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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 74
12/07/2006 - 188 - several dinners
Jean-Philippe Durand est cet ami qui a réalisé trois jours de cuisine de rêve dans ma maison du Sud en fin d’année 2005. Il nous a aussi initiés à la magie de Marc Veyrat et a fait la cuisine d’un repas destiné à convaincre des membres d’un forum, où l’on parle de vin, de l’intérêt des vins anciens (bulletins 158, 165, 166, 170). Il propose de recevoir quelques compagnons d’équipées, et indique des dates. Toutes figurent dans la longue trêve d’été que je compte m’imposer pour prendre un rythme de vie plus calme, après les aventures extraordinaires de cette première moitié d’année. Trouver une date semble impossible, mais je n’aime pas dire non. Alors, de façon impromptue, nous décidons d’organiser un dîner chez lui le lendemain. Nous serons sept, dont des partenaires de l’aventure à Megève, lorsque nous étions entrés dans le monde créatif de Marc Veyrat.
Je suis en cave, choisissant des bouteilles comme je le ferais pour mes enfants, c'est-à-dire vins à découvrir, bouteilles à niveaux incertains ou curiosités. J’appelle Jean-Philippe pour lui faire part de mes choix. Je sens sa moue au bout de mon oreille. Il me demande des bordeaux, et dans le mail qu’il m’adresse, destiné à ajuster les apports, je sens qu’il veut du grand. Je n’aime pas qu’on empiète dans mon champ de liberté, mais pour remercier Jean-Philippe de tout ce qu’il nous a appris, je suis prêt à me laisser influencer. Je sais que je n’ouvrirai les vins que vers 19 heures, car je ne veux pas arriver trop tôt et déranger le chef quand il crée chez lui.
Il a beaucoup à faire, jugez-en par ce menu : Palourdes, filaments de navet, jus marin / Foie gras fondant, pommes à l'orientale / Grenadin et ris de veau, coulis aux cinq épices de Chine, poêlée de fèves / Homard breton, arômes de truffe blanche, asperges violettes, mousseline aux fanes de navet / Saumon mi-cuit à ma façon, morille d'Auvergne, goutte de framboises "Ardalya" / Foie gras vapeur, betterave et balsamique, jus sauvage à la truffe / Suprême de pigeon, truffe noire, sauce aux foies, petits pois à la coriandre / Stilton / Tarte aux poires et aux pamplemousses / Charlotte aux framboises. Quand Jean-Philippe cuisine, ce n’est pas un vain mot. Chaque composante, chaque produit, chaque sauce sont dosés avec une précision horlogère. C’est du niveau des montres à complications.
A l’ouverture, le bouchon du Haut-Brion 1922 se brise en mille morceaux, et dégage un parfum de truffes et de chocolat. D’autres bouteilles ont des souffrances. On le verra.
Le temps que tout se mette en place pour le dîner, je suggère que l’on commence par Château Figeac 1967. Quand j’étais en cave, parlant à Jean-Philippe, j’ai saisi cette bouteille dans un casier. Belle étiquette, apparemment très beau niveau, trop beau niveau. J’ai le téléphone à l’oreille, je tiens la bouteille d’une main. Le niveau me parait irréel. Je monte la bouteille jusqu’à mes yeux : le bouchon est tombé dans la bouteille et flotte dans le goulot, ce qui donnait l’impression d’un niveau exemplaire. Je l’ai apportée car on ne sait jamais. Décapsulée à 19 heures, d’odeur très acceptable, elle fut carafée. On sent que ce vin pourrait revivre. Mais le défaut, même minime, ne donne pas envie d’aller plus loin. Jean-Philippe aura peut-être au déjeuner de demain un retour de vie. Laissons ce vin de côté.
Le champagne Salon 1988 est le vin que j’avais choisi pour accueillir Jean-Philippe lors de son séjour dans le Sud. C’est lui que nous goûterons aussi en début de repas, petit clin d’œil amical, délicate attention de notre hôte qui me fait plaisir. Le Salon et la palourde, c’est un plaisir subtil, que j’apprécierais sans doute plus sur un 1995. Mais sur le foie gras fondant, relevé par la pomme, l’accord est sublime. La chair juste poêlée du foie forme un accord brillant avec ce puissant champagne expressif, lourd d’évocations qui me ravissent.
Le grenadin de veau a un chair d’une émotion forte. J’épuise toutes les régions françaises pour essayer de découvrir le vin proposé à l’aveugle par Luc. Je commets l’erreur de ne pas dépasser les frontières, car c’est un Sforzato Di Spina, Valtellina 1968 vin passerillé italien qui m’évoque assez bien un très ancien beaujolais. Très charmeur, sensiblement alcoolisé, il est bien avantagé par la chair intense.
« Le Charlemagne » de Marc Rougeot-Dupin 1992 est exceptionnel de générosité. Ce vin, comme tous ceux qui vont suivre, seront bus à découvert. Pas de recherche à l’aveugle. Le nez minéral est intense. On sent l’ardoise mouillée. Mais il est floral, porteur de fruits jaunes, et il remplit la bouche comme le panache d’un paon captive le regard. Sur le homard et la truffe blanche, tout est d’un naturel divin. Mais c’est la chair de l’asperge qui me fascine. Manger lentement cette chair consistante, ferme, avec quelques gouttes de cette perle de Charlemagne, c’est renversant de sophistication.
Vient ensuite un vin qui est dans ma philosophie. Il m’arrive d’ouvrir des bouteilles mythiques. Dans le mois écoulé, j’ai ouvert Pétrus 1947 et Pétrus 1959, Pichon Comtesse 1945 et beaucoup d’autres vins fort titrés. Mais je ne veux pas, comme on dit aujourd’hui d’une expression particulièrement vilaine, me « prendre la tête ». Je voulais donc absolument que ce vin « Ardalya » (Marque Déposée) La Grand’ Cave Damoy 1959 soit à ce dîner. Pourquoi ? Parce que je ne sais pas du tout ce que c’est. Sur Google, aucune réponse pour ce vin inconnu. Le niveau dans la bouteille est exceptionnel, l’odeur à l’ouverture est sympathique. Et là, commence un numéro de prestidigitation. Une couleur d’une jeunesse insolente. C’est 1990 en rubis. Un parfum qui est celui des bourgognes les plus nobles. En bouche, c’est riche comme un des plus grands de nos chambertins. Aucun de nous ne sait de quoi il s’agit. Alors on cherche. C’est un vin de table assemblé par Damoy. Donc il peut y avoir du bourgogne, puisque c’est la trame générale. Qu’il y ait du Rhône et de l’algérien ne serait pas étonnant, si l’algérien s’ajoutait encore en 1959. Mais devant nos papilles interloquées, ce vin montre qu’il est de la plus belle race. Alors, l’attitude naturelle, c’est de chercher l’erreur. Il y a à notre table un solide dégustateur qui a donné naguère des cours d’œnologie. Nous nous sommes interrogés sur ce breuvage. Il ne fait aucun doute qu’à l’aveugle, ce vin fort ordinaire tiendrait la comparaison avec la plupart des très grands bourgognes que je connais. Pour ce vin-là, on ne peut pas dire que nous soyons intoxiqués par l’étiquette. Le vin est immense. Et nous ne sommes pas abusés. Il n’a aucun défaut. C’est le miracle de ces fantassins qui se structurent idéalement quand ils évoluent bien. En bouche, une longueur que bien des vins espéreraient !
Avec le Grands Echézeaux Henry Lamarche 1976, Jean-philippe a commis un contresens qui ne lui ressemble pas. Le plat est à contremploi. Le foie de veau est délicieux, la betterave n’aurait jamais dû passer par là. Alors bien sûr, ce vin à la belle structure brille beaucoup moins que s’il était correctement accompagné. Il faudra que Luc nous en apporte un autre ! Jean-Philippe est perfectionniste. Il est donc attristé. Ce désaccord ne me gêne pas, parce qu’il permet de mieux comprendre que les plus beaux accords ne sont jamais le fruit du hasard.
Le pigeon est magnifique, mais la vedette, sans compétition, est au sublimissime Château Haut-Brion 1922. Un niveau exceptionnel dans le goulot, un bouchon collé au verre qui se déchire en mille morceaux, un nez qui dès l’ouverture prédisait l’accord avec la truffe. Versé dans le verre, le parfum envoûte. Et mes convives vont constater ma transformation physique. Je m’installe dans l’apesanteur d’un vin parfait. C’est une jouissance orgasmique qui se crée. Comme en un film au ralenti, je sens venir lentement la montée de mon extase. On est largement au niveau des Haut-Brion 1926 que je révère. Ce Haut-Brion est absolument parfait et peu des nombreux millésimes que j’ai bus soutiendraient la comparaison, alors que l’année 1922 ne passionne pas les amateurs. Le vin est lourd, fait de truffes et de chocolat. Avec le pigeon et sa truffe, l’accord est magistral. Mais c’est la sauce, que Jean-Philippe a dosée avec amour, qui fait apparaître une juxtaposition de plaisirs à se pâmer. Sur un petit nuage, j’étais l’observateur de mon plaisir. Ce Haut-Brion 1922 est la justification absolue de ma passion des vins anciens, et Jean-Philippe est la preuve vivante que les plus grands vins appellent une cuisine d’exception. Ce moment pèsera lourd dans ma mémoire.
Oublions très vite le Meursault Patriarche 1942 au niveau trop bas que j’avais apporté en sachant que ce serait une loterie. Mort de chez mort, si l’on veut parler une fois encore le sabir « actuel ».
Le Stilton brillant de crémeux contenu démarre avec un vin étrange que j’avais apporté, le Quarts de Chaume Beaulieu Reserve de la Société des Vins Fins à La Membrolle Sur Choisille 1929. Coiffé d’un muselet, mais sans capsule, le bouchon sorti de quelques millimètres, mais c’était voulu, d’un niveau très convenable, ce vin est vite jugé plus approprié au dessert, aussi Jean-Philippe me fait ouvrir un vin que j’avais apporté aussi, Château Guiraud 1971. Ce sauternes est sans surprise, il est délicieusement bon, équilibré, facile à vivre. Avec le Stilton, il joue sur du velours.
Le Quarts de Chaume a des côtés sympathiques. Je peux plus facilement le critiquer puisque c’est le mien. Il est apprécié par mes convives ravis de cette nouveauté. Mais sa longueur un peu courte m’oblige à le juger très en dedans de ce qu’il peut donner. Manque d’oxygène à mon avis. Le pâtissier de Jean-Philippe me convainc moins ce soir là.
J’apprécie les dîners où l’on improvise dans une joyeuse précipitation. C’est sans réfléchir que j’ai pris en cave ce Haut-Brion 1922. Il est tellement émouvant que je pourrais en pleurer.
J’ai classé les vins ainsi : 1 – Haut-Brion 1922, 2- Ardalya Damoy 1959, 3- Le Charlemagne Rougeot-Dupin 1992, 4- Sforzata di Spina 1968. Alors que Salon est mon champagne adoré, il n’est pas dans le quarté. La prime est aux inconnus, puisque je n’avais jamais bu aucun de ces quatre vins. Quelle belle soirée !

Mon groupe de conscrits se réunit tous les deux mois. Un de mes amis me demande de choisir pour lui le restaurant. Je réserve au Bistrot du Sommelier. J’y arrive un peu en avance, et je veux saluer Philippe Faure-Brac. On me dit qu’il est dans la salle de réunion dans la cour, car il organise une dégustation. On m’y conduit. Philippe m’accueille en me disant : « tu dois avoir du nez pour avoir réservé comme par hasard ce jour là ». En effet, le domaine Schlumberger présente ses Rieslings à la presse. Voulant faire le malin je dis à la jolie jeune femme qui porte le nom du domaine : « vous savez, j’ai des Schlumberger 1945 ». Avec un large sourire, elle me montre une bouteille : « eh bien, vous allez le goûter ». Ma mâchoire se détache de stupéfaction. Qui aurait cru que je boirais ici un vin rare que j’ai la chance de posséder ?
Alors qu’il n’était pas prévu que je sois de ce groupe, je me retrouve auprès de journalistes que je connais, qui travaillent sérieusement et prennent des notes. Sachant que le déjeuner sera solide, je ne fais que butiner quelques vins. Le Kitterlé Riesling Schlumberger Grand Cru 2005, à peine mis en bouteille est vraiment très buvable. Il en est même étonnant. On sait qu’il se refermera avant de s’épanouir dans peu d’années. Le Kitterlé Riesling Schlumberger Grand Cru 2002 est magnifique. Fumé, léger goût de noisette, il est rond et joli. Le Kitterlé Riesling Schlumberger Grand Cru 2001 est plus fermé, plus austère. Le Kitterlé Riesling Schlumberger 1979 a un nez superbe et chaleureux. Il est minéral mais joyeux. La bouche est plus serrée que le nez. Il est plus métallique. Je le sens comme un formidable vin de gastronomie. Le Kitterlé Riesling Schlumberger Grande sélection 1955 a un nez plus discret. La bouche est belle. Ce n’est pas le Riesling typique, mais il montre une belle fraîcheur. Il est un peu évolué, il glisse en bouche avec bonheur. Il est lui aussi un grand vin de gastronomie. Je sais d’avance que je l’aimerai plus que les professionnels présents, car la maturité de ce vin ne me gêne pas. Le Kitterlé Riesling Schlumberger Grande sélection 1945 a une belle couleur dorée. Son nez sent le fumeur de pipe. En bouche, c’est un nectar. C’est joli, fruité, rond. La longueur est belle. C’est un grand vin.
Je rejoins vite ma table, et l’ami qui invite me demande de choisir les vins. La carte de ce bistrot à la belle cuisine permet de faire de bonnes pioches. Les voici : champagne Lenoble, Grand Cru Blanc de Blancs 1995. Très expressif, très bien dessiné, il est fort agréable, et sa pureté fait plaisir. Le Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 1998 est un vin puissant et généreux. Une bombe gustative. C’est difficile pour un plat de se mettre en avant avec un vin qui lamine tout sur son passage. Mais c’est un grand plaisir sur une délicieuse terrine au foie gras. La Mission Haut-Brion 1997 est un vin passionnant. L’avantage de cette année est double. D’abord, elle est plus abordable sur la carte des restaurants. Ensuite, l’apparente légèreté d’un millésime moins recherché permet de prendre conscience du charme de certains grands vins avec beaucoup plus de précision. Et on voit tout de suite la trame douce, la finesse et la classe de ce grand vin. Il a suffisamment de puissance pour qu’on l’aime vraiment. Sur le délicieux bar, c’est un bel accord. Le Trotanoy 1997, choisi pour changer de rive sans changer d’année montre une autre expression charmante de cette délicate et séduisante année. Les deux vins sont complètement différents. Le Pomerol est vineux, fruité, et le Pessac-Léognan est velouté, charmeur. Je serais bien en peine de dire lequel je préfère, tant ils sont opposés. Le velours de La Mission Haut-Brion le place sans doute légèrement en tête. En fait, il faut aimer les deux.
Philippe Faure-Brac apporte à chacun un verre du Schlumberger 1945 généreusement offert par les hôtes d’un jour de ce lieu. Vin bien plein de lourde trace en bouche, il conclut élégamment cette belle réunion d’amis.
Peu après, je m’envole dans le Sud pour souffler un peu. Le Dom Pérignon 1998 est en train de s’ouvrir. C’est une bonne nouvelle. C’est un champagne romantique, pour rêver de roses et de fruits délicats.
« Ô temps, suspens ton vol, et vous, heures propices, suspendez votre cours. Laissez nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours… ». Ce doit être ça, un grand vin. Ce doit être cela, la vie.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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