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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 80
25/09/2006 - 194 - dinners on the sea
Sur la route de Saint-Tropez, en ayant dépassé le Lavandou, le restaurant « Le Sud » est sur le bord de la route. D’amples plantes tropicales marquent la façade. A l’entrée une belle femme brune accueille d’un sourire de circonstance. Sa beauté évite de s’attarder sur une décoration dont on ne se souviendra pas. Christophe Petra, chef cuisinier auteur de « Ma Provence Gourmande », est d’un contact heureux. On nous propose du champagne en prononçant deux noms qui ciblent l’endroit. Nous choisissons champagne Besserat de Bellefon rosé NM de bien agréable fraîcheur expressive. Ce champagne fait partie du tout petit groupe des bons rosés. Le maître des lieux vient nous réciter son menu, excluant que nous perdions notre temps à lire une carte. C’est une pratique que je n’apprécie pas trop. La carte des vins en revanche est fort intelligente, car elle a eu la sagesse de ne pas actualiser les prix fous de l’époque présente. J’y détecte des bonnes pioches qu’il faudra venir exploiter.
Nous allons être submergés par une cuisine multiforme, où les amuse-bouche s’ajoutent aux pré-entrées, entrées et autres plats, sans que l’impression d’excès n’apparaisse. C’est goûteux, fort goûteux parfois, au point que l’on se demande comment les saveurs si prononcées ne sont pas dopées comme cela existe dans un sport qui visite la France sur une selle. Le toast aux truffes d’été ressemble à un toast aux truffes d’hiver, la crème de cèpes et truffes a une intensité rare, le bar est délicieux. Le seul plat qui a joué un peu en dedans c’est le lapin confit de quatre heures, plat fort difficile à exécuter que j’avais pris pour apprécier sur un exercice de voltige le talent de Christophe Petra dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Sur ce festin, le Corton Charlemagne Louis Latour 2000 est extrêmement agréable. On est loin de la puissance de certains Corton Charlemagne, mais en ce temps de canicule, c’est plutôt un avantage. Les évocations sont discrètes mais subtiles. Ce vin demande qu’on aille chercher en lui toutes les subtilités qu’il recèle. Et le plaisir vient de cette découverte attentive.
L’Hermitage La Sizeranne Chapoutier 2002 est confortable. C’est un vin rassurant, sans complication excessive, à la trame exacte, qui n’en fait pas trop. C’est le vin que l’on est content de boire, mais qui ne suscite aucune énigme. Mes amis l’aimèrent pour sa franchise et son confort. Le temps lui donnera sans doute plus de complexité.
Parler du réchauffement de la planète, ça donne soif. Le champagne Louis Roederer, manifestement recommandé par la maison, apaise une dernière soif sans entraîner de bravos d’une foule attentiste devant ce champagne trop gentil et trop bien élevé.
Le « Sud » est une table qui mérite l’intérêt car il y a de l’intelligence et du savoir-faire dans cette cuisine généreuse. Le service est un peu conventionnel, la sommellerie plus que discrète. Une bonne cuisine et la carte des vins qui vaut le détour. En vacances, n’est-ce pas ce qui convient ?
Nous récidivons à l’hôtel des Roches, ce qui indique que nous nous y plaisons. Cette soirée m’aura montré que dans le jugement que l’on fait sur un restaurant, pour autant que l’on éprouve le besoin de juger, il y a l’observé et l’observant. En ce qui me concerne, l’influence de l’humeur de l’observant est loin d’être négligeable.
J’étais heureux d’avoir conclu un investissement qui m’intéresse par les perspectives de développement que j’entrevois, et il fallait que cela se fête avec des amis. D’humeur joyeuse, je commande Krug Grande Cuvée qui doit avoir un petit nombre d’années de bouteille. Une immense personnalité. Ce champagne est vivant comme pas deux. Il est expressif, typé et ne laisse pas indifférent. Il aurait fallu ne pas nous donner la première mini-entrée standard à base de crème de tomate, qui stérilise le Krug, alors que l’autre mini-entrée créée juste pour nous faire plaisir, à base de chair de rascasse, purée discrète de fenouil et jus «roquette » est un démarrage gustatif de vraie gastronomie. Cette remarque, que je fais souvent, je vais l’exprimer encore : quand le sommelier ou le maître d’hôtel repère une table où les vins vont être de gros calibre, il ne faut pas faire servir l’amuse-bouche standard, mais en adapter un, si le choix des vins est déjà fait.
En l’occurrence, la rascasse appelait le premier vin que j’avais commandé à mon arrivée, Château Rayas, Châteauneuf du Pape blanc 1998. Le mariage avec ce blanc étonnant est idéal, la chair expressive du poisson mettant en valeur le blanc merveilleux. Ce qui frappe d’abord, c’est la longueur du vin. On dirait un tapis qui se déroule, qui découvre à chaque pli des couleurs et des dessins nouveaux. L’exposé des motifs est quasi interminable. Ce blanc étonne car il change d’aspect à chaque mouvement de langue. Il est sans doute moins complexe qu’un bourgogne blanc, mais terriblement envoûtant. J’avais commandé sur ce vin une brandade de morue aux truffes d’été, émulsion au thym des collines, car je sentais que l’accord serait parfait entre l’ail et le fumé du Rayas. Or je suis un peu resté au milieu du gué, car je voulais de la brandade, de la pure, de la virile et je trouvais en fait une interprétation de la brandade intellectualisée, qui aseptisait le choc gustatif que j’attendais. C’était bon, bien sûr, mais n’avait pas la pureté brute que j’avais imaginée. A ce vin typé, affirmé, il fallait une brandade claire, directe, aussi franchement mâle que le « de la pomme, y en a, mais y a pas que ça » des Tontons Flingueurs.
Ayant adoré les cigales de mer sur l’Yquem 1987 lors du dernier dîner, il était tentant de revisiter ces crustacés sur un rouge, et pourquoi pas l’un des plus grands : Château de Beaucastel, Châteauneuf du Pape, Hommage à Jacques Perrin 1995. Matthias Dandine a fort intelligemment adapté l’accompagnement en changeant la préparation du menu pour des légumes du potager discrets et des girolles d’été, mais n’a pas remis en cause la sauce très prononcée qui masque la pureté de la chair. L’accord ne s’est fait que lorsque j’ai cureté de la chair non imprégnée dans la tête de la cigale. Là, le vin rouge s’est mis à chanter. Avec une cigale en plein été, n’est-ce pas ce qu’il doit faire ? Cet « Hommage » est trop jeune, c’est évident. Mais le bambin a déjà une morphologie d’athlète. Pur, simple, direct, s’exprimant dans une langue claire, ce vin rassure par la précision de sa construction. Le Rayas blanc miroitait de mille facettes. Et ce futur sumo pousse toute fioriture en dehors du cercle de combat. Le vin est affirmé, puissant, sûr de lui, et il est bon. Que demander d’autre, quand on a tant de plaisir en bouche.
Là où l’observant joue son rôle, c’est que je voulais ce soir m’installer dans les arts culinaires premiers. Je voulais une brandade qui joue la brandade et une chair de cigale dans sa pureté intrinsèque. Ce soir les variations sur les thèmes choisis ont occulté les accords purs que j’attendais. Il est sûr qu'un autre soir, je serais satisfait de ces recettes. Je rêve de refaire le même repas, avec les mêmes vins, car je suis très satisfait du choix de vins, et avec les mêmes plats, car je crois en eux, mais minimalisés au profit de saveurs franches et pures. Je crois que ce serait grandiose, et le chef le réussirait avec élégance.
Me méfiant autant de mon rôle d'observant que de ce que j'observe, j'ai réservé une nouvelle table pour dans huit jours ...
Ayant suggéré aux lecteurs du bulletin de regarder sur Télé Monte-Carlo un reportage sur ma cave, j’espère qu’ils auront eu la patience d’attendre, car rien dans le générique d’une émission sur M. Al Fayed ne laissait entrevoir un tel sujet.
Mon ami Jean-Philippe Durand, grand cuisinier amateur devant l’éternel, vient passer quelques jours dans notre maison du Sud. Au déjeuner de son arrivée, avec les enfants, un champagne Laurent Perrier Grand Siècle sert de bienvenue, et un très grand saumon d’une cuisson parfaite au barbecue accueille trois vins. Le Gigondas vignoble Gleize 1973 a un nez canaille, un goût râpeux de bourgogne, et se marie agréablement avec la chair délicieuse du saumon. Le Macon Champy père & fils 1966 promettait beaucoup au nez à l’ouverture, mais il semble bloqué, limité, et ne dégage pas beaucoup de personnalité. Le Châteauneuf du Pape domaine de la petite Gardiole 1965 prend lui aussi un goût de bourgogne, et la juxtaposition des trois vins montre que la cave dont ils proviennent, puisque les trois bouteilles ont été achetées à la même source, a connu un petit coup de chaleur.
Le lendemain, nous partons déjeuner sur la plage de la maison de pêcheur de mon fils. Notre passeport est un rosé Mas Cal Demoura Qu’es Aquo 2003 du Languedoc, à l’intérêt certain et de belle densité. Nous goûtons des crevettes roses, jetant en mer les coquilles que les mouettes viennent attraper avec une précision de voltigeur. Un Château de Galoupet blanc 2005 n’a pas grand intérêt. Imiter le Chili n’est pas une voie à suivre en Côtes de Provence.
Nous sommes assis à grignoter quand le bruit d’une lutte de mouettes nous fait tourner la tête. Une mouette aventureuse a subtilisé une des brochettes qui cuisait sur le barbecue planté dans le sable de la plage. Nous ne lui avons pas disputée. A l’apéritif du soir, le reste d’une bouteille de Cuvée Grand Siècle est d’une belle élégance. La bulle s’est estompée, et la qualité intrinsèque du vin se découvre de façon remarquable. Sur des olives noires, c’est un rare plaisir. Des crevettes roses sont maintenant présentées avec de l’avocat et un goûteux jus de pamplemousse. Le champagne Dom Pérignon 1998 chante avec cette amusante préparation. Mais c’est surtout sur l’association avocat et jus de pamplemousse que le Dom Pérignon prend une trace d’agrume d’une longueur infinie et découvre son charme avec talent.
Sur un agneau de Sisteron, le Châteauneuf du Pape domaine de la petite Gardiole 1965 d’un jour de plus brille comme on ne l’aurait pas soupçonné. Il s’est épanoui, a gommé ses petits défauts, et sur la lie, où se concentrent les arômes, je me mets à rêver, croyant reconnaître un Chambertin 1929, tant le vin a pris de la noblesse.
Un Côtes de Provence Rimauresq rouge 1985, en s’ouvrant, montre comme les vins de cette région vieillissent bien. Ces vins prendront un jour la renommée qu’ils méritent, partageant avec les vins du Sud du Rhône une tranquillité et une sérénité gustative de grand confort.
Jean-Philippe Durand, qui n’était pourtant pas invité pour cela, décide de prendre en mains le dîner de ce soir. Ma femme a dû regarnir la maison d’une batterie de nouveaux matériels sophistiqués pour mixer, mélanger, hacher, concasser. Jean Philippe prépare ses sauces, hume les évolutions. La cuisine d’été est envahie d’assiettes diverses garnies d’ingrédients qui auront, à l’heure prévue, leur utilité. Mon gendre prépare le barbecue qu’il va faire fonctionner au petit bois, pour la pureté du goût.
Le champagne Bollinger R.D. 1990 qui a été dégorgé début 2002 accueille deux préparations : un velouté de patate douce au basilic et un véritable capuccino de moules au café. Des amuse-bouche aussi contrastés vont révéler des facettes résolument distinctes de cet immense champagne. Sa distinction, son élégance frappent instantanément. Très typé, très fort, il impressionne. Sa longueur est remarquable.
La joue de lotte, zeste de citron au gingembre, coulis de pêche blanche au curry est un bonheur gustatif de première grandeur. L’Ermitage Ex Voto Guigal 2001 est un vin très puissant alors qu’il ne déclare «que» 13°. Je le trouve très brut, très anguleux, car les myriades de saveurs complexes qu’il étale sont relativement peu intégrées, signe que l’âge lui est nécessaire. Je pressens que ce grand blanc sera magnifique avec dix ans de plus. Sa fougue se dompte par le zeste et par le coulis passionnant. Comme on pouvait s’y attendre, le plat est d’une délicatesse pure.
Quand Jean-Philippe m’a donné l’intitulé du plat qui suit, ma réponse fut immédiate : Château Mouton-Rothschild 1987. Et ce fut de l’immense gastronomie, celle qui vous donne un coup de poing dans le cœur. Les allumettes d’espadon, oignons doux et poêlée de girolles ont eu une compréhension du Mouton que Jean-Philippe avait humé à l’avance (comme le rouge qui va suivre). Et ce Mouton, d’une année légère a dévoilé une élégance, une maîtrise d’un talent rare qui nous ont laissés pantois. Le vin est immense sur le poisson. C’est dans ces moments que l’on se rend compte que la cuisine faite par un amoureux du vin prend une autre dimension. Des Alain Senderens, Guy Savoy, Patrick Pignol, Alain Dutournier, Jean Pierre Vigato par exemple, sont de ce modèle là.
Transpercé d’une sonde thermique, la côte de bœuf n’avait qu’à bien se tenir pour arriver à la température voulue. La côte de bœuf au feu de bois, sauce cacao et fruits noirs, figues rôties est un plat simple et goûteux pour accueillir à la perfection Château de Beaucastel rouge 1982 d’un confort parfait. Très Beaucastel serein, calme, ce vin de 12° seulement, assez velouté, a une séduction naturelle fondée sur sa franchise. Alors, sur une viande qui l’excite, il s’éclot tranquillement. On est en 1982 plus décontracté que dans des versions plus récentes de ce grand vin qui a évolué vers une sophistication que demande le consommateur moderne.
Dans des grands dîners, j’aime toujours ajouter des vins inconnus. Plus inconnu que celui là, je ne vois pas. Imaginez ce nom : Alrokan grand vin moelleux, Bordeaux 1964, de Mr Bossetti à La Rochelle. La bouteille est belle, avec une étiquette sobre passe-partout. Le liquide est joliment doré d’un jaune discret. Le nez est calme. La bouche est prudente. Je ne m’attendais évidemment pas à trouver un goût d’Yquem. Mais sur un roquefort artisanal, le vin s’ébroue avec intelligence, et sur une poêlée de mangues au gingembre, le vin devient charmant. Mission accomplie.
Ma femme étant championne du monde de la mousse au chocolat, c’est elle qui intervint, ma fille ajoutant une glace au poivron rouge pour mettre en valeur un Maury 1928 Domaine et Terroirs du Sud de plaisir premier : on ne lui demande pas de faire le saut périlleux. C’est bon, cela suffit au bonheur.
Ce soir, c’est le Mouton 1987 qui a dominé les autres vins par une subtilité inégalable. Et l’accord de ce vin avec l’espadon est d’une émotion gastronomique de grande magnitude.
Discussions, rires, décontraction dans l’approche des vins. Une magnifique soirée de vacances.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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