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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 63
20/04/2006 - 177 - fantastic meal by Marc Veyrat
L’ami qui nous a initiés au monde culinaire de Marc Veyrat récidive. Un nouveau déjeuner à thème va se tenir, à Megève cette fois. Nous logeons au chalet du Mont d’Arbois un Relais & Châteaux aux prix châtelains, mais à la décoration « chaletaine ». Je suis souvent rêveur devant la décoration des restaurants de poisson (pas tous) et des chalets : il faudrait m’expliquer l’émotion artistique du poulpe, de l’araignée de mer ou du filet de pêcheur. Ah ! Les lueurs d’intelligence de l’œil du grondin. Pourquoi, lorsque l’on tient un chalet, doit-on décorer avec des lustres en bois de cerf, des chaises où des ours sont poursuivis par de vilains chasseurs, le bois rustaud pour faire authentique. Qui y croit vraiment ? La bonne surprise, c’est la table. Nous dînons à l’eau, car demain ce sera sévère. Et les langoustines sont magnifiquement traitées (à la façon du restaurant Laurent), le turbot est expressif. La côte d’agneau de pure cuisine bourgeoise est chaleureuse. Le soufflé flambé à l’armagnac rappelle les plus belles folies d’il y a cinquante ans, quand ces soufflés étaient à la mode et quand un grand-père, en cachette, nous enivrait de sucre et d’alcool flambé. Il y a de quoi faire de cette adresse une très grande table. La carte des vins est abondante, et comporte des bouteilles anciennes et très rares des domaines Rothschild, puisque cet hôtel fait partie de leur groupe. Les prix annoncent la couleur : français s’abstenir. Le Dom Pérignon rosé 1990 à 1900 €, cela évoque les endroits où une dame pulpeuse est fournie avec. C’est assez contraire aux idéaux républicains de notre belle France égalitariste. La table mérite vraiment qu’on s’y arrête, et le personnel d’accueil de l’hôtel est parmi les plus efficaces que l’on puisse trouver.
Nous avions découvert le talent de Marc Veyrat à Annecy, nous allons connaître l’univers de Marc Veyrat à la Ferme de mon Père à Megève. C’est amusant de voir que tout est indiqué comme en un musée. Le panneau « étable » indique que l’on verra une étable et le panneau « établi » indique que l’on verra un établi, ce qui semble suggérer qu’il ne s’agit pas d’une étable. Un cheval de trait ne se repose pas dans un établi mais dans une étable. Einstein était farceur. Cela ne me dérange pas qu’un génie culinaire soit un grand enfant comme fut le grand Albert. Il y a le portrait du père, il y a la maxime sur un mur de l’entrée, comme le fait Bruno à Lorgues. Il y a dans tout cela un intense besoin d’enfance. Il y a du Tintin dans ce grand fou. Je dis fou, car ce natif des Alpes vient de se briser le corps de dizaines de fractures et nous accueille sur une chaise roulante. Il n’y a que Marc Veyrat, enfant des neiges, pour avoir cet accident inenvisageable. Je commis à ce sujet une horrible plaisanterie en disant à propos du maître : « il n’y a pas que le fromage qui nous est présenté en chariot ». Pendant le repas, une vache attentive regardera si je me tiens bien à table. Sous ma chaise des pieds de porc et des fromages s’affinent contrairement à mon tour de taille. C’est l’univers freudien d’un créateur en débordement d’affection.
La cohérence du lieu est plus grande que celle d’Annecy. Là-bas, on a transformé une maison bourgeoise bien implantée sur le lac en une évocation de ferme. C’est une tartiflette virtuelle de ferme. Ici, tout respire la ferme. Au sens propre d’ailleurs, car je ne connais pas de trois étoiles où l’odeur de fourrage est aussi entêtante. Dans le sol, de nombreux hublots découvrent les entrailles de la « machine » comme s’il s’agissait du Nautilus du capitaine Némo. Jules Verne, Freud, Tintin, facettes d’une personnalité attachante où la recherche de soi est évidente.
Le seul point qui me choque est qu’on vende son chapeau. C’est un logo, une signature, une lettre à en-tête. On ne doit pas le vendre. Il doit rester unique et non objet de commerce.
Nous passons à table sous le commandement de Jean-Philippe Durand, initiateur de l’événement et de Samuel Ingelaere sommelier souriant et d’une compétence extrême qui a conçu avec Jean-Philippe cet éblouissant voyage en vins du Rhône au sens extensif.
Le menu est écrit par le maître comme au pinceau une aquarelle. C’est une suggestion des définitions comme lorsqu’il recrée les goûts. On ne trouvera pas en le lisant la définition précise de ce que nous avons mangé, mais le charme et l’intention qui en font une œuvre d’art.
Scampi, l’environnement des sous-bois dans l’assiette / foie gras, yaourt de foie gras, sans foie, cubes et mikados / pois gourmands, cosses, pois gourmands reconstitués / courge, les deux verres inversés, souffle de porc fumé et truffes / Saint-Jacques, froide et tiède, lentilles, souffle de sauge, ananas / turbot, glaçon de citronnelle sous film, épices / homard, bonbon de verveine sans sucre / gnocchis de crustacés, coulis de Tonka / tartiflette, elle est vraiment virtuelle / purée de rattes aux truffes, cacao / bœuf charolais cuit en écorce d’épicéa / Agneau, serpolet, le métissage d’ici et d’ailleurs / Truffes, les truffes comme on les aime / Ercheu, les fromages de nos talentueux paysans / desserts, les trois gourmandises de Carine, ma fille…
Il convient de remarquer que l’on se sent immédiatement à l’aise dans l’univers du chef. On pourrait imaginer un goût de « déjà vu ». Pas du tout. Le charme agit de la même façon. Chaque excès est approuvé, chaque présentation ludique est cautionnée. On marche à fond. Je trouve cela extrêmement important. Car si l’on adhère à cette logique avant-gardiste, c’est la preuve de sa pertinence.
Il y a un jeu de cache-cache, un numéro du prestidigitateur, mais surtout l’envie du chef de recréer la nature et de proposer sous sa signature des goûts vrais. Ce fut irréellement bon.
Le choix des vins procède du même talent. Ne prenant pas de notes, sauf exception, j’aurai du mal à décrire la subtilité extrême des choix et les prodiges de complexité des associations. A chacun de les imaginer. Un « soda vera » est toujours un joli moyen de creuser l’appétit.
Nous commençons ce voyage en Rhône avec Château de Beaucastel, Châteauneuf du Pape rouge 1978. Les vins sont servis à l’aveugle, aussi dès ce premier, je me trompe sur l’âge. Il est si jeune en bouche ! Il s’est assagi bien sûr mais a gagné en rondeur. Un Châteauneuf du Pape d’une rare élégance discrète. Sur un carpaccio, je ne vibre pas autant à l’accord que Jean-Philippe. Le scampi terre et mer est d’une évocation de pure rêverie. Et ce n’est pas seulement intellectuel. Il y a du primaire dans cet accord. Le vin de table (ô, coquetterie), Quintessence (ô, crânerie) François Villard 1999 est absolument subtil. Beaucoup plus raffiné qu’un jurançon, il brille de façon éclatante, et son discret fumé me trompe aussi sur son âge. C’est une sélection de grains surmaturés de Condrieu. C’est immense, car d’une pureté unique. Croquer le mikado aux évocations doucereuses transporte sur un petit nuage. L’Hermitage Chave blanc 1991 est d’une subtilité et d’une race qui imposent le respect. Sur la cosse de petit pois, une association magique. Mais aussi sur le lard de la deuxième pipette qui catapulte le Chave. Les deux pipettes aux ingrédients inversés produisent des sensations opposées, la truffe pour l’un, le lard pour l’autre et le Chave s’y complait. Le Château de Beaucastel, Châteauneuf du Pape Vieilles Vignes Roussanne blanc 2002 est flamboyant. Je l’avais déjà bu en cave avec Jean-Pierre Perrin. Il a pris ici du coffre et chante à pleine voix.
Le Châteauneuf du Pape Vieilles Vignes La Gardine 1993 est un grand vin, et son association à la capsule du bonbon de verveine est absolument magique. Comme lors de l’accord de la Quintessence avec le mikado, j’adore quand c’est un instant précis de saveur qui crée l’émotion. Le homard récite son texte, bien sûr. Mais c’est le grain de verveine qui épouse La Gardine. Les gnocchis sont plongés dans l’azote liquide, ou du moins quelque chose de froid, comme le gladiateur plongé dans l’arène et sauvé par un pouce impérial orienté vers le haut. Le Châteauneuf du Pape Cuvée Laurence Domaine du Pégau 1995 est un vin entouré d’une solide réputation. C’est un « must ». Il confirme que c’est justifié. Il accompagne une tartiflette virtuelle du 21ème siècle (référence constante de Marc Veyrat qui tient à se situer par rapport au décompte de ces poussières d’éternité), souffle de lardon, souffle de reblochon, écume d’oignon et de vin blanc, que l’on goûte séparément, puis ensemble. On nage dans un pur bonheur de saveurs simples, assurées, solides.
A ce stade de profusion, je ne sais plus très bien quel vin accompagne quel plat. Les truffes qui vont suivre sont divines. Les vins sont immenses. Le Bandol, Château Vannières 1983 est éblouissant de beauté. Sur la truffe et les rattes, il est tout simplement brillant. C’est le Bandol qui se hisse au niveau des grands bourgognes. L’Hermitage La Chapelle P. Jaboulet Ainé 1988 ne me parle pas beaucoup. Je ne sais pas pourquoi, mais je ne mords pas beaucoup à ce vin, malgré le charolais présenté entre deux écorces comme le gnou égaré entre les mâchoires d’un crocodile. Le Côteaux d’Aix, Les Baux, Trevallon E. Durrbach 1990 est un grand vin qui convient parfaitement à l’agneau au serpolet.
Nous faisons une pause en prenant le frais dans la cour de la ferme, pendant qu’on rajeunit la table, méditant les aphorismes du maître, et allons reprendre sur un vin immense.
La Côte Rôtie Guigal La Landonne 1986 est d’un niveau exceptionnel. Avec la truffe, La Landonne paraît facile, juteuse, gouleyante, joyeuse. Un vin qui impose le respect.
Le Châteauneuf du Pape Réserve des Célestins H. Bonneau 1999 est magnifique mais je n’ai plus de mots à ce stade du repas. Le préposé aux fromages nous a parlé de fromages comme peu de personnes l’ont fait. J’ai été touché par son exposé emprunt de science, d’intelligence et d’émotion tant on sent les hommes qui les ont affinés. C’est rare que je sois touché comme cela par un discours de fromage. Le Bonneau s’alliait bien à ces succulentes pâtes.
Ma mémoire des trois desserts, que la fille de Marc aime, comme c’est dit dans le menu, est embrumée comme le souvenir du P.M.G du domaine Jamet 2003, PMG signifiant dans le langage vigneron « pour ma gueule », c'est-à-dire pour sa propre consommation. J’ai le souvenir de variations sur le thème du chocolat, de petits pots de crème et de délicats sorbets.
Une intense amitié réunissait notre groupe de neuf amateurs à l’écoute attentive du talent du maître. Le fil conducteur est l’amitié et la vénération qui lie Jean-Philippe Durand à Marc Veyrat. La magie des accords vient du travail de Samuel qui a déniché des vins de grand talent. C’est un exercice gastronomique de niveau exceptionnel auquel nous avons participé. Alors que j’ai parfois peur des chefs qui versent dans l’intellectualisme, cet exercice de Marc Veyrat m’a de nouveau convaincu, car derrière la sophistication évidente, il y a la générosité d’un homme foncièrement bon et humain. La cuisine qu’il réussit n’atteindrait jamais ses objectifs si l’homme n’avait pas ces qualités essentielles. L’amitié de Jean-Philippe, la subtilité de Samuel et la bonté de Marc, cela crée du génie culinaire.
L’Académie du Vin de France, qui regroupe l’élite de la production vinicole française, fondée en 1933 par Edmond Sailland, dit Curnonski, tient son dîner annuel, selon une bonne tradition, au restaurant Laurent. Quelques amis des vignerons sont aussi présents ou membres, comme Alain Dutournier, Alain Senderens, comme Bernard Pivot et Erik Orsenna. Le premier étage est transformé en stands informels où les vins les plus beaux de nos terroirs peuvent être dégustés. Aubert de Villaine fait un examen sérieux et systématique avant que la foule n’empêche d’accéder à certaines tables, Pamela de Villaine, radieuse, préfère raconter ses voyages, Perico Légasse butine aux bons endroits, des vignerons curieux jaugent les régions où ils ne sont pas, alors que Jean Hugel boit son vin. Je n’ai pas de systématisme, bavardant avec beaucoup de grands vignerons, mais je suis tenté par d’immenses vins. Le Meursault Clos de la Barre Comtes Lafon 2003 est d’une subtilité extrême, élégant comme pas deux, le Puligny-Montrachet Les Pucelles Domaine Leflaive 2003 est d’une puissance à exploser en bouche, ce qui contraste avec l’Hermitage Chave blanc qui, lui, passe en force comme un pack de rugby. Le Corton-Charlemagne Bonneau du Martray 2003 n’est pas encore affirmé mais le sera bientôt, et un joli beaujolais est d’une belle fraîcheur.
Du coté des rouges, excusez du peu, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2004 a un nez envoûtant, et en bouche, quelle invraisemblable subtilité, quelle émotion ! L’Hermitage Chave rouge 2003 est une bombe. Il sent le fruit de cassis jeune, avec du poivre à en éternuer, et en bouche, c’est gouleyant au possible. On comprend qu’on lui ait donné 100 points Parker, et l’on sait qu’il va devenir immense. A coté de cela, le Volnay Santenots-du-Milieu Comtes Lafon 2003 est angélique de romantisme. Mais quel charme ! Trois expressions du vin rouge au sommet absolu de leur forme. Le Château Haut-Brion rouge 2004 a un nez d’une définition extraordinairement précise. Il est encore un peu puceau en bouche, mais on le verra grand bientôt.
Dans la salle des liquoreux, un Vouvray de Huet 2004 est généreux et naturel, un Riesling Vendanges Tardives Zind-Humbrecht 2004 est élégant et de belle jeunesse fraîche. Le Cauhapé 2003 a de jolis aspects et un sucre insistant. Le Château de Fargues 2001 est absolument magnifique. On reconnait le cousinage avec Yquem 2001, en cette année d’exceptionnelle réussite pour ces deux sauternes.
Pendant ce temps là mon épouse qui ne boit pas s’est trouvé quelques complices pour tirer des bouffées de feuilles séchées roulées à consommer avec modération comme notre divin breuvage.
Après l’apéritif nous allons passer à table pour un repas « académique » dans la belle salle du restaurant Laurent. A suivre…





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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