home wines dinners participate academy contact us Feuille
Ligne Ligne Ligne Ligne Ligne Ligne Feuille
Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 64
27/04/2006 - 178 - académie du vin de France
L’académie du vin de France tient son dîner de printemps au restaurant Laurent.
Après l’apéritif raconté au bulletin précédent, nous passons à table et le président de l’académie, Jean-Pierre Perrin, propriétaire de Beaucastel, délivre un discours fort guerrier. Il est dans l’entrain de la Marseillaise, redoutant qu’un pinot impur abreuve nos concitoyens alors qu’une Marche Triomphale eût été de circonstance, tant les vignerons présents respectent l’histoire de la vigne et des terroirs, et tant notre excellence a besoin de se proclamer et d’irradier plutôt que de se défendre. Mais l’orateur est fort et sait animer ses troupes. Ce fut fédérateur.
Le menu mis au point par Philippe Bourguignon et Alain Pégouret est très intelligent pour mettre en valeur de beaux vins de l’année 1997. En voici les intitulés : asperges vertes de Provence en feuilleté et homard juste saisi, sauce coraillée / filets de rougets relevés au safran, moelle, sauce matelote / morilles étuvées et délicate « royale », cappuccino / abbaye de Cîteaux, Saint-nectaire fermier, roquefort Carles / Litchis et fraises des bois en arlettes croustillantes, glace au lait d’amandes / mignardises et chocolats.
Le Riesling « Clos Winssbuhl » Zind-Humbrecht 1997 est jugé fort agréable par Jean Hugel, mon voisin de droite, gamin de 81 ans au rythme d’élocution qui n’a rien à envier aux solides amis de Jean-Luc Thunevin lors du dîner chez lui. A ma gauche, j’ai le plaisir de trouver Alexandre de Lur Saluces. J’étais entouré par deux créateurs de mes chouchous. J’étais moins emballé par le Riesling un peu coincé, mais l’expert en la matière était à ma droite. Il faut dire que le Puligny-Montrachet « les Combettes » Domaine Leflaive 1997 est tellement éblouissant qu’il emporte tous les suffrages. Le Riesling est élégant sur les asperges, le Puligny ajoute sa joie de vivre, son fruité ouvert à l’expressivité du délicieux homard. Le corail luttait gentiment avec le Leflaive, parce qu’il lui fallait jouter. Le vin a tant de saveurs à raconter.
Le Bandol « Cabassaou » Domaine Tempier 1997, dont l’auteur François Peyraud était l’autre voisin d’Alexandre à ma gauche, aurait-il fort à faire pour affronter sur le rouget le Château Haut-Brion 1997 rouge ? Il a très bien tenu sa place. Le nez du Haut-Brion est impérial de perfection. Mais en bouche, c’est le seul vin qui montrera de cette année sa minorité visible. Le vin manque d’épanouissement. La trame du Bandol n’a pas la même précision, mais le vin joue juste avec le plat. J’ai trouvé que la sauce matelote est trop imposante. J’aurais préféré que le premier rôle soit donné à la chair du rouget qui aurait accueilli les deux beaux rouges à bras ouverts. La sauce et les échalotes bridaient cet accord. La moelle est un beau trait d’union. Tout ceci est fort agréable.
Alexandre de Lur Saluces et Jean Hugel savent combien je peux être expansif. Ils me regardent étonnés quand je rentre en transes à l’accord qui survient. Le vin jaune, Château d’Arlay, Côtes du Jura 1997 forme avec le cappuccino et avec le croquant de la morille un accord absolument transcendantal. C’est irréellement bon. C’est tellement au dessus de toute autre chose que je le vis comme une extase. Dans le plat précédent, la chair et la sauce prenaient gentiment le thé en tournant leur cuiller, le petit doigt en l’air, avec les deux rouges. Là, cet accord, c’est « Basic Instinct ». Immense moment de plaisir inouï.
On revient sur terre avec les trois fromages et leurs vins. Mais pas tout à fait quand même, car Le Corton de Bonneau du Martray 1997 est d’une délicatesse absolue. Quelle dentelle du plus beau point ! C’est gracieux comme un madrigal. Un pur enchantement de poésie pure. Le Corbin-Michotte 1997 dont j’ai encensé le domaine dans les comptes-rendus des précédents dîners de l’Académie est ici plus droit dans ses bottes, vin solide mais attendu. Nous parlions avec Alexandre des accords où les vins s’épousent ou se provoquent. Le roquefort Carles est le plus crémeux de tous les roqueforts. Malgré sa douceur, il est très marqué. Aussi la confrontation avec un Château de Fargues 1997 est passionnante sans doute, car ils luttent sur les papilles. Mais ce n’est pas la partie d’escarpolette galante qu’offrirait une pâte bleue plus apprivoisée.
J’ai les propriétaires des deux vins marquant la fin du repas à ma gauche et à ma droite, puisque le dernier vin est un Gewurztraminer Sélection de Grains Nobles (SGN) Hugel 1997, éblouissant d’intelligence et de charme. Il allie une empreinte pénétrante de vin puissamment charpenté à une légèreté, une impression de soif du plus bel effet. Grâce à Jean Hugel, je deviens de plus en plus sensible à ces vins d’Alsace quand ils sont bien faits. Le dessert est délicieux, déclinant toutes les composantes du vin, ce qui donne un accord d’une grande politesse, tant c’est l’orthodoxie qui prime. Là au contraire, un petit agacement du plat aurait ajouté une aimable excitation.
Jacques Puisais allait nous délivrer sans doute le meilleur discours que j’aie entendu de lui. Brillant, au langage fleuri, ce qui me frappe, c’est la référence à des notions très intellectuelles : la linéarité, la verticalité, la minéralité, l’opposition de la mer et de l’océan. C’est magique, parce qu’il sait aussi manier le sensoriel, l’animal, le sensuel, pour composer un reportage d’une poésie colorée.
Le point sur lequel nous différons, c’est sur l’usage du pain avec le fromage. Pour goûter les vins et les fromages, je suis favorable à un mariage à deux plutôt qu’à trois. Je sais qu’Alain Senderens serait volontiers de l’avis de Jacques, mais j’éprouve plus de plaisir quand la chair du fromage, dans sa pureté dénudée, se fond seule dans la chaleur du vin.
Quel serait mon quarté des vins ce soir ? Du fait d’un accord éblouissant, qui requalifie le vin à des hauteurs stratosphériques, je mettrai en premier le vin jaune d’Arlay. En deux, ce sera le Corton Bonneau du Martray que j’ai trouvé d’une élégante légèreté. En trois, ce sera le Gewurztraminer SGN Hugel pour l’intégration réussie du puissant et de l’aérien. En quatre, le Puligny-Montrachet Leflaive pour sa palette gustative ensoleillée. Et s’il faut donner le vin du jour, dégustation et dîner réunis, ce sera, par une absence totale d’objectivité que je revendique, le Richebourg Domaine de la Romanée Conti 2004 qui me parle au dessus de tout. Il m’a ému.
Pour les plats, c’est évidemment la morille qui est la vedette incontestée, dont la dauphine est le homard aux goûteuses asperges. La sauce du rouget serait à alléger, mais c’est une remarque mineure par rapport aux applaudissements que méritent la brigade au service parfait, les sommeliers pour leur travail réfléchi, le chef pour sa dextérité et Philippe Bourguignon pour l’intelligence de ses décisions.
L’Académie a créé un grand dîner. J’y compte de plus en plus d’amis, je m’y sens agréablement accepté. Une belle soirée avec des grands acteurs des plus beaux vins que la terre française peut susciter. Le jour où l’on défilait à Paris dans l’atmosphère de la chute annoncée d’un Empire, cela fait du bien.
Je suis invité au siège d’une grande banque d’affaires pour un déjeuner amical. L’absence d’ordre du jour décontracte les propos. Champagne Henriot non millésimé pendant que j’attends mon hôte. Agréable, mais sans grand sentiment. Tant habitué aux cuvées et millésimes rares de cette maison, je deviens difficile, enfant gâté ! Dans une salle lambrissée au jaune vif, les meubles très modernes de bois clair incrusté attirent le regard. On n’y vivrait pas vingt ans, mais leur design est d’un graphisme moderne de bel intérêt. Sur une salade de homard fort goûteuse, le Merle blanc 2004 du Château Clarke est un gentil vin de soif. L’agneau de lait rôti cuit de façon juste accompagne Duhart-Milon 1995. La définition du vin est belle, rassurante, même si la longueur est un peu essoufflée. J’ai encore en bouche l’un des accords les plus saisissants de l’année 2005, le Duhart-Milon 1962 avec un homard éblouissant de Yannick Alléno au Meurice. Trois fromages de la galaxie de la maison accueillent un vin de la même navette : Baron Edmond 2002, un cabernet sauvignon et merlot de l’association Rupert et Rothschild en Afrique du Sud. C’est objectivement plaisant, c’est international, et c’est à boire avant la date de péremption, car il m’étonnerait que ce vin soit de garde. En attendant, ne chipotons pas, ça se boit bien. C'est-à-dire que ce vin répond à son objet. Est-ce parce que mon hôte est un fidèle lecteur de mes bulletins, il a marié la Tarte Tatin à un Banyuls 1947 d’un charme fou. Ces vins rustiques sont adorables. Goûtons leur plaisir naturel. L’intérêt de ces déjeuners, ce sont les pistes qui s’ouvrent. J’en ai humé beaucoup.
Arrivée au château de Saran à Chouilly, imposante bâtisse qui domine les anciens champs de bataille de toutes les invasions de la France par l’Est. La vue est impressionnante. Accueil de maison de chasse où une table de salle à manger en acajou protégée de 18 couches de vernis est une invitation à des repas de grand apparat. Moët & Chandon bichonne ses hôtes. Bichonner n’est pas un vain mot, car Enrico Bernardo rejoindra ce lieu au volant d’une voiture au cheval cabré qui lui aura été prêtée pour la circonstance. Il ne cachait pas sa joie d’avoir touché à l’un de ces magnifiques joujoux qui sont l’un des moyens les plus sûrs d’aller en prison sans passer par la case départ. Nous allons – en car – au siège de Moët où dans une salle immense l’Ordre des Coteaux de Champagne tient son chapitre de printemps. Le discours du Commandeur Philippe Court de la maison Taittinger est d’une grande sagesse. Je suis nommé chevalier, de la même promotion que Richard Geoffroy, l’homme qui fait Dom Pérignon et en parle si bien. Des amis de Moët sont aussi promus, comme Olivier Picasso, un grand patron de presse qui parle du vin, un restaurateur sur des nefs parisiennes, le directeur d’un des plus beaux hôtels parisiens, l’entreprenant fondateur d’une des plus performantes sociétés de vente de vins sur internet et Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde. Deux frêles japonaises, obligées elles aussi à boire d’un trait une coupe de Moët & Chandon 1999 sont quasi chancelantes lors de leur adoubement. L’apéritif qui suit permet de goûter les champagnes produits par des membres du conseil de l’Ordre. Déambulant dans les entrailles crayeuses où dorment des Dom Pérignon, nous entrons dans une belle cave voûtée où se tient un dîner de gala. C’est la cave Napoléon, car notre empereur ayant fait l’école de Brienne avec Jean Rémy Moët, cela a tissé des liens avec son champagne. Il nomma de ce fait sa cuvée non millésimée « Brut impérial ».
Bernard Dance, chef de la résidence Le Trianon a conçu ce menu : médaillons de homard, vinaigrette balsamique, crème légère de fenouil / Osso bucco de lotte, caviar d’Aquitaine, fondue de poireaux / Filet mignon de veau à la truffe noire et sa poêlée de champignons / dacquoise aux noix, sauce aux épices chinoises. Nous étions plus de 300, et les cuissons furent parfaites.
Le Ruinart blanc de blancs servi en magnums d’une beauté de forme à signaler, délicieux champagne expressif se marie avec bonheur à la crème de fenouil. Le Delamotte blanc de blancs, champagne que j’adore, forme avec la chair de la lotte un accord sensuel. La chair cuite admirablement épouse le champagne de façon unique. Je m’interrogeais sur la pertinence de l’ajoute de champignons au filet mignon, face au Moët & Chandon rosé 1990. Or en fait, c’est justement le champignon qui se marie à ravir avec ce rosé mis fort opportunément face à une viande de veau de la même couleur. Le commandeur, mon voisin de table, avait expliqué la volonté de la maison Taittinger de lancer des champagnes de fin de soirée, d’où « Nocturne », plus fortement dosés, ici à près de 20 grammes de sucre de canne par litre. L’association du Taittinger Nocturne Sec avec un dessert très sucré eut l’effet de raccourcir ce beau champagne, alors qu’il est d’un grand intérêt.
On me fit l’honneur de me demander de dire un mot avec Enrico Bernardo, pour complimenter la brigade et le chef de l’excellence de ce repas et des accords. Toute la nouvelle promotion d’élus de ce chapitre de l’Ordre se moqua gentiment de moi, croyant que je critiquais le champagne du Commandeur, le Taittinger Nocturne Sec, alors que je signalais l’intérêt qu’il y aurait eu à éviter le sucré sur ce champagne. Cette assemblée fut joyeuse, rieuse même, le président de Moët, Frédéric Cuménal étant chaleureusement félicité de sa générosité extrême d’avoir permis une soirée de ce haut niveau. Revenant au château, des magnums de Dom Pérignon 1998 nous attendaient. Les discussions furent interminables, se concluant sur le cognac « Paradis » de Hennessy, prélude à bien des rêves.
Prendre son petit déjeuner en regardant un cèdre centenaire, boire son café dans un service Bernardaud « Eugénie de Montijo », cela met de bonne humeur pour la journée. Elle n’allait pas être triste, car la générosité fut sans limite. On m’offrit de conduire une Ferrari 612, ce dont je ne me privai pas, abandonnant pour un instant mon véhicule personnel en d’autres mains. L’entrée des caves de Moët, un dimanche, ressemble à un quai de gare, tant il y a de visites organisées avec des publics de la terre entière. Un joli film présente le champagne Moët, « œuvre et nature ». Les 28 kilomètres d’allées souterraines ne seront pas tous parcourus par notre groupe, mais on ne peut qu’être admiratif devant ces stocks quasi irréels présentés par Karine, une guide charmante. Nous pénétrons dans l’œnothèque de Moët & Chandon, où la profusion de bouteilles sur pointe, en cases pour chaque année émeut le collectionneur que je suis. Ces cases me parlent plus que l’œuvre qui représente les plus belles cuvées du siècle, assemblées entre elles pour faite une cuvée plus que spéciale, qui ne fit que 323 bouteilles.
Nous dégustons Moët & Chandon 1999, petit chef d’œuvre de précision. Il a déjà la signature du Moët historique fait de fumé et de caramel. Très précis, découpé au scalpel, il est agréable à boire. Le Moët & Chandon 1983 est encensé par tous, mais une petite signature métallique me gêne un peu, ce qui deviendra évident quand apparait Moët & Chandon 1962 dégorgé devant nous. Le nez me fait immédiatement penser à la rose, puis au rahat-loukoum. En bouche quelle délicatesse florale et fruitée. Ce qui est magique, au-delà de la jeunesse, c’est que ce champagne est totalement intégré. Toutes ses pièces se sont encastrées, l’équilibre est logique, et la longueur est extrême. C’est un champagne de rêve. Quel contraste avec le Moët & Chandon 1952, lui aussi dégorgé dans l’instant, qui est la définition la plus pure du champagne. C’est un vrai champagne, vineux, quand le 1962 est floral. Quelle chance d’avoir pu goûter deux versions très différentes du champagne, avec, raffinement ultime, la signature Moët qui est présente dans chaque cas. Cet honneur qui nous fut fait d’accéder à ces trésors est rare.
Nous sommes allés déjeuner dans l’orangeraie de la propriété, pièce délicate comme un coffret de bonbons dans un jardin à la française rassurant dessiné par Isabey. Le Moët Brut Impérial est particulièrement plaisant, fait de 80% de vins de 2002 et sans doute 20% de vins de 2000 ou 1999. Son charme le rend plus immédiatement accessible que le millésimé 1999. Je sais qu’il vieillit bien, puisque je goûte ses aînés dans mon cercle. Un Phélan Ségur 1993 se boit fort aimablement sur le buffet d’une grande qualité. Jean Berchon, par un geste de grande classe nous fit goûter le cognac « Richard » de Hennessy, petite merveille dont les alcools, allant jusqu’à 150 ans, montrent que les chênes de cette époque ont produit des saveurs qui ne seront plus jamais reproduites, faites de café, de thé, de caramel, de réglisse, de bois de cèdre, de vanille et d’épices à se pâmer.
Lorsque les pots d’échappement se mirent à vrombir, signalant le départ, nous savions que nous venions de vivre un week-end de rêve, marqué par la générosité d’une grande maison de champagne.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
Realisation Legal notice Excess of wine is a danger for health - drink with moderation  © Wine-Dinners