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Château YQUEM
Château YQUEM
1903 - 1892
 

Bulletin # 83
18/10/2006 - 197 - Angélus, Salon, Méo-Camuzet
Bipin Desai, ce physicien américain passionné de vins, organise les plus belles dégustations thématiques de la planète. Aujourd’hui, ce sera au restaurant Taillevent avec pour hôtes d’honneur Monsieur et Madame Hubert de Bouard qui présentent vingt millésimes de château l’Angélus (on dit maintenant château Angélus), présent dans la famille d’Hubert depuis sept générations. Nous serons 25 élus à partager ce repas, et je reconnais des complices des verticales de Montrose ou de Pichon Longueville comtesse de Lalande, d’autres de celles de Trimbach et Lynch Bages. Serena Sutcliffe et son inénarrable humour très British, Clive Coates aux avis surs et tranchés et plusieurs amis connaisseurs ou amateurs.
Au rez-de-chaussée, nous envahissons l’espace en dégustant un Champagne Taillevent fait par Deutz très peu dosé, élégant et d’une structure raffinée. Nous bavardons avec plaisir, parfois bruyamment. Nous montons ensuite au premier étage, dans cette salle de toute beauté. C’est une des plus belles salles de Paris. Je ne me lasse pas de jouir de son charme.
Devant nous un verre d’un vin surprise. Il sent le cassis, la mûre, le bois précieux. Le nez est élégant. Il ne faut pas beaucoup d’imagination pour comprendre que c’est Angélus 2005 non inscrit sur notre feuille de route. En bouche, l’idée qui me vient est celle de la barbe d’artichaut, puis le cœur d’artichaut. On sent un potentiel absolument fantastique. Il sort à peine du fût, sa fin est sèche, mais sa promesse est immense. On ne sait pas ce que le vin deviendra après son séjour en fût, mais on sent qu’il sera passionnant. Pendant qu’on le goûte, Hubert de Bouard rend un hommage vibrant au cépage cabernet franc.
Voici le menu qui va accompagner les 20 millésimes : têtes de cèpes aux escargots petits gris / bar de ligne rôti aux girolles / canard de Challans sauce salmis / Saint-nectaire / Mille-feuille aux framboises et œuf neige.
Les notes qui suivent ayant été prises à la volée, on trouvera des redites, des approximations. S’il y a des incohérences, c’est que je ne jugeais plus au même instant. C’est la loi de ces marathons. Pour que le récit ne soit pas en demi-teinte, j’ai extrêmisé les jugements, étant parfois dur pour des vins de grand intérêt.
Je commence par sentir la première volée de vins. Le 1992 a un nez où l’alcool est présent et un joli bois. Le 1993 a un nez beaucoup plus charnu. En bouche le 1992 est court mais ossu. Il est très encourageant. C’est le type de vin que l’on pourrait acheter, car il est très pur, à peine astringent, et échappera certainement, du fait du millésime, à la folie des prix actuels. Le 1993 est beaucoup plus construit, C’est un beau vin, un peu sec, squelettique, mais sympathique au-delà de son austérité. Le 1994 a un nez plus fermé. Il parle en bouche plus fort que les deux autres, mais s’arrête tout de suite. Son absence de final me gêne.
Le 2002 a un nez très subtil. Le bois apparaît beaucoup plus fort que pour les trois vins précédents. C’est très joli, mais résolument moderne. Je le trouve plaisant à ce stade de sa vie.
Je reviens sur chacun. Le 1992 est assez limité et court. Le 1993 est charmant. Il est strict et dur, ce qui n’est pas foncièrement charmant, mais ça me plait. Son petit côté poivré est délicat. Le 1994 n’est pas assez équilibré. Le 2002, plus moderne, me plait dans sa jeunesse folle.
Lorsque le plat arrive avec des petits gris et des champignons accommodés de façon délicieuse, c’est le 1994 qui profite le plus de ce plat merveilleux. Et le 2005 est magique sur le plat : il a pris des accents de violette.
Mon classement de cette série, sans le 2005 hors catégorie : 1993, 2002, 1992, 1994.
Le deuxième bouquet de millésimes qui arrive maintenant sur notre table est imposant. Le 1970 a un nez superbe, nettement plus aguichant que le 1986. Le 1988 est très joli, très contenu. Le 1995 a un nez assez strict mais élégant. Je sens un peu de poussière. Est-ce le verre ? Le 1996 a un nez alcoolique, dans des tonalités qui rappellent le 1988. Et c’est avec le 1999 que se fait la rupture olfactive, quand apparaissent le bois et le cassis.
Vient maintenant l’examen des goûts. Le 1970 est un peu plat en bouche, agréable et coloré, un peu faible de structure. Le 1986 est très 86, je le trouve assez joli. Le 1988 a une légère trace de bouchon, mais j’aime sa structure simple et cohérente. Le 1995 est un vin vivant, ouvert. Il raconte de belles histoires. J’aime beaucoup le côté un peu râpeux du 1996. C’est son final qui a du panache. Le 1999 est trop strict. Il y a du modernisme mais mal apprivoisé.
Arrivent les deux derniers. Le 2001 a un nez de poivre. Vin très plaisant, qui marque une rupture gustative très nette avec les autres Angélus. Le 2004 a un nez magnifique. Il est beau en bouche. A mon goût, ce n’est plus la tendance historique de l’Angélus.
Comment se passe le deuxième tour ? Le 1970 est un peu amer et manque de corps. Le 1986 est très agréable, et semble un peu avancé. Il fait plus vieux que son âge. Le 1988 est très beau, convainquant, même si je ressens le léger défaut. Le 1995 est jeune, solide, très bien charpenté. Le 1996 est plus austère, mais offre un final ahurissant. Il laisse une trace expressive en bouche. Le 1999 est ici assez coincé. Mais je pressens que dans vingt ans, il va surprendre beaucoup d’amateurs. Le 2001 est « trop » comme on dit chez les jeunes. Il a perdu le caractère d’Angélus. Le 2004 revendique son modernisme, que je trouve ici très bien assumé. C’est bon. Mais est-ce réellement l’avenir pour Angélus ?
Sur un troisième passage, les 86 et 88 gagnent nettement en charme. Mon classement de cette série : 1986, 1988, 1999 et après les autres.
La troisième série démarre sur le plus vieux vin présenté. Le 1953 est un beau vin. Il a une belle onctuosité, il est chaleureux, et je le trouve plus ensoleillé que la tendance historique d’Angélus. Le 1966 est plus strict mais joli. Le 1989 me parait en ce moment dans une phase intermédiaire. C’est pour les grands vins le moment où l’on abandonne l’adolescence pour devenir adulte, responsable. Le 1990 est immense. Ce vin est grandissime. Le 1998 est joli dans sa jeunesse. Il n’est pas encore intégré, mais il a un très beau final.
Le 2000 a un nez splendide. Ce vin est complètement différent des autres. Il y a un peu d’astringence. Au risque de choquer, je vois beaucoup plus de futur pour le 1999 que pour le 2000. Le nez du 2003 est poivré. Ce n’est plus tellement l’Angélus que je connais, mais c’est fantastique. Et je vois là une aptitude au vieillissement exceptionnelle. Ce 2003 est supérieur à 2005 et à 2000, à ce stade et à mon palais.
Au deuxième tour le 1953 se comporte admirablement sur le canard. Ce canard est sublime. Mon classement de ce troisième lot de très grands vins : 1990, 2003, 1953, 1989.
Bipin est un esthète. Avoir choisi de mettre le 1997 tout seul sur le fromage est d’une intelligence frisant le génie. L’accord est tout simplement fantastique. Que de poivre subtil dans ce vin. Et quelle leçon sur la hiérarchie des millésimes !
Le Riesling Grand Cru Vorburg Clos Saint Landelin 1990 domaine René Muré a un nez rare. Mais en bouche, c’est trop. A ce moment du repas, trop de goûts exotiques et agressifs saturent mon palais. Il y a du fruit de la passion et du citron vert dans ce vin délicieux dont je ne peux réellement profiter.
Dans les notes de tant de vins, je m’efforce d’extrémiser mon propos pour avoir un récit coloré. Un vin que je dis « limité » est sans doute un grand vin, mais il faut lui préférer d’autres. Nous ne sommes pas remontés très loin dans l’histoire d’Angélus. On constate ainsi que les réussites sont des réussites d’années et non pas des tendances décennales. Car il n’y a pas assez de recul. Le parti a été pris d’être plus moderne sur les vins récents. Ce n’est pas ce que je recherche, mais je ne suis pas le consommateur représentatif des tendances actuelles. N’étant pas bloqué dans mes préférences, je promets un très grand avenir aux 2003 et 2005. Mon cœur va vers le 1990 d’une grande réussite, et je suis content que 1993 et 1997 marquent tant de points. Il faut aussi que ces années là existent dans le cœur des amateurs.
Le service des vins a été parfait, les oxygénations et températures de service encore en amélioration par rapport aux deux présentations précédentes chez Taillevent.
La cuisine a été d’une perfection absolue, les accords étant idéaux et les goûts d’une rare efficacité. Hubert de Bouard peut être à juste titre fier de son domaine. Je serai intéressé de vérifier si les vins du troisième millénaire s’inscrivent dans la prestigieuse histoire de ce grand Saint-Emilion.
Après la belle verticale de Château l’Angélus, le groupe cornaqué par Bipin Desai allait poursuivre une semaine de débauche gastronomique : Tan Dinh le lendemain midi, Carré des Feuillants au dîner, dîner à Lille le surlendemain et déjeuner au restaurant Guy Savoy le jour d’après. On me propose de me joindre au groupe au Carré des Feuillants. Je ne me fais pas priver.
La salle du sous-sol, lorsqu’on a dépassé la cave dont on devine les trésors, est accueillante. Portrait et statue clin d’œil du maître, évocations du Sud-ouest rugbystique, c’est chaud au cœur. Nous buvons champagne Delamotte 1999 et Didier Depond qui assiste à ce dîner nous dira que nous sommes les premiers au monde à le déguster, car il fait sa première sortie en public. Ça ne change évidemment pas le goût du champagne, mais ça fait plaisir. Le vin est un peu dosé à mon goût, mais on s’habitue, et on découvre que Delamotte, c’est un « bon plan ». Vivant longtemps à l’ombre de Salon, il n’en a pas la cote, mais c’est un vrai champagne à part entière, de belle expression. Je sens un peu de litchi et de fruits roses.
Nous passons à table et le hasard fait bien les choses, je suis assis près de Didier Depond.
Voici le menu élaboré par Alain Dutournier : l’huître, caviar d’Aquitaine, tartare d’algues et écume crémeuse / crevette sauvage tiède en « crème de tête », billes de melon en chutney et gaspacho safrané / cuisses de grenouilles épicées, roquettes et girolles en tempura / rouget barbet au plat, bohémienne d’aubergine, citron de Menton / tendron de veau de lait dans son jus, cèpe debout / vieux gouda travaillé, truffe de bourgogne râpée / pêche rôtie au poivre de Séchuan et marasquin, blanc-manger, brioche dorée, glace au miel de bruyère. Je trouve Alain Dutournier au sommet de son art, à un niveau de maturité qui sera forcément récompensé des étoiles suprêmes.
Le champagne Salon 1996 est d’une douceur incomparable. C’est un champagne policé. La race est là, et le champagne est déjà réellement déjà prêt à être bu. Le 1995 était rude au même stade. Le 1996 a un charme et une délicatesse qui sont rares.
Le champagne Salon 1988 a gagné en maturité. Je le trouve plus évolué que ceux que j’ai en cave. La séduction est extrême. Goût de toast, de fumé, c’est magnifique.
Le champagne Salon 1976 servi en magnum a une approche un peu stricte, mais il va s’ouvrir. Ce qui est d’ailleurs intéressant avec ces trois champagnes, c’est qu’ils ne cessent d’évoluer dans le verre. Il n’y aura donc jamais une photographie unique de leur identité.
Avec l’huître et le caviar, le 1996 est de la vraie gourmandise. Le sel du caviar lui donne une longueur infinie. Je commence à classer 96 / 88 / 76. Mais il y a dans le 1988 qui m’est servi une légère amertume que n’avait pas le premier verre d’une autre bouteille, et comme le 1976 s’ouvre et offre des parfums exotiques raffinés, je classerai 96 / 76 / 88 en écrivant sur mon petit carnet : le 1996, c’est mon amour.
Nous allons goûter trois Savigny « Narbantons » Domaine Leroy. Le 2001 a un nez très fort, sous-tendu par une charpente solide. Le 1999 a un nez américain. C’est trop pour moi. C’est une sorte de soupe de framboise. Le 1997 a un nez plus balancé, plus subtil, tout en restant dans la ligne de 1999. Mon impression première est que ces vins sont trop travaillés. Au nez, c’est le 2001 qui apparait comme le plus traditionnel, ce qui semble paradoxal. Il convient de dire que ces vins très solides sont de grands vins. Seul l’excès de travail me gêne.
Sur les grenouilles délicieuses, le 1997 est absolument excellent. Le 1999 en fait trop, envahissant le palais. Le 2001 est très bourguignon, sauvage. Je classe 1997 / 2001 / 1999. Le 1997 c’est du plaisir, le 2001 est authentique et le 1999 plus caricatural. A noter à quel point la grenouille est un partenaire intéressant pour les vins, qu’ils soient rouges comme ici, ou blancs. Nous goûtons ces mêmes vins sur un rouget goûteux. Le 2001 est beau, pur. Le 1997 reste un vin de plaisir, et le 1999 commence à me plaire. Si je ne l’avais découvert que maintenant, je dirais que c’est un bon vin.
Nous abordons maintenant une belle série de Richebourg Domaine Méo Camuzet. J’aurais évidemment aimé que Jean Nicolas Méo soit là comme l’est Didier Depond pour Salon, car j’aurais apprécié de confronter nos jugements. La première approche est celle des nez. Le 2001 affiche son alcool et sa richesse. Le 1999 est d’une subtilité olfactive absolue. Il est parfait. Le 1996 est fatigué et a évolué vers la truffe. Le 1993 est timide et le 1991 un peu faible. L’examen des nez devient évidemment impossible lorsque l’assiette du plat est posée.
En bouche le 2001 a un râpeux que j’aime, très bourguignon. Le 1999 est éblouissant, absolument parfait, le 1996 est devenu acide et déséquilibré, mais on sent un belle structure en arrière-plan, cachée par l’acidité comme ça se passe avec des vins anciens. Je me dis de ne pas le condamner trop vite. Le 1993 est animal, au goût de viande et d’intestins. Le 1991, si l’on accepte sa légèreté structurelle est intéressant et joliment parfumé. Le classement sera celui-ci : 1999 / 2001 / 1991, sachant que le 1999 est très largement au dessus des autres.
Le Château Nairac 1997 est un Barsac simple, de structure prévisible. Il s’anime sur certaines composantes du dessert pour devenir charmant. Le goût de coing domine. C’est un vin fort agréable dont je comprends le choix.
La cuisine d’Alain Dutournier est absolument resplendissante de sérénité. Les goûts sont marqués d’une forte personnalité, et d’une intelligence culinaire extrême. Bipin Desai fait profiter ses amis de la justesse de ses choix de vins. Et puis, boire tant de Richebourg d’un domaine que j’aime et tant de Salon, mon chouchou, il faudrait être fou pour demander plus !





 


 
 
Château Petit-Faurie-De-Soutard
 
 

 
 
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