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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 69
07/06/2006 - 183 - trip to California
Une limousine affrétée par mes amis de la folle équipée du Mandarin Oriental me conduit à l’aéroport. Les guichets d’enregistrement ont la même poésie qu’en France. Toutes les méthodes se sont banalisées. Une fois installés dans l’avion en partance pour Los Angeles, les passagers apprennent que l’ordinateur de l’aéroport est tombé en panne. Difficile de décoller à l’aveugle dans ce trafic intense. La nation la plus puissante de la Terre a aussi ses faiblesses. Une hôtesse va nous materner pendant tout le vol, récitant en d’interminables litanies tout ce que nous avons le droit de faire ou de ne pas faire. Le ciel de Los Angeles est couvert, et au sol, la température est nettement plus basse qu’à San Francisco. A l’hôtel « Shutters on the Beach » de Santa Monica, ma chambre a une jolie vue sur une immense plage de sable couleur de temps gris et sur l’océan. Je me vois déjà sauver de la noyade des Pamela Anderson à foison. Je suis fatigué, l’horizon est vide de naïades : ce ne sera qu’un cliché.
Dîner sobre (le seul sans doute de ce voyage) face à la mer. Le homard est goûteux, la romaine est croquante. La salle est sinistre et le service convenu. Cet endroit vit en été, où l’on grignote, pour ne pas prendre un gramme. La cuisine, c’est pour les autres. Le lendemain au petit déjeuner, c’est le contraire. Une table roulante est poussée devant ma fenêtre, face à l’océan. C’est le luxe. Je m’étonne que la mer soit si calme alors qu’il y a un vent permanent. C’est un peu Deauville. Et tout à coup, devant mes yeux, c’est Brice de Nice. Une trentaine de jeunes en combinaison se rassemblent avec leurs planches. Scrutant l’onde amère, ils vont attendre une vague hautement improbable. Devant mes yeux vole un pélican. Je n’ai pas bu hier. Ce doit être un vrai.
J’avais refusé beaucoup d’invitations, mais Ron, trouvant sans doute les mots et s’étant proposé de me guider, nous voilà partis sur les collines de Hollywood, pour rechercher les plus beaux panoramas sur des plaines infinies. Il me montre une de ses anciennes maisons qui domine la vallée, et nous allons déjeuner au Pinot Bistro, restaurant installé sur Ventura Boulevard une des fameuses avenues de Los Angeles. Ron a apporté avec lui deux vins. Un Chardonnay Konsgaard Napa Valley 2002. Très alcoolique, il me parait intelligent, c'est-à-dire bien dosé dans ses différentes composantes. Le Cabernet Sauvignon Dunn Vineyard 1982 est très plaisant. La lourdeur alcoolique est là, le côté cassis-mûre, mais l’âge a arrondi tout cela. Je mange des moules et un agréable poisson de mer. La serveuse est futée, dégourdie, souriante et apprécie nos vins. Belle étape sympathique et sans histoire. Ron aime le vin, n’aime pas les vins anciens. Comme beaucoup d’américains, c’est un inconditionnel de la notation Parker. Il chasse les vins à 100 points, la note maximale. Mon discours sur les vins anciens s’arrête devant la barrière de ses convictions. Mais il est fort sympathique et accueillant comme le sont les américains amateurs de vins.
Ron me conduit chez Jeff, l’homme qui organise le dîner de ce soir, avec des membres du forum de Robert Parker. Je vais constater à quel point mon anglais a des limites. Arrivant à son domicile dans Bel Air, le quartier qui sent le dollar, je demande à Jeff si le dîner est chez lui. Il me répond oui, j’ouvre donc Pétrus 1959 que j’avais apporté. Nous visitons sa cave où ne figurent que les vins bons à boire, tous politiquement corrects dans l’échelle de Parker, les autres étant stockés en un autre endroit. Je remarque sa décoration très Roy Lichtenstein / Andy Warhol, démontrant un goût très sûr, son minuscule jardin où, dans ce qui pourrait ressembler à un sous-bois, trois vaches en plastique paissent. J’adore. Je dois reboucher le Pétrus car nous prenons sa Porsche conduite de façon virile. Je tremble pour ce vin prestigieux qui aura été malmené dans ce périple depuis ma cave.
Nous traversons des rues de Beverley Hill au luxe invraisemblable. Le magasin « The Wine Merchant » accueille Alfred Tesseron de Pontet-Canet qui fait goûter ses années récentes. Je le salue car nous avions longuement bavardé lors de la présentation des vins de l’Union des Grands Crus à l’Automobile Club. Jeff a pensé que cette visite me ferait plaisir. J’y ai été sensible. Le Pontet-Canet 2003 est très séducteur. Plus que le Pontet-Canet 2001 un peu strict. J’ai bavardé un moment avec l’heureux propriétaire de ce magasin qui fournit les stars. Un double magnum de Mouton 1929 à 500.000 dollars, ça frise la provocation et indique bien que l’on est ailleurs. Les prix des Pétrus en rayon m’ont montré à quel point le 1959 que j’ai ouvert est un cadeau royal, si on le mesure aux repères que je vois.
Nous nous rendons ensuite au restaurant La Terza, où un nombre important de bouteilles sont déjà ouvertes. Et je prends conscience de mon erreur. Jeff ayant l’habitude d’organiser des dîners fabuleux, je pensais, en lui demandant d’en organiser un, que nous aurions des Latour 1961, Lafleur 1947 ou autres splendeurs auxquelles aurait répondu mon Pétrus. Je n’imaginais pas que Jeff allait adopter un thème proche de celui du dîner à San Francisco : les vins californiens anciens, mais aussi des jeunes ! C’est évidemment ma faute de n’avoir rien demandé. Mais la soirée fut passionnante, les vins intéressants.
Le restaurant italien a conçu un menu d’une sensibilité adaptée aux vins, et le service du vin fut absolument parfait. Voici : pizza fritta with tomato and mozarella, grilled orange rosemary shrimp / lobster with string beans and bottarga / risotto with parmegiano-reggiano and fava beans / garganelli pasta with mixed mushrooms / yukon gold potato ravioli with beef ragout / rotisserie duck with seared snow peas and brandied dried figs / pan seared veal rack with fresh sauteed mixed vegetables / sliced rib eye steak with spinach / assorted Italian cheeses with chestnut honey and walnut bread / brown butter pistachio cake with blackberry compote and chef’s choice ice cream. Ce fut très élégant.
Le Ridge Riesling 1969 est assez fortement madérisé. Comme Jeff ne comprend pas qu’on puisse s’intéresser aux vins anciens, en voilà un qui le conforte dans ses idées. Mais lorsqu’on associe ce vin avec les grosses crevettes, le vin s’anime, ayant perdu de son inadaptabilité. Le Marcassin Chardonnay 2001 est un bel exemple de Chardonnay construit et réussi. J’aime ce style de Chardonnay. Le Chardonnay Aubert Reuling 2004 plaira plus aux américains qu’à moi.
La question avait été posée de savoir si on devait commencer par les vins les plus jeunes ou les plus anciens. Je suggérai les plus jeunes d’abord, ce qui parait avoir été un bon choix, sachant que le Pétrus 1959, vraiment peu à sa place ici, serait bu en premier.
Le Pétrus 1959 est le premier des rouges, et c’est une bonne chose, car on pourra profiter au mieux de son incroyable finesse. Ce vin est extrêmement complexe, direct, noble. Dès la première gorgée, on s’installe avec plaisir dans une grandeur rassurante. C’est un très noble Bordeaux aux multiples aspects, charmeur, expressif, passionnant. Plus sensuel que Pétrus 1947 émouvant bu il y a 15 jours.
On nous sert les vins en petits groupes. Le premier comprend, dans mon classement, le Harlan Estate 1999 que je trouve absolument charmant. Si l’on goûte, comme ce soir, des vins très jeunes, en voilà un qui me plait beaucoup par son naturel fruité. Les autres me plaisent moins, Bryant Family 1999, Foley Claret 1999 que j’ai assez aimé et Colgin 1999.
Sur le délicieux ravioli nous aurons, selon mon classement, le Schrader RBS 2001 presque possible, le Shafer Hillside Select 2001 moyen et le Abreu 2001 et le Araujo 2001 qui sont imbuvables pour moi. Ces excès gustatifs ne me conviennent pas.
Dans le groupe suivant, j’ai trouvé possible le Peter Michael les Pavots 2002, mais pas du tout le Colgin IX Estate 2002 : on est au-delà de mes facultés d’adaptation.
Nous allions enfin entrer dans le monde de vins plus anciens. Le Araujo 1995 me plait beaucoup. Le Heitz Martha’s 1985 est bouchonné et le Ridge Montebello 1984 est intéressant.
Dans le groupe suivant, j’ai classé en premier, à la première gorgée, le Mayacamas 1974, suivi du Montelena Estate 1978 que j’ai fait passer devant quand je l’ai bu sur le plat. Le Clos du Val 1978 et le Jordan 1978 ne m’ont pas plu. Le fameux Stags Leap Cask 23 de 1974 n’est pas venu alors que c’est un vin phare. C’est vraiment dommage.
Le Heitz 1966 que j’avais classé quatrième de ce groupe de quatre mérite d’en être le premier dès que le vin s’est ouvert dans le verre. Il est suivi de Inglenook 1966 très bon, du Beaulieu BV Reserve 1966 et du Charles Krug 1966 plus incertain.
Le vin de dessert Sine Qua Non Strawman 2002 est trop sucré pour moi.
En buvant ces vins sans connaître leurs hiérarchies, j’ai pu faire des contresens. Certains sont très difficiles pour moi, d’autres sont très plaisants. Les vins anciens ont plutôt bien vieilli. Ils me montrent que beaucoup d’entre eux ont de vrais terroirs, qui justifieraient sans doute que l’on remette en cause les excès actuels qui sont commis, conduisant à des vins plus caricaturaux que réels. Des stratégies nouvelles seraient possibles. Elles ne seront sans doute pas prises, pour l’instant.
Mon classement final : Pétrus 1959, et de loin, puis le Montelena Estate 1978, le Mayacamas 1974, le Harlan Estate 1999 pour l’intelligence de sa jeunesse, et le Araujo 1995 que j’ai trouvé très bon. Belle immersion dans un monde qui est fort intéressant. Des amateurs très compétents ont apporté de très belles bouteilles. Je suis ravi de cette expérience qui élargit le champ de mes connaissances.
Le lendemain matin, promenade sur les plages interminables de Santa Monica et Venice. Allées pour piétons et allées pour tous les engins à roulettes plus invraisemblables les uns que les autres. Quelle imagination ! Le plus spectaculaire, ce sont des patineurs qui ont une petite voile comme celle d’une planche à voile, qui permet d’avancer à la force du vent. A Venice, je m’arrête bien sûr à « Muscle Beach », où l’on soulève la fonte pour éblouir les dames. Tout au long du chemin de plage, de minuscules échoppes proposent tatouages, henné, maquillage, lignes de la main, tarot, peintures, objets, sculptures largement aussi hideux que ce qu’on trouve près du Sacré-Cœur de Montmartre. Des exclus de la terre tiennent ces petits stands, la saleté, le look déjanté voire camé étant un signe distinctif obligatoire. Des boutiques plus structurées vendent de l’inutile comme dans tous les lieux touristiques. Dans tous les pays du monde où les sites sont beaux, on ne vend que du laid. Le charme du lieu est trop intense pour que ce soit gênant.
Je me rends au restaurant Chinois on Main de Santa Monica pour un des événements marathon de Bipin Desai, dont le thème est celui des vins de la maison Trimbach. Les vins sont présentés par Jean Trimbach à une quarantaine d’amateurs, du cercle proche de Bipin. Nous sommes répartis en tables de huit dans une salle exiguë, où les neuf vins de chaque service auront bien du mal à se loger sur table. Le service des vins est impeccable. Près de 1500 verres sont utilisés, tous étiquetés au pied avec le nom du vin à déguster. Le menu est particulièrement délicat avec cette subtilité inhérente à la belle cuisine chinoise, qui sied aux vins d’Alsace de ce calibre.
Le menu : trio of foie gras, mousse tart with Kumquat chutney, pastrami on Rye crisp, sautéed with rhubarb / sorbet break / toro tataki with micro peppercress abd Shiso Miso vinaigrette / Shangai loster with curry sauce and crispy spinach / duo of Korabuta pork, crisp belly and roasted loin with sweet and sour tamarind glaze / laquered carpenter ranch squab breast and leg with spicy shrimp poststickers / citrus pudding cake with vanilla ice cream and blackberry sauce. La profusion des goûts aurait pu indisposer mais en fait, cette cuisine légère a bien suivi la magie des vins.
Pour mes dîners, mon plaisir est de choisir les vins, leur pondération dans ce qui doit être chaque fois un dîner unique. L’art de Bipin Desai est de déterminer les séquences de ce que nous buvons. Je vais indiquer les séries de vins et mes préférences. Les commentaires précis figureront sur le prochain bulletin, plus technique et moins romancé.
CSH veut dire Clos Sainte Hune, le fabuleux Riesling de Trimbach, l’un des plus légendaires. La Cuvée Frédéric Emile (CFE) est son petit frère qui a montré ce soir de belles dispositions.
Première série : CSH vendanges tardives 1989 et CSH vendanges tardives 1989 « Hors choix ». Préférence pour le premier (Bipin préfère le second).
Deuxième série : CFE 1994, 1993, 1992, 1988 – CSH 1994, 1993, 1992, 1988. Mon choix : CFE 1988, CSH 1988, CSH 1993, CSH 1994.
Troisième série : CFE 2000, 1999, 1998, 1997 – CSH 2000, 1999, 1998, 1997. Mon choix : CSH 2000, CFE 1997, CSH 1997. Ces classements montrent que la Cuvée Frédéric Emile est loin de rester en retrait par rapport au prestigieux Sainte Hune.
Quatrième série : CFE 1996, 1995, 1985, 1979 – CSH 1996, 1995, 1985, 1979, 1975. Mon choix : CSH 1975, CSH 1985, CSH 1996, CSH 1995.
Cinquième série : CFE 1990, 1989, 1983, 1976, 1971 – CSH 1990, 1983, 1976, 1971. Mon choix : CSH 1976, CSH 1971, CSH 1983, CSH 1990.
Comme prévu, c’est le Clos Sante Hune Trimbach 1976 qui a été la star de la soirée, vin que j’ai bu plusieurs fois avec un immense plaisir, représentant la perfection du Riesling actuel. Ces soirées ont l’avantage de donner l’occasion de mieux connaître un domaine. J’ai eu la confirmation de la perfection du Clos Sainte Hune, qui gagne en délices avec l’âge. La Cuvée Frédéric Emile s’est montrée sous un jour très favorable. Jean Trimbach a parlé avec passion de son domaine dont il représente, je crois, la treizième génération. De telles expériences montrent, une fois de plus, à quel point les vins d’Alsace méritent une attention plus marquée de la part des amateurs de grands vins.
Une soirée agréable où j’ai retrouvé des amateurs américains que je connaissais. J’étais assis près de Jean-Michel Cazes, propriétaire de Lynch-Bages dont je parlerai dans le prochain numéro et de James Suckling, journaliste du Wine Spectator, connu pour ses opinions tranchées sur le vin. En retrouvant ma chambre sur l’océan Pacifique, je savais que j’avais participé à la dégustation très rare d’un des plus grands vignobles alsaciens. Ce fut une grande soirée.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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