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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 81
02/10/2006 - 195 - dinners on the sea
Aller de nouveau à l’hôtel des Roches à Aiguebelle pourrait paraître obsessionnel. Ça l’est. Je voulais que Jean-Philippe Durand, notre ami cuisinier amateur, connaisse la cuisine de Mathias Dandine. Occasion de rassembler nos enfants. Le chasseur à l’entrée est constant : il est hors sujet. Commençant par dire qu’il n’y a plus de place et voyant mon œil courroucé, comme la dernière fois, il prend les clés de la voiture, l’air las. Dès qu’on a pénétré dans l’enceinte de l’hôtel, c’est un ravissement. Notre table regarde l’île du Levant et Port-Cros, et la lune apparait dans toute sa plénitude, rose comme un homard amoureux. Reflets de lune argentés sur une mer légèrement agitée, vins délicats, cuisine rassurante, tout ici est bonheur.
Le champagne Moët & Chandon 1999 m’avait déjà séduit en montrant une belle personnalité, et celui-ci ne faillit pas. L’amuse-bouche est une crème de fenouil qui chatouille le Moët. La tartine de truffe d’été appelle un champagne Krug Grande Cuvée. La tartine est croquante et goûteuse. Le champagne fait un flop, car il n’a absolument pas le charme qu’on peut attendre d’un Krug et contraste avec ce que j’avais éprouvé ici. Par contraste, le Moët brille.
La brandade de morue à la truffe d’été en deuxième amuse-bouche est plaisante. Mais comme au précédent essai, je préférerais une version plus virile, plus villageoise de ce plat.
Des langoustes à peine grillées à la sauce vierge arrivent en peloton serré pour faire la haie d’honneur au Bâtard-Montrachet Domaine Leflaive 2002. La cuisson des langoustes est superbe, la chair prodigieuse. Il faut bien cette expressivité pour balancer l’immense persuasion de ce blanc que j’adore. Quel beau vin, puissant, vaste, opulent, remplissant le palais de joie pure. Ce vin est grandiose. Il lui faut des chairs typées comme celle-ci pour qu’il y ait jeu égal. Un beau moment de plaisir culinaire.
A notre arrivée, on nous avait présenté une montagne de sel dont la couleur et la taille faisaient penser à un bébé phoque. On me demande si le fait de manger un loup de plus de trois kilos nous tente. C’est le type de question qui n’a qu’une seule réponse. Car devant mes invités, comment dire non, si en plus je désire ce loup ? J’ai trouvé dans la carte des vins la réponse à ce gros gabarit de poisson : Vieux Château Certan, Pomerol, 1990. L’accord avec le loup en croûte de sel est divin. Le vin s’exprime totalement. Toutes ses subtilités de pomerol sont magnifiées par la chair du loup. Vin immense, chair goûteuse. Une précision extrême.
Jean-Philippe Durand nous avait cuisiné hier une poêlée de girolles transcendantale. Il avait créé notre envie, car nous en commandons ici. Les girolles de Mathias Dandine sont bonnes. Elles appelaient un vin. Ce fut Romanée Saint-Vivant Domaine de la Romanée-Conti 1997. Un immense bonheur. Un vin direct, franc, généreux, subtil, bien assis dans cette année qui ne commet pas l’erreur d’éblouir. Un grand moment avec les champignons.
L’excès de mignardises aux parfums trop variés est passé comme une lettre à la poste avec un joli Comtes de Champagne Taittinger 1997 à la bonne humeur communicative de pure soif qui conclut ce repas splendide et montra que le Krug que nous avons bu avait un problème.
C’est difficile de classer des vins aussi dissemblables. Malgré l’amour immodéré que j’ai pour le Bâtard-Montrachet, je donnerai ce soir la palme au Vieux Château Certan 1990 éblouissant, complice d’un loup idéal pour le révéler. Ensuite le Bâtard et le Romanée Saint-Vivant. Tant de bons vins sur de belles chairs merveilleusement traitées, c’est de la joie pure.
Sur une colline de Carqueiranne où les maisons en surplomb et leurs piscines sont encastrées à la façon d’un puzzle, une immense maison d’une architecture épurée attire le regard. Une terrasse de 36 mètres de long sur six mètres de large offre une jolie vue sur la baie de Carqueiranne et la presqu’île de Giens. Trois grandes pièces d’un are chacune sont d’une rare beauté. Nous somme accueillis par le maître de céans de cette table d’hôtes, Yvan Roux, ancien membre de l’équipe de France de rugby qui me rappelle des personnages de bandes dessinées de ma jeunesse. Double mètre, carrure à apeurer les taureaux de combat, bras interminables comme son sourire avenant. Notre table borde une piscine intérieure et la vue sur mer est totale, car la terrasse n’a pas de rambarde. Notre hôte s’assied gentiment près de nous pour nous expliquer le mode d’emploi. Ni menu ni prix annoncés, cela impose un acte de foi. Il sera récompensé.
On sent que la place n’a pas le culte du vin, mais on cite deux ou trois champagnes d’intérêt. Je retiens Cuvée Laurent Perrier Grand Siècle dont les deux bouteilles que nous boirons avec bonheur nous rappelleront celles que nous ouvrons à moins d’un kilomètre de ce lieu. Les petits alevins de rougets absolument délicieux font briller le goûteux champagne, plus ébroué que celui que j’ai à la maison. Mais c’est sans doute l’atmosphère qui veut cela. Dans ses bras puissants, le cuisinier colosse nous apporte un poisson « denti » oserais-je dire « dents de scie » qui ferait passer un mérou pour un gringalet. Il nous en suggère la dégustation, et vient à notre table trier les langoustes que nous mangerons.
Les alevins de rougets reviennent à profusion. Une assiette copieuse de calamars et seiches préparés de trois façons est sans doute la meilleure préparation de calamars et seiches que je n’aie jamais mangée. Une franchise de goûts succulente. Un Château les Valentines, Côtes de Provence 2004, qui ne prétend pas nous subjuguer, va trouver sur les chairs de ce plat un tremplin inespéré.
Les langoustes saisies au gril ont une chair irréellement blanche. La cuisson parfaite à la seconde près décuple notre plaisir. Sentant que peut-être nous aimons le vin, notre rugbyman apporte un Domaine de l’Eglise Pomerol 1998, cadeau qui lui avait été fait, dont nous saurons plus tard qu’il nous fit aussi cadeau de son cadeau. Le pomerol est délicieux, franc, à peine un peu moderne pour moi. Sur la langouste et sur le « dents de scie », c’est exactement ce qu’il faut.
Dans une architecture simple mais immédiatement sympathique, face à un panorama grandiose, un cuisinier sportif de haut niveau à la chaleur communicative rayonnante, approvisionné de ce qui se fait de mieux en produits de la mer, pratiquant des cuissons justes, nous a fait passer une mémorable soirée de plaisir.
Quel contraste le lendemain ! Car au spontanéisme de la table d’hôte succédait l’une des institutions de la côte méditerranéenne : le Petit Nice à Marseille. La mer, à Marseille, a des couleurs inimitables. Les rochers dénudés, polis par le vent, remués par des cataclysmes sismiques qui ont formé les calanques, caressent l’œil de leurs couleurs arides de chaleur. Sur les rochers du Petit Nice, telles des otaries profitant du soleil souverain, des agrégées ès crème solaire dénudent des chairs noires comme des toasts brûlés. De minuscules bouts de ficelle, sensés représenter un code de décence dont la convention apparait fort symbolique, sont le seul moyen de différencier ces beautés héliotropes. Une coupe de Dom Pérignon 1998 bue sur la terrasse près de la piscine accompagne avec intérêt – là aussi, atmosphère, atmosphère, je le trouve plus goûteux qu’à la maison - des entrées fort intelligentes et habiles qui sont une carte de visite de l’univers de Gérald Passédat dont j’approuve de plus en plus l’orientation créatrice.
Les amuse-bouche sont légers et goûteux comme l’ensemble de la cuisine de Passédat. La composition à base de langoustine est intelligente, même si le délicieux bouillon impose une cuisson plus soutenue de la langoustine, ce qui masque un peu son goût précieux. Le pigeon au miel est savoureux. Je vois qu’on se régale en face de moi d’un loup, traditionnelle icône de la maison. Le ris de veau et veau est mémorable.
N’étant pas celui qui invite je n’ai pas la charge du vin. Ma fille aînée au goût plus parkérien que Parker lui-même a choisi un Crozes-Hermitage, Clos des Grives Domaine Combier 2003. En d’autres lieux je l’éreinterais sans doute, mais ici, dans ce lieu si agréable, je lui trouve quelques vertus. Ma fille l’apprécie, c’est le principal.
Gérald Passédat explore dans sa cuisine des chemins de traverse qui détournent parfois du sentier principal. C’est dans sa personnalité. Je suis de plus en plus sensible à sa cuisine, légère et de bon goût.
Les vacances des enfants touchent à leur fin. Un agneau de Sisteron cuit au feu de bois crée un consensus gustatif. Trois Bandol pour l’accompagner. Le Domaine de Souviou 1998 a un nez franc de Bandol. En bouche un poivre discret et un cassis austère montrent que l’on travaille bien sans tomber dans l’excès. Le fruit est joli. Nous aimons beaucoup ce vin. Le Mas des Baguiers 1989 apporte la preuve que l’on a plus de soleil et de joie de boire avec un peu de maturité, ce qui sied bien à ce Bandol expressif. Le reste d’un Château de Pibarnon 1990 qui nous avait fort déçus la veille a pris, grâce à son aération, une race de Lafite. On dirait vraiment un Bordeaux noble. Le vin est devenu charmant, même s’il manque un peu de ce que l’on souhaiterait de ce Bandol vedette, d’une grande année. Des figues cueillies de l’arbre permettent de finir les verres de vin rouge dans la joie.
Un membre de l’Académie des Vins Anciens fanatique de vins chenus ayant lu sur le blog les adresses où je me rends et partageant les mêmes, eut l’idée que nous nous rencontrions. Ce fut fait. Nous allons déjeuner chez Yvan Roux ce rugbyman chaleureux aux poissons délicieux. Nous arrivons pour déjeuner, et la beauté du panorama découverte à travers l’immense baie de la salle où nous serons installés nous stupéfie. La maison est harmonieusement dessinée. Le nombre d’or a dû être utilisé dans toutes les proportions. La piscine intérieure émeraude, la mer d’un bleu azur de fin d’été, la terrasse immense où des sofas profonds attendent des rêves, la vue californienne, la table unique qui fait de nous les maîtres de l’espace, tout porte au plaisir gastronomique.
J’ouvre les reliques apportées par mon ami. Un muscat de Samos Jarrousse datant très probablement de la fin des années 50 est chaleureux, délicat, avec des notes de vanille et une finale de café. Une belle tranche d’un Pata Negra onctueux, dont le gras et le sel sont harmonieux fait sourire le muscat. Les bouteilles que j’ouvre proviennent d’une excursion que mon ami a faite en Languedoc. Une étiquette manuelle indique « vin rouge 1920 ». Tout indique que c’est 1920 et que c’est mort. Ce vin aigrelet ne reviendra pas à la vie. Nous l’essayons sur des beignets d’anémones de mer au goût très expressif, mais ça ne le réveille pas, alors qu’avec le Samos, la combinaison se fait bien si on prend soin de ne pas laisser l’alcool dominer en bouche, l’anémone prenant un léger goût d’artichaut. Le « demi doux 1948 » lu sur une étiquette de la même écriture est éblouissant. Ce vin a des inflexions de vieux Maury et une complexité aromatique rare. Sur les seiches cuites élégamment, le demi-doux explose de talent. J’avais apporté un Laville Haut-Brion 1983 au nez impérial qui s’anime aussi sur les seiches. Il imprime sa forte personnalité au chapon à la chair intense. Nous essayons un Bagnard, Côtes de Provence rouge 2004 du Château des Valentines. Ce jus sur-travaillé est manifestement hors sujet. Une glace vanille éteint le feu de la passion gustative de ce moment de grand bonheur. Je retiens surtout le demi-doux 1948 comme surprise absolue, tant l’élégance et la complexité aromatique d’un banal flacon perdu dans le recoin d’une cave ignorée étaient insoupçonnables.
Le sourire d’Yvan, son talent à trouver les poissons les plus beaux, sont un appel à revenir… Ce fut fait, pas plus tard que le lendemain, ma fille me conviant à cette adresse que j’avais vantée. Les restes des vins de la veille étaient toujours là, la hauteur du niveau indiquant ceux que nous avions aimés. Le rouge 1920 est toujours mort, mais serait devenu presque buvable. Le Samos est éblouissant, alors que le demi-doux 1948 montre des signes de fatigue, tout en gardant sa jolie complexité. Le Laville Haut-Brion 1983 est impérial de sérénité. J’ai goûté son charme exquis plus encore que la veille. Ce vin est éblouissant. Je m’attendais à ce que ma fille aux tendances parkériennes apprécie le Bagnard 2004, mais j’avais l’arme fatale, un Mas des Baguiers, Bandol 1989 qui lui fit oublier le jeune vin brutal pour des saveurs subtiles adaptées aux calamars, aux seiches et à la langouste. Pour la petite friture de rougets et le Pata Negra, la Cuvée Grand Siècle de Laurent Perrier est l’accompagnement idéal. Une nouvelle belle soirée dans un cadre enchanteur chez un artiste des poissons.
Je suis invité par des voisins. La répartition des tâches est la suivante : un ami apporte les sorbets de chez Ré, les meilleurs de la région, le voisin nous apprend à cuire les langoustes, et je suis en charge du vin, sauf le champagne. La décision ayant été prise très tard, les langoustes seront étrangères et non filles du pays. L’apéritif est un champagne Mumm 1998 avec des confits fourrés au foie gras. Les langoustes sont absolument délicieuses, à la cuisson astucieuse et orthodoxe. Elles sont associées à trois vins. Le Château Figeac 1988 est épanoui, joyeux, et montre la précision de sa structure raffinée. Le Beaune-Grèves Vigne de l’Enfant Jésus Bouchard Père & Fils 1976 est un peu plus difficile à comprendre pour les néophytes de cette table. Je lui trouve le charme bourguignon que j’apprécie, sous une présentation relativement discrète. Le Châteauneuf du Pape Domaine Saint-Préfert 1996 est le plus modeste des trois, mais sait donner de la voix. On s’amuse à faire des constatations intéressantes : sur le corail, c’est le Chateauneuf-du-Pape qui s’exprime le mieux. Lorsque la chair est associée à des feuilles de sauge, c’est le Figeac qui brille le plus. Et sur la chair seule, c’est le Beaune-Grèves qui – à mon palais – a plus de pétulance. Mes hôtes, découvrant que l’on peut s’intéresser à des questions qui ne les effleurent habituellement pas, sont ravis de cette expérience. Les délicieux sorbets sur un nouveau Mumm paraphent un dîner fort amical, de vin, de mer et de plaisir.





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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