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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 68
31/05/2006 - 182 - trip to California
Après seize heures d’un sommeil réparateur, il est temps de revisiter San Francisco. Le premier Mai, aux USA, on travaille, mais on manifeste aussi. C’est un jour de défilés pour la régularisation de l’immigration clandestine. Ici, c’est gentil, folklorique. Des petits groupes se forment de même tendance de peau, derrière des pancartes illisibles à cinq mètres. L’important, c’est de se montrer. Les policiers barrent des rues pour laisser ces maigres cortèges s’exprimer avec des sourires. Etant tout proche de cette agitation puisque l’épicentre est à Market Street et Union Square où je déambule, j’aurai une impression contraire à ce que je lirai le lendemain dans les journaux, où l’on évoque des défilés les plus importants depuis la protestation contre la guerre au Vietnam. Qui a raison ? Le touriste de passage ? Le journaliste ? Probablement le journal, puisque c’est écrit.
Je ne me lasse par de déambuler dans les rues américaines qui sont de vivantes galeries de portraits. Tout ce qu’on peut imaginer de plus typé, marqué, voire difforme, se promène. Les exclus de la société se montrent. Un jeune blanc rongé par l’alcool gratte ses jambes grises qui n’ont pas dû voir de l’eau depuis dix ans. Un policier en faction s’est installé pour lire son journal sur une borne en engouffrant un énorme sandwich. A la pause de midi de jeunes cadres vont dans de minuscules échoppes à la décoration hideuse grignoter des nourritures obésifiantes. A l’inverse, des dames multiplement liftées promènent des chiens enrubannés de rose dans les lieux où il faut être vu. Je rêverais d’avoir un appareil photo dissimulé pour capter ces faces invraisemblables de beauté créative. On ne peut franchement pas dire de cette foule bigarrée qu’elle est « fashion addict » tant elle est multiforme. Je fais du shopping, je constate que le « cable car » que j’avais emprunté il y a plus de quarante ans n’a pas changé, je m’épuise à rechercher d’instinct Lombard Street, cette rue serpentine que j’ai déjà foulée de bas en haut et de haut en bas. Un aimable restaurant de plein air dans une rue piétonnière me tente. Je déjeune dans ce petit bistrot au son d’un accordéoniste qui passe des Beatles au Troisième Homme et de Freddy Mercury à Edith Piaf avec le même sourire forcé.
Ken vient me prendre à mon hôtel et nous allons au Jack Falsatff, restaurant qui a pris le parti de se montrer comme un bunker ou un immeuble abandonné après l’invasion d’Armageddon. Dans ce lieu non loin du Giants Stadium qui a match ce soir (ils vont perdre), nous serons en extérieur. Les sirènes, les camions vrombissants vont agrémenter notre dîner sans le perturber. Je viens ouvrir les bouteilles dès 16 heures, et de nombreux convives sont là pour voir « the Audouze method » pour l’ouverture et l’oxygénation. Selon une tradition bien américaine, les 28 que nous sommes ont apporté près de 70 vins différents. La particularité, c’est qu’il s’agit de vins que l’on ne trouve guère dans ces dégustations : les vins californiens d’avant 1980. Quand ce groupe m’avait invité à les rejoindre, on m’avait demandé de proposer un thème. J’avais choisi les vins californiens anciens, sans supposer que la prohibition a brisé une chaîne de continuité. Il n’existe pratiquement aucun vin ancien d’avant 1960. Le plus vieux vin de ce soir sera un Martin Ray 1953 de Saratoga, Cabernet Sauvignon, véritable relique longuement présentée par Paul qui l’a apportée et la couve comme son enfant. Ce vin délicieux, aux saveurs rappelant des bourgognes assez complexes, m’a énormément plu.
Les bouteilles sont ouvertes longtemps à l’avance. Aussi Ken ouvre avec une légitime fierté une demi-bouteille de Krug Grande Cuvée très goûteux, simple de message, prometteur du grand événement qui se construit. De nouveaux convives arrivent encore, apportant sous leurs bras des verres Riedel et des vins à profusion. A 19 heures nous passons à table. Je prends la parole pour remercier les organisateurs dont Christine, efficace leader du groupe, et je donne quelques conseils sur la dégustation des vins anciens, qui seront aussi inconnus pour eux que pour moi, car certains vins ne viennent pas de la cave des participants. Il s’agit assez souvent de recherches qu’ils ont faites. A peine assis, les verres se remplissent à une vitesse folle, car chacun veut faire essayer aux autres ses apports. Je suis un peu affolé qu’on boive autant de vins alors que le repas n’est pas commencé. J’ai raison, car le potage améliore considérablement certains vins rouges ou blancs. C’est un désordre souriant mais total, car en buvant un vin, je suis le plus souvent incapable de dire duquel il s’agit. Quand on me demande lequel j’ai préféré d’un remplissage de l’instant, j’en suis bien incapable.
Le menu est fort agréable. Je le cite en anglais, comme je le ferai pour ceux de ce voyage : Maine lobster consomme, lobster ravioli / smoked quail stuffed with foie gras, roasted pear and wild aragula salad / Maine lobster Thermidor, catalan style spinach, lobster juice / baked Alaska, chocolate ice cream, fruit compote.
J’ai constaté que les blancs ont diversement vieilli, un Chardonnay 1977 Stony Hill Napa Valley me plaisant beaucoup, au nez expressif de Bourgogne, mais plus doucereux en bouche. Dans l’échantillon très vaste de vins que nous avons bus, j’ai trouvé la même proportion de vins fatigués et de vins brillants que ce que nous aurions trouvé en France. Un Gamay 1970 Joseph Swan a émerveillé tout le monde car personne n’attendait ce cépage à ce niveau de jeunesse. Beaucoup de vins furent splendides et appréciés comme il convient. Il n’y a eu aucun vin bouchonné, certains l’étant faiblement au nez mais pas en bouche. Tout ceci me permet de déclarer cet essai concluant, preuve de la capacité de vieillissement des vins californiens, contrairement à ce que beaucoup pensaient en venant assister à cette réunion rare, car autant de vins d’avant 1980 n’ont pratiquement jamais été rassemblés pour une soirée. Beaucoup me remercient d’en avoir été le prétexte. Ils apprécient ma déclaration sur l’aptitude au vieillissement des vins de leur pays. Il y avait beaucoup de millésimes de Beaulieu Vineyards, de Ridge Montebello, de Heitz cellar, d’Inglenook, noms qui comptent dans le paysage californien. J’ai adoré un Heitz cellar 1968, un Ridge Montebello 1970, un Beaulieu 1966, un Inglenook 1965. Un américain citerait les cépages en annonçant ces vins. Je ne les ai pas notés. Un vin qui avait été classé en 1976 comme le plus grand vin du monde devant tous les vins français (jugement de Paris 1976), le Stag’s Leap dont je bois le 1973, me parait bon. Mais de là à en faire un champion…
J’avais apporté un Grands Echézeaux Domaine de la Romanée Conti 1974 qui fut pour beaucoup leur premier vin du DRC. Fatigué par le transport et les variations de température, au bouchon anormalement fatigué pour cet âge alors que des californiens du même millésime arboraient des bouchons de prime jeunesse, souvent lestés de lourds sédiments, il est pour moi d’un plaisir variable, quand mes voisins – est-ce par politesse ? – le trouvent extrêmement plaisant. Sa complexité est en effet plus grande que celle des vins d’ici. En revanche le Château d’Yquem 1953 de ma cave, au niveau parfait, au bouchon d’origine très sain, à la couleur rose orange tient ses promesses. Un vin magique de grand plaisir. Les américains sont de grands enfants, car pendant que je déguste religieusement l’Yquem, ils repartent de plus belle sur les rouges, effaçant d’un coup la trace si subtile de ce liquoreux. Dans ce groupe disparate mais animé de la même passion, un visage m’est connu, mais d’où ? Quand il me dit : « j’ai assisté à deux de vos dîners », je cherche en vain. C’est le patron d’un groupe d’entreprises qui m’avait effectivement commandé plusieurs dîners. Tout le mondé est ravi, persuadé d’avoir participé à un événement unique, où le politiquement correct du : « le vin californien ne vieillit pas » vient d’être sérieusement écorné. La palme ira ce soir aux deux vins de 1953, le Martin Ray au goût si jeune et si fruité et Yquem, dans sa gloire absolue. Grand moment d’amitié dans une ambiance attentive, souriante, et joyeusement désordonnée. L’air de rien, nous venons de faire, sans le dire, une séance de l’académie des vins anciens sur la Côte Pacifique. Et, pourquoi ne pas le dire, ma méthode d’ouverture a démontré une fois de plus son efficacité.
Le petit déjeuner me permettrait d’affronter une éventuelle grève de la faim pour sauver l’emploi dans ma commune si j’étais député. Shopping, car mon hôtel est situé dans une zone où toutes les plus grandes marques mondiales sont présentes. Le midi, une foule s’agite en tous sens. Tous portent des paquets en papier kraft, horizontaux ou verticaux, qui contiennent leur repas de midi. Au premier coin de soleil, ils vont s’asseoir et dévorer leur pitance emballée, calibrée, conditionnée. Un peuple qui est capable de manger sans broncher d’énormes sandwiches qui fuient de partout dès qu’on les met en bouche a une constance et un surmoi qui l’autorisent à envisager de gagner toutes les compétitions sportives de la planète. Il faut une telle domination de soi pour ne pas hurler quand ça dégouline ! Il fait beau. Le Golden Gate est peint en gris au lieu de rouge ce qui lui donne une personnalité différente. Les rues fleurissent de jolies femmes de toutes les couleurs. Tout ceci annonce une belle fin de journée.
Disons le tout de suite, nous entrons maintenant dans le territoire de mes rêves. Avec un ami californien, j’ai bu à Paris il y a dix jours Lafite 1865 et Pétrus 1947. Je suis pris maintenant dans le tourbillon qu’il crée à San Francisco. Nous arrivons à l’hôtel Mandarin Oriental pour ouvrir les bouteilles du dîner. Les liquoreux sont généreux. L’Olivier blanc 1947 m’inquiète, car il paraît trop madérisé. Les rouges ont besoin de se réveiller. C’est la première fois que j’ouvre une bouteille de Mouton avec l’étiquette Carlu, la plus belle de toutes. Lorsque j’en croise une dans ma cave, j’en ressens l’émotion. Les vins sont tous ouverts. Un de mes amis m’emmène dans le quartier italien, joyeux et remuant en cet après-midi ensoleillé. A une terrasse, il me faut goûter une Syrah Renard ‘Arroyo Vineyard’ 2002 au verre. Nous en avons laissé les trois quarts, ce qui qualifie, mieux que toute autre analyse, cette caricature de vin. Nous sommes ponctuels à nouveau à l’hôtel, et montons au 38ème étage dans l’imposante suite de mon ami qui, de sa terrasse, domine tout San Francisco. Une vue unique. Dans un seau, un magnum de Cristal Roederer 1966. Une couleur dorée de coing mûr, un nez dense, et en bouche une saveur qui va s’élargir tout au long de la vie de cette bouteille. Le champagne est concentré, fruité, aromatique. Le bouillant chef du lieu, Joel Huff, qui vise des exploits médiatiques que le Wine Spectator va signaler bientôt, a voulu trop en faire. Le toast qui supporte le caviar est trop toasté, les coquilles Saint-Jacques sont trop poivrées, les huîtres sont marquées d’une sauce inutile. Mais d’autres amuse-bouche, tel un sushi léger et un poisson délicatement fumé vont rappeler que la vedette est au Cristal, signe de la générosité remarquable de mon ami. Notre petit groupe descend à la bibliothèque où une table est dressée pour nous. Steve, mon ami, me fait goûter un champagne en me demandant : est-ce plus ancien ? Le cousinage avec le premier champagne est si fort que je pressens un piège : ce pourrait-être tout simplement le même. Mais je perçois une structure plus raffinée. Il s’agit de Cristal Roederer 1949, extrême rareté. Le champagne est nettement plus noble que le 1966. Sa trame est irréelle, sa présence insistante. Ce que nous buvons est immense. C’est un des tout grands champagnes de l’histoire.
Le menu a été manifestement composé par un chef qui ne connait pas le vin. Mais il veut bien faire, car il vient à chaque plat sentir si tout va bien. Vu son âge, il a la casquette à la visière retournée comme un ‘djeune’. Les plats sont compliqués, avec des saveurs inutiles pour les grands vins, mais bien réalisés. Toutes les chairs sont goûteuses. Je ne résiste pas au plaisir de vous donner le menu, en anglais de nouveau : Santa Cruz baby abalone ceviche , yellowfin sashimi, Ponzu truffle vinaigrette, feta foam / pan seared foie gras, pineapple rhubarb, mountain berry tea reduction, kohlrabi soup with mustard emulsion : ocean trout, preserved lemon and bone marrow risotto, edamame puree, sauce bordelaise / cedar wrapped squab, parsnip gnocchi, young grapes, king trumpet, liquorice and squab au jus / Colorado lamb rack, date puree, ramp injected loin / « Snake river » Kobe beef, braised beef ribs, smoked potato puree / Harmony blue cheese, Cresci Iowa / chocolate truffles, petifores, delights. On est assez loin de la simplification des recettes que je suggère aux chefs qui créent pour les vins anciens.
Le Vouvray le Haut Lieu, Huet 1959 apporté par un convive que je ne connais pas de cette table de sept seulement, est d’une pureté architecturale absolue. C’est un vin bien dessiné, sans une ombre, qui brille, sans aucune complication. Belle longueur, belle personnalité, on se sent bien avec ce vin là, au sucre joliment mesuré.
Le chef a la bonne idée de préparer le palais aux autres vins avec une petite soupe du meilleur effet. L’oxygénation a spectaculairement profité au Château Olivier blanc 1947. Voilà un vin qui se présente à l’ouverture comme quasi madérisé qui, quatre heures après, brille de verdeur. Qui l’aurait envisagé ? J’avoue que j’en suis surpris, alors que j’ai déjà assisté à des retournements inattendus. Le Lafite-Rothschild 1953 m’est servi en premier. Le nez de ce qui m’est servi est encore un peu blessé et je me demande pourquoi mes convives s’extasient tant. Je me fais servir un peu du milieu de la bouteille, et là, je les comprends. C’est un merveilleux Lafite, élégant, racé, subtil. Un des grands Lafite que j’aie bus. Par comparaison, le Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1945 que j’ai apporté pour ce dîner apparait carré, solide, militaire. Un vin masculin quand le Lafite serait féminin. Grand vin aussi, mais le charme du Lafite est rayonnant. Le Mouton-Rothschild 1926 va nous faire grimper de trois étages au moins. Ce vin est immense. Il fait certainement partie du premier cercle de mon Panthéon. Tout en lui est grandiose. Le nez est long et expressif. L’attaque, d’un charme fou, annonce le plaisir à venir. La prise de possession des papilles se fait par un discours d’une conviction folle. C’est un vin absolument parfait. Un de mes plus grands Mouton, loin encore du 1900, mais grandissime, comme tous les 1926 que j’ai bus : Haut-Brion, Montrose, Pichon Comtesse, Pétrus, Mission…
J’avais fait changer le choix de fromages qu’on m’avait gentiment demandé de juger. Ce bleu de l’Iowa est exactement adapté au Château Coutet Barsac 1949 à la couleur dorée, au nez intense, et à la joie de vivre époustouflante. Nous remontons dans la suite japonisante de mon ami pour goûter mon deuxième apport : Château d’Yquem 1935. Ce changement de lieu convient bien à l’Yquem qui n’aurait pas trop aimé d’être comparé. Sa couleur est plus claire que celle du Coutet. C’est un vin peu botrytisé, moins dense que le Coutet, mais la signature d’Yquem est tellement éblouissante que je suis conquis par cet Yquem moins exubérant, mais infiniment séduisant. Mon ami avait prévu un Banyuls 1947 pour les chocolats et les cigares. Je me suis excusé pour fatigue, sans boire ce vin de 16,5° au nez chaleureux.
Quel serait mon classement ? Essayons : 1- Mouton 1926, 2- Cristal 1949, 3- Yquem 1935, 4- Lafite 1953. Mais d’autres choix sont possibles.
J’ai eu le plaisir de constater que le plan général de ce dîner ressemble à s’y méprendre à ceux de mes dîners. La générosité, la finesse de tous ces amis ouvre des voies qui sont celles que je recherche. Quand je rencontre comme ici des personnes qui aiment le vin et partagent les bouteilles les plus rares, je me mets à élaborer des plans audacieux où participeront mes flacons du 19ème siècle. De folles joies en perspective.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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