprenons, souvent même à demi-mot, avec ce chef au savoir immense, partageant nos tendances de goûts qui se ressemblent. Je pressens que nous ferons un grand repas.
Laurent Gerra, c’est une respiration. Il dit de telles vacheries avec un sourire angélique qu’on est désarmé. Poussant la scatologie à l’extrême, plutôt tendance caca que pipi, n’affinant pas la charge contre les politiciens et les hommes de télévision, on se retrouve au temps des chansonniers qui manquent à notre quotidien. Un tel spectacle donne soif et faim. Patrick Pignol a oublié que j’avais annoncé notre arrivée, mais là aussi, un sourire désarmant de gentillesse fait oublier tout reproche.
Nicolas, sommelier complice de mille aventures veut absolument me faire goûter un Nuits-Saint-Georges aux Thorey François Feuillet 1999. Pourquoi s’y opposer ? Mais j’ai l’humeur aux gros calibres. Alors, ce sera un Corton-Charlemagne J.F. Coche-Dury 1996 qui va démarrer le repas.
Le ris de veau est goûteux et la truffe, versée en tombereau, embaume notre table. Le nez du Coche-Dury est puissant. Il évoque plus volontiers le Meursault que le Corton Charlemagne. Curieuse impression. Le vin étant trop chaud, il faut attendre longtemps avant que le Coche ne délivre ce qu’il a en lui. Il faut dire que Nicolas, sachant que je n’aime pas les vins trop froids, n’a pas ajouté de glaçons dans le seau. Or ce Corton doit se boire froid, avec une fenêtre de température très étroite que j’avais déjà pu constater pour de très grands blancs comme Haut-Brion. Dès qu’il est à point, quelle féérie ! C’est majestueux de complexité et d’épanouissement gustatif. Un grand blanc, éloigné de toute orthodoxie. Corton-Charlemagne original de pur charme raffiné.
Le turbot est charnu mais fort acidulé. Il est exclu de l’envisager ainsi pour le prochain dîner qui se tiendra en ce lieu : un vin ancien ne le supporterait pas. C’est au fromage qu’arrive Le Nuits. Difficile d’en trouver un qui lui convienne dans ce plateau aux fromages fort faits. Le Nuits est gentil, bien construit, intelligent. Mais il manque de corpulence. Il s’éteint assez vite en bouche. L’essai méritait d’être fait. Le Corton-Charlemagne est d’une autre pointure.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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